LA LANGUE ARABE, TRÉSOR DE FRANCE. Un livre de Jack Lang

Il est parfois de petits miracles, et le dernier livre de Jack Lang, président de l’Institut du Monde Arabe en est un.

Jack Lang - La langue arabe, trésor de FranceDéjà, le titre, incisif et précis : « La langue arabe, trésor de France », claque comme un soufflet à ceux qui, comme cet ancien Ministre de l’éducation nationale, successeur de Jack Lang dans la même fonction, considèrent que « apprendre l’arabe aux enfants est une fausse bonne idée ». Une réponse cinglante aussi à l’intervention déconcertante d’une «islamologue» (oui, porter un nom arabe suffit parfois à légitimer ce titre) qui recommande de ne pas faire apprendre l’arabe aux élèves, et contestait, devant l’ahurissante commission du Sénat sur « la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre », les arguments selon lesquels le français « devrait beaucoup à la langue arabe et l’arabe serait un trésor pour la langue française. » 

(Voir notre article « Nos ancêtres… les Gaulois ? »)

« Discréditée, mise en quarantaine par les marchands de peur ou de haine qui rabâchent leur conception rabougrie de ce que devrait être la France », la langue arabe est devenue le parent pauvre de l’enseignement : « 1 enfant sur 1000 étudie l’arabe en primaire, 2 sur mille au collège. »

Comme le dit fort bien l’auteur en prologue de son livre : « Il y a des combats à mener contre l’air du temps. Des combats pour rétablir des vérités, à rebours des manipulations idéologiques, démagogiques et populistes ».

Oui, l’arabe est la langue des poètes, des écrivains, de ceux qui, au cours des siècles ont apporté à une Europe plongée dans les ténèbres de l’obscurantisme la lumière des sciences, des mathématiques, des découvertes médicales, de l’astronomie.

Jack Lang rappelle que longtemps, l’élite française apprenait la langue arabe. François 1er fut l’initiateur de son apprentissage, Rabelais l’avait apprise. Jean de la Fontaine s’inspira, pour ses fables, du recueil de poèmes Kalila wa Dimna, et Victor Hugo disait  « Au siècle de Louis XIV, on était helléniste, maintenant on est orientaliste ».
Ceci jusqu’à ce que la colonisation la relègue au rang de langue des vaincus, puis de celle des immigrés.
Les tentatives de faire entrer la langue arabe dans l’enseignement en la « ghettoïsant » davantage, comme le lamentable ELCO sont parfaitement décrites dans le livre, qui rappelle toutefois, à juste titre, les quelques initiatives réussies, en matière de MOOC par exemple, ou celles entreprises par l’Institut du Monde Arabe lui-même, avec sa certification CIMA et sa chaire dirigée par Mojeb Al Zahrani et Tayeb Ould Aroussi.

Pourtant, l’arabe est « l’une des 6 langues officielles de l’ONU, la quatrième langue dans le monde par le nombre des locuteurs (plus de 400 millions) et la deuxième après l’anglais par l’étendue géographique de son usage. »
Jack Lang invite avec force les pouvoirs publics à rendre à la langue arabe la place qui devrait être la sienne, et à développer son enseignement dès les plus jeunes classes. Il martèle à raison que l’arabe n’est pas seulement la langue de ceux qui ont « une origine », mais qu’elle a une vocation universelle.

Alors, certes, on pourra toujours trouver que Jack Lang n’insiste pas assez sur la vertu formatrice et structurante, pour les jeunes esprits, de cette langue dont la grammaire obéit à des mécaniques quasi mathématiques, et qui permet de créer à l’infini de nouveaux mots, faisant d’elle une langue éternellement adaptable au temps. Jack Lang rappelle d’ailleurs que l’arabe « dispose d’un lexique virtuel de 1,9 millions de mots ». Pourquoi refuser à notre jeunesse les bénéfices d’une telle richesse ?

Bien sûr, on pourra lui reprocher de ne s’être pas entièrement détaché de quelques préjugés, comme le risque supposé présenté par l’enseignement associatif. Certes, il convient d’être vigilant dès lors qu’il s’agit d’éduquer notre jeunesse, mais il existe d’excellents établissements privés, comme la Faculté des Sciences Islamiques de Paris, à laquelle nous apportons souvent notre soutien, et qui dispense, nonobstant son nom, un enseignement de très haut niveau à des étudiants de toutes origines et de toutes convictions. Il en existe bien d’autres, notamment en province. On regrettera notamment de le voir reprendre la critique de Yahya Cheikh, qui est pourtant un fin connaisseur de l’enseignement de la langue arabe en France, sur les établissements privés dont, selon lui, « l’enseignement ne repose pas sur les valeurs de la République. Ils ne donnent, par exemple, aucune notion de la laïcité ». Je ne me souviens pas d’avoir reçu des leçons de laïcité dans mes cours d’anglais ou d’espagnol. Alors, pourquoi les professeurs d’arabe devraient-ils le faire ? Pourquoi les arabes, ou les musulmans d’ailleurs, doivent-ils toujours se justifier, renouveler en permanence les preuves de leur esprit républicain ?

Mais « L’arabe, trésor de France »  n’est pas une thèse de doctorat. C’est d’abord un manifeste, avec les qualités et les défauts de la concision. C’est un livre de combat. Et à cet égard, pour reprendre l’expression de Pierre Rabhi, Jack Lang, en écrivant ce livre, a « fait sa part ». Largement.

Jean-Michel Brun

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« La langue arabe, trésor de France », Jack Lang, avec la collaboration de Victor Salama, Editions du Cherche Midi, 2020, 12,50 €

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