Il aura fallu que des élèves se suicident pour que l’État commence à prendre conscience du problème du harcèlement à l’école et promette de prendre des mesures.
La pénurie de professeurs des écoles en France s’aggrave d’année. Les académies, sont amenées à recruter des milliers de contractuels, parfois en « speedating », qui sont souvent engagés malgré une formation insuffisante. La seule académie de Créteil a ainsi recruté cette année plus de 4000 contractuels.
Mais qu’est-ce qui met réellement en danger l’enseignement en France ? Le harcèlement, la pénurie de professeurs, le manque de formation, le niveau de l’enseignement, classé parmi les plus bas du monde, notamment en mathématiques où elle est classés dans les 5 derniers ? Non. Les dangers qui menacent l’Éducation Nationale, ce sont les prières des enfants et l’habillement des jeunes filles.
Le 16 mai dernier, dans une école de Nice, un groupe de dix élèves s’est réuni pour prier sous un préau pendant la récréation. A l’école Fuon Cauda également dans la capitale azuréenne, trois enfants âgés de 9 ans ou 10 ans ont prié au moment de la pause-déjeuner. Et dans une troisième école, un élève a observé tout seul une minute de silence pour le prophète Mahomet dans la cour.
Par bonheur, nos garants des « valeurs républicaines » se sont levés comme un seul homme, sabre au clair, pour défendre notre France mise en péril par de dangereux enfants qui prient et des fillettes à la tenue obscène et provocatrice. Attention, ne confondons pas. Il ne s’agit pas des minettes qui vont au lycée en décolleté plongeant et en string apparent, dans l’indifférence professorale. Non, il s’agit du port scandaleux d’une robe qui descend criminellement jusqu’aux chevilles.
« J’ai été informée par les directeurs d’établissements, eux-mêmes informés par les personnels de cantine. Les responsables d’établissements et les enseignants n’ont pas été témoins… les faits sont suffisamment graves pour que je les signale à la Ville de Nice » a scandé Natacha Chicot, la rectrice de l’académie de Nice. « Des faits intolérables » s’est indigné le ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye, qui a ajouté : « Je mobilise immédiatement les équipes valeurs de la République. Le gouvernement prend toutes les mesures nécessaires pour faire respecter la laïcité dans nos écoles ».
La Secrétaire d’État chargée de la Jeunesse et au SNU, Sarah El Haïry, a affirmé quant à elle : « L’école est un sanctuaire et aucune expression religieuse n’y a sa place ». Curieuse façon d’user d’un qualificatif religieux pour qualifier un espace dont on souhaite bannir toute pratique religieuse…
Effectivement, devant ce risque d’implosion de la République, l’État n’a pas tardé à réagir : exclusion définitives des enfants prieurs, exclusion de cinq jours de la jeune fille en robe, et signalement pour « radicalisation » de l’auteur de la minute de silence. On ne badine pas avec les « valeurs républicaines ».
C’est tout de même bizarre. Les Etats-Unis, où les élèves et les professeures peuvent venir en cours en hijab, est bien une démocratie, non ? Une république, pionnière des droits de l’homme ? Et au surplus mieux classée que la France pour la qualité de son enseignement ? Et il ne semble pas que des prières y mettent en péril l’unité de la nation ni l’avenir de leurs étudiants. Sinon, les fêtes religieuses chrétiennes, juives et musulmanes ne seraient pas des jours fériés pour les élèves, et il n’y aurait pas d’espace cultuels dans les établissements scolaires.
Mais, nous, en France, avons une mission : « civiliser les races inférieures », comme le disait Jules Ferry, père de l’école laïque, et montrer au monde que Dieu, les Prophètes, les prières ne sont que billevesées. Les « nouveaux philosophes » ont emboîté le pas des influenceurs pour désigner le chemin de la raison aux milliards de dévots crédules qui se laissent abuser par le religion, surtout si celle-ci est l’islam, bien entendu.
Sauf qu’en l’occurence, les enfants ne faisaient que « jouer à la prière », comme, nous jouions, dans le temps, aux cowboys et aux indiens dans les cours de récréation. « C’est néfaste pour tous y compris pour les personnes qui ne sont pas concernées », s’est indigné la grand-mère d’un des élèves au micro de BFM Nice Côte d’Azur. « Stigmatiser des enfants, c’est lamentable ». « Les enfants « jouaient et faisaient une imitation de la prière. Il n’y avait aucune intention, aucune religion, ce n’était vraiment qu’un jeu ». «C’est vraiment beaucoup de bruit pour pas grand chose », a-t-elle conclu.
Pas grand chose ? Peut-être pas. Car ce sont les musulmans qui sont ainsi montrés du doigt. Toujours eux, pas les autres. Ceci est évidemment de nature à faire naître chez les jeunes un sentiment de persécution, attisé par les contrôles au faciès dont ils sont quotidiennement victimes.
Au delà même du drame de la mort de Naël, c’est ce sentiment d’être considérés comme des citoyens de seconde zone qui explique largement les émeutes qui ont suivi celle-ci.
Jean-Luc Mélenchon a parfaitement résumé la situation : Cette cristallisation autour de l’abaya et des prières en milieu scolaire est une tentative d’éclipser les vrais maux de l’école française : « Le problème de l’école, ce n’est pas l’abaya, c’est le nombre de professeurs qui manquent, les classes qui ferment, le manque de moyens ». « Les jeunes filles, pour des raisons qui leur appartiennent », ajoute-t-il, sont en droit de « préférer une tenue plutôt qu’une autre ». « Ce n’est pas une raison pour embêter 6 millions de musulmans en les montrant du doigt toutes les cinq minutes ! », a-t-il conclu.
On comprend d’autant moins cette stigmatisation de l’expression religieuse en général et de l’islam en particulier, cette volonté de réserver ses convictions à la seule sphère domestique que par ailleurs, on oblige à exprimer publiquement son soutien à d’autres modes de vie. Des footballeurs ont été sanctionnés pour avoir refusé de se soumettre à l’obligation, imposée par la Ligue française (L1 et L2), de porter un maillot aux couleurs de l’arc-en-ciel, en signe de soutien à la campagne pro-LGBT et contre l’homophobie.
Deux poids et deux mesures. Encore et encore. De l’étranger, la France est de plus en plus perçue comme un pays raciste. Mais qu’importent les critiques lorsqu’on est sûr de soi. Puisqu’on a raison, c’est que les autres ont tort. Aznavour le chantait déjà dans « J’me voyais déjà » :
« Si tout a raté pour moi, si je suis dans l’ombre
Ce n’est pas ma faute mais celle du public qui n’a rien compris »
Les Français ne seraient-ils pas, eux aussi, quelque peu cabotins ?