DE LA VERDURE AUX HYDROCARBURES, UNE HISTOIRE QUI CACHE DE L’OR NOIR

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(Abdelilah Benmesbah – Département de Géologie – Université Ibn Tofail – Maroc)

Si le Coran a mis l’accent sur le rôle de l’arbre vert dans la production des combustibles et a présenté le processus selon un style d’évocation où le ton fait preuve de défit : (C’est Lui (Allah) Qui, de l’arbre vert, a fait pour vous du feu, et voilà que de cela vous allumez.) (LXXX, 36), c’est pour mettre l’homme devant l’ingéniosité de l’acte créateur de Dieu Qui, de cet arbre, lui a élaboré une immense machine énergétique dont la matière verte à l’origine de sa réserve organique fût le point de départ.

Pour cette raison, l’expression coranique « et voilà » traduite de l’expression arabe « فإذا » qui désigne la soudaineté de la mise à disposition par découverte de combustibles à partir de la transformation de la matière végétale humide (et voilà que de cet arbre vert vous allumez), semble mettre l’accent sur la complexité évolutive du processus qui, en rapport avec l’évolution des étapes d’exploitation qui ont progressé du bois de combustion, au charbon fossile, au pétrole, fait signe à la découverte de ressources énergétiques qui, auparavant n’ont pas été connues. Des ressources qui, en permettant à l’homme de se chauffer, d’allumer ses lampes et de faire tourner ses moteurs, ont nécessité de longs processus de transformation. Ces processus, la science les a actuellement mises en évidence par étude de la maturation de la réserve organique issue de cette matière verte qui, dans les couches sédimentaires, a permis la formation de gisements de charbons et l’élaboration de puits de pétrole et de gaz naturel.

Ainsi, pour un néophyte cette annonce coranique peut paraître comme une simple affiche qui décrit la transformation du bois en feu. Mais si on relit ce verset une lecture de sens basée sur  la précision des termes qu’il emploie, on s’aperçoit que sa visée est beaucoup plus profonde que ce que laisse supposer une simple lecture superficielle.          

En effet, le pétrole étant le résultat d’un long processus de transformations d’une roche mère de nature argileuse, noire, riche en matière organique. Cette roche, si elle se dépose dans un fond sédimentaire fermé, gardera sa matière organique conservée. A cause des conditions réductrices du fond, celle-ci subira, sous l’action des bactéries anaérobiques et sous l’impact du gradient géothermique qui augmente avec l’enfouissement, une maturation qui finira par produire du gaz naturel et du pétrole.

L’opération telle qu’elle a été expliquée par Bernard Tissot, Directeur de Recherche et de développement à l’Institut Français du Pétrole (Mars, 1988), dure 50 millions d’années à une température de la croûte voisine de 120°C et le double dans une température normale entre 60 et 80°C. En plus de la chaleur, la roche mère a besoin, pendant la maturation de sa matière organique, d’être enfermée dans des pièges naturelles résultant de structures géologiques comme des poches ou des failles couvertes par du sédiment imperméable empêchant que le pétrole plus léger que l’eau ne se dissipe.

Donc le pétrole se forme si, avant des dizaines de millions d’années, il s’est déposé une roche mère riche en matière organique dans un bassin fermé où la matière organique serait conservée et progressivement transformée par des bactéries anaérobiques pour subir au fil des temps géologiques et avec l’accroissement du degré géothermique une maturation dans des pièges structuraux qui évolueraient en réservoirs naturels d’hydrocarbures.

Ces conditions ne font pas défaut dans le bassin méditerranéen ni dans son pourtour régional. En effet, avant l’épisode évaporitique qui a déposé une épaisse série de sel en Méditerranée au Messsinien (Cita, 1979), il s’est produit au Tortonien (8 million d’années) dans la région prérifaine au Maroc (Sud-Ouest de la Méditerranée) la mise en place de la Nappe prérifaine. Il s’agit d’un gigantesque écoulement en olistostromes qui a eu lieu au plus profond d’une mer fermée, d’une façon progressive, sans apporter de troubles dans la sédimentation du Miocène.

