MUNICIPALES EN TURQUIE : QUI PERD GAGNE…  

Les élections municipales qui se sont déroulées le 31 mai en Turquie promettaient d’être cruciales pour l’avenir du Président Erdoğan. Elles l’ont certainement été, mais pas forcément dans le sens où l’entend généralement la presse occidentale.

Dimanche dernier, l’opposition turque a remporté ces élections municipales, en conservant notamment Istanbul, la plus grande ville turque avec 16 millions d’habitants, déja gagnée en 2019, et s’emparant d’Ankara, la capitale du pays, ainsi que d’autres grandes villes comme la cité industrielle de Bursa, bastion de l’AKP, le parti présidentiel (Parti de la Justice et du Développement), depuis 2004.
Bien que l’AKP s’est maintenu dans plusieurs grandes villes d’Anatolie, comme Konya, Kayseri, Erzurum, et de la mer Noire, comme Rize etTrabzon, c’est le parti social-démocrate CHP qui sort grand vainqueur de ces élections. Le parti pro-kurde DEM s’assure quant à lui une confortable avance dans plusieurs grandes villes du sud-est à majorité kurde, dont Diyarbakir, la capitale informelle des Kurdes de Turquie.

La presse française ne s’est d’ailleurs pas privée d’annoncer ces résultats à grand renfort de manchettes : « Débâcle pour Erdogan qui perd à Istanbul et Ankara » pour la Tribune, journal très macroniste du milliardaire Rodolphe Saadé, « Victoire historique de l’opposition, débâcle d’Erdogan » selon le magazine Le Point. Le Parisien, quant à lui, pose la question : « La défaite de la majorité aux municipales signe-t-elle la fin de l’ère Erdogan ? ».

Pourtant, à y regarder de plus près, ces élections ne sont pas une si mauvaise affaire pour le Président Erdoğan. A ceux qui considèrent en effet que la Turquie n’est pas une démocratie, argument qui, jusqu’à présent, a notamment freiné l’accession de la Turquie à l’Union Européenne, ce scrutin apporte un cinglant démenti. Le chef de l’État n’ignorait bien entendu pas la tendance qui se profilait, et a fait savoir très tôt (voir notre interview de Farhettin Altun) qu’il respecterait le résultat des urnes, quel qu’il soit.

« Le vainqueur de ces élections est notre démocratie, la volonté nationale »

S’adressant aux citoyens depuis le balcon du siège de son parti à Ankara, dès la proclamation des premiers résultats, le Président Recep Tayyip Erdoğan a déclaré : « Le 31 mars est un tournant, pas une fin pour nous. La nation turque a transmis ses messages aux politiciens par le biais des urnes lors des élections locales du 31 mars. Quels que soient les résultats, le vainqueur de ces élections est avant tout notre démocratie, la volonté nationale et l’ensemble des 85 millions de personnes, quelles que soient leurs opinions politiques…. Je voudrais sincèrement remercier tous mes citoyens qui expriment librement leur volonté dans les urnes, quel que soit leur parti politique. Je voudrais féliciter les maires métropolitains, les maires de provinces, de districts et de villes, les membres des conseils municipaux, les membres du conseil général provincial, les chefs et les élus de notre nation. Bien entendu, chaque parti politique analysera les résultats des élections au sein de sa propre organisation. Nous, au sein des organes de notre parti, évaluerons ouvertement les résultats des élections du 31 mars et ferons avec lucidité notre autocritique. »

Finalement, la Turquie apparaît aujourd’hui comme un pays comme les autres, où le parti présidentiel peut subir un échec, comme cela s’est souvent produit en France, par exemple, et accepter qu’il en soit ainsi. Cette éventualité est même considérée comme une manifestation exemplaire de la démocratie dans les pays européens, qui peuvent aujourd’hui dire à Erdoğan : « Bienvenue au club ! ».

Il reste maintenant à Erdoğan 4 ans pour faire entrer la Turquie dans cette nouvelle ère qu’il a appelée lui-même le « Siècle de la Turquie », qui verra peut-être le pays entrer enfin dans l’Union Européenne, à condition bien sûr que cette perspective conserve encore son attractivité…

Jean-Michel Brun

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