GABRIEL ATTAL ET L’ABAYA : LE BON ÉLÈVE ET LE BONNET D’ÂNE

Des classes et des écoles ferment. Des villages se trouvent désormais privés d’école, ce qui oblige les élèves à faire des kilomètres pour se rendre en classe. Environ 1500 postes ont été supprimés dans l’enseignement l’an dernier, les professeurs sont débordés, notamment en raison d’une formation pédagogique insuffisante. La profession d’enseignant est constamment dévalorisée, les salaires sont en berne, les élèves en situation de handicap sont toujours aussi mal accueillis.

La France se situe à la 24ème place du classement Pisa, qui mesure les compétences des élèves en matière de lecture, mathématiques et sciences, après la Chine, Singapour, Hong Kong, Macao, l’Estonie, le Canada, la Finlande,le Japon, le Corée du Sud, les Pays-Bas, la Suisse, Taïwan, le Danemark, la Slovénie, la Belgique, l’Allemagne, la Pologne, la Norvège, le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Autriche, et la République Tchèque.

Pour le pays qui se glorifie d’avoir été celui de Molière, Descartes, Pascal, Diderot, Proust, ou Duras, il n’y a guère de quoi pavoiser ni brandir à tout bout de champ l’étendard du « Siècles de Lumières ».

Et qu’est-ce qui préoccupe le nouveau ministre de l’éducation nationale ? On vous le donne en mille, Emile, comme aurait dit Rousseau : le vêtement que porte certaines jeunes filles !

Qu’est-ce qui a pu pousser un ministre de l’éducation à proférer une sottise qui, en d’autres temps, aurait valu à l’élève Attal un bonnet d’âne ? On peut avancer plusieurs hypothèses.

L’incompétence

L’idée de la « macronie » de faire appel à de jeunes politiciens n’était pas si mauvaise après tout. Les jeunes sont audacieux, bourrés d’idées révolutionnaires, prêts à transgresser avec délectation les pesantes barrières de l’ordre établi. Ceux qui ont révolutionné notre société avec l’informatique, les smartphones, les réseaux sociaux, n’étaient-ils pas des post-teenagers?

Oui, mais pas ceux-là. Nos jeunes macronistes sont non seulement dépourvus d’expérience, ce qui en soi est compréhensible, mais aussi démunis de tout esprit d’initiative. Des bambins bien mis, propres sur eux et obéissants, au conformisme juvénile de vieillards en culotte courte.

Est-ce une raison de faire de l’incompétence un critère de sélection ? Peut-être, si on ne veut pas faire mentir Coluche qui raillait ces politiques qui avaient « une tête à être arrivés premier à un concours de circonstance ». Voilà ce qui explique peut-être cet abysse qui sépare notre gouvernement des réalités des Français, et qui pousse un président de la République inviter à un jeune chômeur à « traverser la rue pour trouver du boulot» où déclarer que « dans une gare on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien ». Et on n’est même pas sûr qu’il comprenne aujourd’hui, en quoi sa phrase était si méprisante.

Le détournement d’attention

On l’a suffisamment dit, le CFCM a même pris l’initiative d’un communiquer pour le rappeler, l’abaya n’est pas un costume religieux. C’est une robe inspirée des habitudes vestimentaires de certains pays arabes. Mais alors pourquoi s’en prendre à ce costume, comme au « qamis », qui n’est pas plus musulmans que le bikini n’est chrétien ? Et surtout, pourquoi mettre en avant une tenue vestimentaire qui est, au mieux, un épiphénomène quasiment infinitésimal ?

L’éducation nationale va mal. Cela ne date d’ailleurs pas d’hier. Mais le précédent quinquennat n’a pas réussi à faire mieux que les autres. Pas terrible pour un président qui avait appelé sa profession de foi « Révolution ». Pour masquer un échec, on peut essayer de le faire oublier. Les magiciens connaissent bien ce truc. Cela s’appelle le détournement d’attention : pendant que vous vérifiez ce que fait la main droite, vous ne pensez pas à regarder ce que fait la main gauche. En 2008, l’américain Richard Thaler inventa le « nudge ». L’idée est de focaliser le public sur quelque chose de distrayant, qui l’amènera à faire inconsciemment ce qu’on souhaite qu’il fasse. Une des illustrations est la fameuse mouche peinte sur les urinoirs de l’aéroport d’Amsterdam qui incitait inconsciemment les utilisateurs à la viser, ce qui a permis de réduire les éclaboussures de 80%.