Le mécanisme a été très lent étalé sur une grande période qui a débuté par la création d’un déséquilibre entre le Rif interne surélevé (chaîne de montagnes au Nord du Maroc) et sa partie externe affaissée (Benmesbah, 2000). D’énormes quantités de matières organiques ont été alors emprisonnées sous la Nappe glissante dans la mer profonde et confinée du Tortonien. Ce glissement lent et progressif de la Nappe provoquait des frottements avec le substratum sous jacent à l’origine du réchauffement du fond qui activait donc la maturation de la matière organique et la migration d’hydrocarbures dans les pièges structuraux.

C’est dans cette région que le pétrole a jailli pour la première fois au Maroc dans la nuit du 7 au 8 mars 1934, après un gigantesque feu dû à l’explosion de la masse de liquide et de gaz atteinte par les travaux d’exploration du Jbel Tselfat.

Pour le cas du bassin méditerranéen, la naissance de gisements de pétrole semble régie par le même mécanisme. A la place de la Nappe prérifaine, il y’a l’épaisse couverture de sel qui tapisse le fond du bassin (Hsu et al., 1978), (Rouchy, 1982). Au dessous, l’or noir a du subir sa maturation dans des conditions presque similaires à celles décrites dans le pourtour.

Des travaux d’exploration (Mars, 1988) ont détecté des stocks énormes de matière organique bien conservée sous le champ de sel au Sud des Baléares et à l’Ouest de la Sardaigne, en cours de transformation devenant une sorte de réservoirs naturels pour ce qui est peut-être devenu aujourd’hui du pétrole liquide. Ces mêmes études ont montré que sous ce manteau de sel, la matière organique subit continuellement des transformations thermochimiques susceptibles de donner naissance à d’importants réservoirs pétroliers. Chose qui a motivé les compagnies pétrolières à faire des forages. Ainsi, sur 96 forages réalisés par la compagnie italienne Agip en Méditerranée, 28 gisements de gaz et 6 de pétrole ont été mis au jour en 1987. D’autres succès sont attendus en Adriatique et en mer Ionienne.

Donc on conçoit bien qu’à l’origine des gisements de pétrole, il y’a la matière organique. Celle-ci se présente chimiquement comme une chaîne hydrocarbonée dont l’énergie est stockée dans les liaisons potentielles entre les hydrocarbures (CHCH). Une fois ces liaisons détruites par combustion, l’énergie est libérée.

Si l’on revient en arrière dans les processus de fonctionnement de la nature pour chercher le point de départ de cette énergie, on le trouve dans la photosynthèse. Etant à la base de la formation des hydrocarbures, la matière organique subit une longue chaîne de transformations qui commence à la base de la pyramide de biomasse, c’est à dire au niveau des producteurs qui sont les végétaux chlorophylliens. Ce couvert végétal qui constitue le générateur essentiel d’énergie au niveau duquel se transforme l’énergie solaire en énergie chimique, permet de lier le monde non organique au monde organique par le biais de la photosynthèse. Celle-ci, à partir d’éléments simples tels que l’eau et les sels minéraux absorbés par les racines, puis le CO2 et la lumière assimilés par les feuilles, permet la production de matières organiques complexes à savoir les glucides qui sont les supports d’énergie.

La réaction suivante montre cette transformation où le marquage isotopique de l’oxygène de l’eau met l’accent sur le rôle de l’eau dans la production d’oxygène qui est la source de la vie: (Et Nous avons fait de l’eau toute chose vivante) (XXI, 30).

