LE CORAN INSTAURE LES ASSISES D’UNE VIE QUI NOUS LIBÈRE

Par Abdelilah BENMESBAH – Université Ibn Tofail – Maroc

En présentant son discours qui incite à chercher, le Coran tend à travers l’intégration des trois sphères de connaissance (le perceptible, le compréhensible et le révélé) à élaborer un champ d’investigation où les consignes appelant à l’observation, la réflexion et la contemplation, ne sont guère des boulets, mais des bouées de sauvetage qui ont pour mission de nous libérer et non de nous soumettre. Malheureusement, une lecture littérale de ses textes ne fait apparaître que leur côté apparent, qui dans le cas de ces consignes, donne un aspect illusoire de soumission. Alors qu’une lecture de sens fait apparaître ces consignes comme des bijoux du fait qu’elle met le lecteur dans la plénitude de leurs notions fondamentales, celles qui le libèrent de ses complexes illusoires.

Ainsi, lorsque le Coran nous appelle à proclamer l’unicité et la grandeur de Dieu, il nous libère de notre polythéisme et nous met dans le sens du monde, ce sens qui relativise tout pouvoir, tout avoir et tout savoir. Lorsqu’il nous ordonne à nous prosterner dans la prière devant Dieu, il nous libère de notre égoïsme et nous met dans notre propre humanisme, celui qui nous permet de reconnaitre notre insuffisance. Lorsqu’il nous conseille de faire le jeûne, il nous libère de notre sensualité, de notre convoitise et de nos désirs appétissants, afin de nous faire sentir ce que vivent les démunis. Lorsqu’il nous recommande la « zakat » comme prélèvement obligatoire sur la fortune, il nous libère de notre avidité matérialiste et nous donne les prescriptions de réforme pour une justice sociale. Lorsqu’il nous invite à faire le pèlerinage (le hadj), il nous libère de notre individualisme et nous réintègre à l’unité, à la totalité et à la signification de l’univers où la tentative première pour l’homme était de vivre divinement sa vie dans la liberté des humains, leur égalité et leur fraternité qui sont au cœur de l’événement, les principes vivifiants qui firent la grandeur de l’Islam.

Ce sont là les vraies valeurs de la liberté, car être libre c’est ne pas être possédé par ce qu’on possède, et l’homme en tant qu’être humain, ne devient vraiment libre que lorsqu’il s’émancipe de soi même, de ses désirs, de ses appétits qui le rendent esclave de ses passions. C’est ainsi que l’homme pourra tant donner sans attendre de récompense de l’autre.

En plus de ces actions libératrices que nous dissimule le révélé, les bienfaits de ces actions sont sans limites. A cet égard, je ne trouverai pas mieux que d’apporter un témoignage scientifique paru dans la revue française « Sciences et Vie » sur le rôle de la prière dans le renforcement de la mémoire (Sc. & Vie hors série, 265, p. 128) : « En 2004, le neurologue Yakir Kaufman, du Sarah Herzog Memorial Hospital de Jérusalem, constatait que la religiosité semblait retarder la progression de la maladie d’Alzheimer. En étudiant 68 personnes âgées de 49 à 94 ans atteintes de la maladie, il remarqua que ceux qui assistaient à des événements religieux et priaient régulièrement voyaient leur déclin cognitif quelque peu ralenti par rapport aux autres. Reste à savoir si le bien-être spirituel apporte une réponse supérieure au bien être psychique en général. Une équipe israélo-américaine a par ailleurs mis en évidence le bénéfice de la prière sur le risque de démence légère (simples défaillances de la mémoire) : sur les 778 personnes étudiées (des femmes arabes de plus de 65 ans en majorité musulmanes), celles qui avaient eu l’habitude de prier entre 20 et 60 ans semblaient présenter un risque moindre de déficience cognitive légère que celles priant moins fréquemment. L’étude n’a cependant pas pu établir les causes exactes de cet effet protecteur, même si les auteurs avancent l’hypothèse de l’impact cognitif possible de la prière sur les fonctions de mémorisation et de concentration. », fin de citation !

Cette action de la prière sur le renforcement de la mémoire s’avère raisonnable du moment que le principe fondamental de la prière est l’humilité (al khochoo). Pendant ce moment de la prière accomplie cinq fois par jour, l’être humain se coupe de tout ce qui le lie à cette vie et se branche avec l’autre où il entre en contact direct avec Dieu. A ce moment là, son humilité lui fait vivre l’état psychique le plus agréable qu’il ne peut vivre à aucun autre moment. Et voilà que ses neurones se relaxent pour reprendre après, leur activité avec plein de vitalité.