Ce nudge system est aujourd’hui utilisé par les grandes agences-conseils comme celles à laquelle Emmanuel Macron a largement fait appel lors de la crise du Covid, et qui a conduit le ministère de la santé à nous demander de rédiger pour nous-mêmes des autorisations de sortie.
Or c’est la MacKinsey qui a été sollicitée pour travailler sur la réforme de l’enseignement.

Pour que le détournement d’attention soit efficace, il faut focaliser sur un objet ou un fait qui provoque la curiosité, l’intérêt ou la surprise du destinataire. Or tout ce qui concerne l’islam, étant donné la focalisation des politiques et des medias sur le sujet, est l’instrument idéal pour déclencher les passions, donc l’intérêt et favoriser ainsi le détournement d’attention.

Le flirt avec l’extrême droite

Utiliser l’islam pour détourner l’attention, en faire le bouc émissaire de tous nos maux, voilà bien une tactique populiste de l’extrême droite. Car il ne faut pas s’y tromper, la laïcité invoquée par le ministre n’a pas grand chose à faire dans l’histoire. Aux Etats-Unis, au Royaume Uni, au Canada, on ne se préoccupe pas de la façon dont les écoliers s’habillent. L’essentiel est qu’ils soient bons élèves. Le fait que le hijab, le turban sikh ou la kippa soit autorisés fait-il de ces pays des nations moins laïques que la France ? Ce serait imbécile de le prétendre.

Ainsi, on admet que des jeunes filles viennent à l’école à demi-nues, en crop-top et minijupe, on ferme les yeux sur la casquette coincée sous la capuche, mais une robe qui descend jusqu’aux chevilles, ça non ! Il est vrai que le deux-pièces, le survêtement et la robe longue peuvent être portés comme des formes d’expression « culturelles ». Mais une seule se voit frappée d’introduction. Si ce n’est pas du racisme, il faut reconnaître que ça y ressemble.

Chez nous, la laïcité sert de prétexte à une idéologie bien plus sombre : la haine à l’égard des musulmans, nourrie par la délirante théorie du grand remplacement, guère différente de l’antisémitisme prétendant que les juifs veulent s’approprier le monde.

Voilà en réalité un procédé bien commode pour attirer à soi le réservoir de voix censée se situer à l’extrême droite. Ce procédé nauséabond, lancé par des politiciens hystériques, a toutes ses chances de pénétrer les cerveaux lessivés par les éditorialistes et les « penseurs » médiatiques qui martèlent leur discours pestilentiel sur les chaînes d’information continue,

Pourquoi alors un ministre, qui s’était pourtant jadis offusqué du radicalisme anti-immigration de Manuel Valls s’est-il prêté à ce triste flirt ?

La voix de son maître

Comment se fait-il qu’un garçon de 34 ans, sans aucune expérience de l’éducation nationale, qui n’a fréquenté que l’École alsacienne, l’établissement huppé du 6ème arrondissement de Paris, et n’a donc jamais été en contact avec les écoles soi-disant concernées par l’abaya, et qui, de surcroît, ne connaît rien aux préceptes de l’islam, ait pu sortir une pareille sottise ?

Parce qu’on le lui a demandé. Ce n’est certainement pas par conviction, car il n’en n’a pas, que le jeune ministre s’est exprimé. Depuis son entrée à la REM, Gabriel Attal s’est manifesté comme le porte-voix d’Emmanuel Macron, la voix de son maître. Avec la condescendance et l’arrogance dont il il est coutumier, en Afrique comme dans la rue, Emmanuel Macron toise avec dédain cette jeunesse qui ose exprimer une opinion, revendiquer une appartenance culturelle. Macron se bat pour l’honneur de la France, ce pays qui serait ce Deus ex machina porteur de civilisation, de liberté, de fraternité.
Cela nous rappelle le dialogue entre un officier anglais et le corsaire Surcouf :

« – Nous, nous battons pour l’honneur, vous, les corsaires, vous vous battez pour l’argent
– Eh oui, chacun se bat pour ce qui lui manque »

Abdeljallil Asmar

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