6CO2 + 12 H2O* + l’énergie lumineuse                   C6H12O6 + 6O*2 + 6H2

Et voilà que l’homme, une fois découvre ces puits jaillissants, allume, enflamme et fait tourner ses pignons sans se rendre compte que cette Puissance extraordinaire Qui lui a élaboré et préservé ces stocks organiques, qui ne sont en fait que des restes enterrés pendant des millions d’années, pour les lui faire servir comme ressource énergétique exploitable au temps convenable, est capable de redonner la vie à toute chose : (L’homme ne voit-il pas que Nous l’avons créé d’une goûte de sperme ? Et le voilà (devenu) un adversaire déclaré ! Il cite pour Nous un exemple, tandis qu’il oublie sa propre création ; il dit : « qui va redonner la vie à des ossements une fois réduits en poussière ? Dis : « Celui qui les a créés une première fois leur redonnera la vie. Il se connaît parfaitement à toute créature. C’est Lui (Allah) Qui, de l’arbre vert, a fait pour vous du feu, et voilà que de cela vous allumez.) (LXXX, 36).

De cet énoncé, nous voyons comment le discours coranique en exposant ces similitudes d’évolution entre le devenir de l’homme et celui de ses ressources naturelles, à travers cet exemple de passage de la matière végétale verte au combustible, tire notre attention sur une notion fondamentale de la matière: à savoir la transformation. Entre l’état frais de la matière végétale verte et l’état sec de bois de combustion qu’elle devient il y’a l’eau qui est l’agent de transformation. Cette eau qui est l’élément de vie de la plante, antagoniste au feu qui en est l’élément de destruction, n’aurait jamais du permettre la combustion du végétal si elle y était restée emmagasinée. Mais puisqu’elle s’en était dégagée par déshydratation, le végétal est devenu sujet à combustion. Donc faire sortir le feu de la matière verte nécessite des transformations. Et ce sont ces transformations qui ont fait du végétal une source de feu ayant apparu pour l’homme dans un premier temps sous forme de bois de combustion puis dans un autre sous forme de gisements de charbons pour finalement lui apparaître sous forme de puits de pétrole qui allaient jaillir du fond de la terre.

Le Coran en nous exposant cette vérité de transformation de la matière verte en feu, nous met, à travers son art symbolique, devant une réalité qui fait appel à notre réflexion.

Cette réalité qui suscite une démarche exploratrice, ouvre la voie par ambition à une recherche scientifique car, du moment que le verset coranique qui annonce cette vérité met l’accent sur le lien existant entre la matière verte des plantes et la production du feu, il enjoint à l’homme d’en formuler des modèles explicatifs qui permettent à son intelligence de se donner l’envie de chercher pour élucider ce rôle que joue la verdure des plantes dans la production d’énergie.

Or ce rôle qui réside dans la photosynthèse, activée essentiellement par la lumière solaire et l’absorption de CO2 de l’air, s’il est bien assimilé par l’intelligence humaine, pourrait être un bon investissement dans des productions d’énergie. Et ce à partir du CO2 des rejets qui rend le procédé beaucoup plus économique et écologique.

Ce CO2 qui ne cesse de polluer, s’il est absorbé par des cultures d’êtres chlorophylliens tels que les micro-algues vertes très disponibles en milieu marin par exemple, peut produire en des heures ce que la nature a mis des dizaines de millions d’années à fabriquer les hydrocarbures.

Donc ce verset, en faisant signe aux hydrocarbures qui ne sont en fait que le résultat d’une interaction à long terme entre le CO2 de l’air et la chlorophylle des végétaux verts, nous met sur la voie d’une exploration qui, par réflexion, pourrait aplanir le terrain à des applications beaucoup plus bénéfiques.

Aujourd’hui, cette matière chlorophyllienne à la base des végétaux, grâce à sa luminescence qui se manifeste sous forme d’ondes et de molécules, est utilisée par la NASA comme moyen de base pour la détection par satellites des surfaces vertes de la terre.