Donc être humble dans sa prière c’est vivre le top de la concentration avec Dieu, surtout pendant la prosternation (assoujoud) où le front de la tête est en contact direct avec la terre en direction de la Mecque. Là, le lobe frontal du cerveau contenant l’aire de mémorisation se trouve en interaction intime avec le champ gravito-magnétique terrestre dont la Kaaba, point de départ des continents, localisée au milieu de la masse continentale terrestre, se trouve à l’axe reliant la terre au ciel. Pour cela, nous trouvons dans le Hadith du Prophète (salut et bénédiction d’Allah soient sur Lui) que « plus proche est l’homme de son Seigneur qu’il est prosterné ». (Mouslim 1/350)1, faisant allusion à ce que l’homme pendant sa prosternation rentre en interaction avec la terre par des mots qui seront directement entendus dans les cieux. Ainsi lorsqu’on fait ses cinq prières par jour chacun envoie le salut (salam) 12 fois à lui et à tous ceux qui font le bien, et reçoit réciproquement par jour 12 fois le salut de ceux qui font la prière, soit une douzaine de milliards de salam relativement au nombre des musulmans dans le monde qui répètent le même salut dans leurs prières sans compter celui des anges et des djinns. Et c’est là le top de joie de la liberté que l’homme peut vivre.

Cela en ce qui concerne les cultes, alors que dans les comportements, lorsque le Coran nous prohibe le vin, c’est pour veiller à notre santé et donner renfort à notre sureté sociale. Lorsqu’il interdit les intérêts dans nos transactions financières (le riba), c’est pour promouvoir l’économie en sécurisant l’argent contre toute accumulation unilatérale des richesses. Lorsqu’il interdit les jeux d’argent, c’est pour éviter tout ce qui peut en découler de pertes, de haines et d’agressions. Lorsqu’il interdit les relations sexuelles hors du mariage, c’est pour éviter les mélanges généalogiques qui peuvent semer le chaos dans la société. Lorsqu’il prodigue à la femme de porter le voile, c’est pour la vénérer et la protéger des regards nocifs qui peuvent porter atteinte à sa chasteté : (Dis aux croyants de baisser leurs regards et de garder leur chasteté. C’est plus pur pour eux. Allah est certes, parfaitement Connaisseur de ce qu’ils font. Et dis aux croyantes de baisser leurs regards, de garder leur chasteté et de ne montrer de leurs atours que ce qui en parait et qu’elles rabattent leurs voiles sur leurs poitrines) (XXIV, 30-31). Donc un voile qui, d’après le sens du verset, loin d’être un signe religieux, comme certains le considèrent, est plutôt un outil qui a une fonction, celle de protéger la femme contre toute sorte de harcèlement et de la mettre dans le respect des hommes. Ce n’est pas non plus, comme le propagent les opposants, un gage de soumission, mais plutôt un moyen de libération du moment qu’il permet à la femme de gérer son corps librement de la façon qui ne provoque pas de séduction et la libère de cette image agaçante qui peut l’empêtrer dans la turpitude.

Mais, si nous lisons ce verset une lecture littérale, il peut nous apparaitre comme une restriction qui cache dans ses lettres une contradiction ; comment Dieu a créé pour nous les yeux et nous dit de ne pas voir, puis comment Il a créé la beauté et nous recommande de baisser le regard pour ne pas la voir ? Cela semble embarrassant, alors que si nous le lisons une lecture de sens et nous réfléchissons bien aux dimensions de sa recommandation, nous le trouverons au top de la miséricorde et de la providence divine, car il appelle à sauver l’homme de l’esclavage que peut lui réserver ce regard. Cela étant car, le regard conduit à l’attachement qui conduit à l’emprisonnement au sein de l’autre. Alors que Dieu veut pour l’homme la liberté, une liberté qui le transcende de la beauté sensuelle à la beauté éternelle. Mais voulant que cette recommandation ne soit requise pour un ordre de soumission, Dieu a proclamé à son Prophète : (Si ton Seigneur l’avait voulu, tous ceux qui sont sur la terre auraient cru. Est-ce à toi de contraindre les gens à devenir croyants ?) (X, 99).

Donc cette beauté sensuelle contre laquelle le Coran nous met en garde n’est qu’une tentation pour tester notre foi et le bon sens de notre instinct qui nous relient à la beauté suprême, sans laquelle l’homme devient féroce, emprisonné dans les filets d’une beauté qui l’entraine du désir dans l’humiliation du plaisir. Et c’est là le sens et l’essence de la mise en garde contre ce regard, car l’homme s’il ne se conforme pas aux consignes de ce verset, perdra sa liberté et tombera dans l’esclavage de ses passions : (Vois-tu celui qui prend sa passion pour sa propre divinité ? Et Allah l’égare sciemment et scelle son ouïe et son cœur et étend un voile sur sa vue. Qui donc peut le guider après Allah ? Ne vous rappelez-vous donc pas ?) (XLV, 23).