Cette luminescence due aux chloroplastes qui sont ces cellules vertes dont l’activité augmente avec l’action du soleil, peut être visualisée et d’une façon distincte dans l’huile d’olive où le phénomène de luminescence revient au fait qu’elle est extraite directement de la chaire d’olives riches en chloroplastes et non pas de leurs noyaux comme pour les autres huiles. Une  luminescence qui, telle qu’elle a été décrite par le Coran peut être assimilée à celle des planètes auto-illuminantes : (Allah est la lumière des cieux et de la terre. Sa lumière est semblable à une niche où se trouve une lampe. La lampe est dans un (récipient de cristal) et celui-ci ressemble à un astre de grand éclat ; son combustible vient d’un arbre béni : un olivier ni oriental ni occidental dont l’huile semble éclairer sans même que le feu la touche. Lumière sur lumière. Allah guide vers Sa lumière qui Il veut. Allah propose aux gens des paraboles et Allah est Omniscient) (XXIV, 35). C’est donc une lumière unique qui éclaire sans que le feu la touche, traduisant une exception vis-à-vis des lois physiques, car dans ce monde, aucune lumière, depuis celle de la bougie jusqu’à celle du soleil en passant par celle de la lampe, ne peut éclairer sans être activée par une énergie thermique, sauf la lumière de Dieu, qui, sans avoir besoin de précurseur, est à l’origine de toute lumière.         

Donc nous sommes devant un pouvoir de transformation sans commune mesure avec les pouvoirs humains. Un pouvoir qui, bien qu’il émane d’un émerveillement qui semble plus ou moins de l’imaginaire, porte le cachet de vérités transcendant toutes les images. Et ce sont ces vérités qui, par leur vocation scientifique, incitent l’homme à contempler la nature. Contempler pour comprendre pourquoi cette nature ainsi ordonnée a été créée pour lui et prédisposée pour répondre à ses besoins en fonction de l’évolution de ses moyens et de la complication de sa vie. Contemplation qui doit non seulement ouvrir les yeux sur ces ressources naturelles que présente la terre, mais les cœurs sur leur Donateur afin de l’adorer et de le glorifier. Et c’est là le secret du style parabolique du Coran qui, en cherchant par ces signes-symboles à promouvoir une recherche scientifique sous l’angle de sa guidance tend à rendre l’homme à la plénitude de son humanisme.

Voilà comment la terre, pourvoyeuse de signes, met l’homme à travers ses découvertes devant sa réalité d’Etre insuffisant auquel il manque tout pour être tout. En se présentant comme un super-organisme vivant, nourricier, qui sait conserver ses ressources pour les desservir au temps convenable par le produit convenable, la terre productive, créée pour l’homme, ne cesse de lui conter ses histoires afin de le sensibiliser par sa responsabilité et son devoir dans la préservation de son harmonie originelle. Une harmonie qui lie l’homme à son origine terrestre, celle qui, des racines fait pousser le tronc qui porte les feuilles vertes porteuses d’énergie. Une harmonie dont la notion révélatrice de la splendeur divine doit être entretenue contre toute dissociation entre le beau et l’utile : (Voyez-vous le feu que vous faites apparaitre. Est-ce vous qui avez créé son arbre ou en sommes Nous Le Créateur. Nous en avons fait un rappel et une utilité pour les usagers. Glorifie donc le nom de ton Seigneur, le très Grand) (LVI, 71-74).

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Références bibliographiques :

BENMESBAH A. (2000) : Place des Rides sud-rifaines par rapport au domaine méditerranéen au Messinien. XI Congress of regional committee on mediterranean neogene stratigraphy. Fes 27-30 sept. 2000, p. 75.

CITA M.B. (1979) : Quand la Méditerranée était asséchée. La recherche, 107, Paris : 26-36.

HSU K .J. , MONTADERT L., BERNOUILLID., CITA M.B., ERIKSON A., GARRISON R.E. , KIDD R.B., METIERES F., MULLER C. & WRICHT R. (1978) : history of the Mediterranean salinity crisis. In << Hsu K.J., Montadert L. Et al. Rep. Deep sea Drill. Prof.>>, 42, Washington : 1053-1078.

MARS C. (1988) – Sous le sel, l’or noir. Nice matin, 27 sept. 1988.

ROUCHY J.M. (1982) : La genèse des évaporites messiniènnes de Méditerranée. Mém.  Mus. Natn. Hist. Nat. ,(C), 50, Paris, 267p.



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