Ainsi toute relation sexuelle hors du mariage inhibe le rôle principal de la relation entre l’homme et la femme qui est la production sociale, et tout abus conduit au détournement du plaisir vers une consommation qui n’a d’issue que de gaspiller cette noble énergie, nécessaire à la construction des civilisations, dans des projets de destruction. Pour cela l’Islam incite au mariage, c’est là où l’amour atteint son apogée car la femme en se mettant dans les bras de l’homme ne lui dit pas je veux coucher avec toi, mais lui dit je veux vivre toute ma vie avec toi sous un toit où tu seras père de mes enfants dont j’aurais la fierté qu’ils portent ton nom.

C’est comme ça que l’Islam protège la femme, une protection qui vise la préservation de sa spécificité et le respect mutuel entre elle et l’homme, une protection qui est à la vertu de la société, car elle est à la base de la réussite de la vie conjugale où chacun des deux époux doit jouer son rôle. Si la femme perd son caractère féministe et se comporte comme un homme, cette spécificité sera rompue et elle va jouer dans son foyer le rôle d’un deuxième père et le père aussi. Chose qui se répercute sur les enfants par de mauvais effets psychiques qui peuvent avoir de mauvaises conséquences sur le plan social. Pour cela et vu que l’homme en tant que père est censé être chargé de la subsistance de sa femme et de ses enfants, le Coran lui a donné droit à 2/3 dans l’héritage contre 1/3 pour la femme. Comme ça, l’homme, vues ses obligations de veiller aux besoins de son foyer, va dépenser ces 2/3 au moment où la femme dispensée de toute charge garde son héritage intact. Ainsi la femme serait en fin de compte plus fortunée car elle encaisse tout, au moment où l’homme par les charges qu’il doit assumer dépense tout.

Donc ce qui peut apparaître pour le simple lecteur du Coran comme des ordres de soumission sont en fait des voies de libération qui viennent nous affranchir de notre vision réductionniste vers la vision globale du monde où les consignes de cette sphère du révélé ne sont pas la législation d’un code mais l’expression d’un mode de vie que sollicite notre comportement. Chose qui fait du révélé un monde conforme à la raison et de la raison une voie dans la contemplation du révélé.

Dans cette optique, un bilan concret des valeurs libératoires prodiguées dans les textes du discours coranique, montre que toute proclamation nous apparaissant de soumission, est en fait une annonce de libération qui nous émancipe de nos idées errantes et réprime nos passions appétissantes. Autrement si l’Islam était une religion de soumission, Dieu n’aurait pas présenté ce monde aux gens par des signes paraboliques qui, par leur style exploratoire, laissent le choix libre à toute réflexion. D’autre part Il n’aurait pas choisi pour cette mission comme prophète un orphelin, pauvre et sans pouvoir sur les gens. Il aurait plutôt choisi un roi, un chef guerrier ou un homme de pouvoir pour soumettre les gens et leur imposer une orthodoxie dans la pensée qui dicte une vision unique du monde. Mais au contraire, Dieu a choisi un illettré qui ne savait ni lire ni écrire : (Et avant cela, tu ne récitais aucun livre, et tu n’en écrivais aucun de ta main droite. Si non, ceux qui nient la vérité auraient eu des doutes.) (XXIX, 48). Donc un messager démuni de tout pouvoir, de tout avoir et de tout savoir, mais plein de compassion et de miséricorde pour assembler les gens malgré la divergence de leurs pensées : (Il est venu à vous un Messager pris parmi vous, auquel pèsent lourd les difficultés que vous subissez, qui est plein de sollicitude pour vous, qui est compatissant et miséricordieux envers les croyants) (IX, 128).

D’où la nécessité de rendre le savoir à Dieu Qui, lorsqu’Il nous engage par nos efforts dans la contemplation du monde, vise inscrire nos actes à notre actif. Ainsi, en accouplant la science à la transcendance nous sollicitons Sa récompense. Une récompense que nous offre ce mariage qui permet d’entreprendre dans la bonne voie de la connaissance, celle qui nous libère de nous même, de notre individualisme, de notre positivisme qui sont autant des défauts qui nous égarent dans le matérialisme destructeur. Et c’est là la grande joie du scientifique, d’unir le sens et l’efficacité afin d’emprunter une voie où la foi serait en même temps une religion de beauté et une morale de l’action.

صحيح مسلم بن الحجاج النيسابوري (ت 261 هـ) – بيروت: دار الكتب العلمية. (1)

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