Par Abdelilah BENMESBAH – Université Ibn Tofail – Maroc
Lorsque Dieu a voulu orienter l’homme vers la recherche de l’évolution environnementale de la terre, il lui a tracé dans le Coran une démarche investigatrice en quête de la restitution de son histoire en annonçant :
(Dis : parcourez la terre et voyez comment Il (Allah) a commencé la création, puis Allah crée la génération ultime. Certes, Allah est Omnipotent) (XXIX, 20).
Pour nous mettre sur cette démarche, le verset coranique nous prescrit cinq recommandations qui sont en fait cinq instructions qui se succèdent dans son texte de la façon suivante :
- D’abord le mot « Dis » qui sous entend un ordre que le Coran dicte à l’homme pour chercher.
- « Parcourez la terre » qui désigne la notion d’espace comme première dimension dans la recherche.
- « Voyez comment » qui résume toute la démarche scientifique de l’observation à l’hypothèse à l’expérimentation.
- « Allah a commencé la création, puis Allah crée la génération ultime », qui fait signe à la notion de temps traduite par la durée séparant le début de la création de sa génération ultime, indiquant le temps comme deuxième dimension dans la recherche.
- Enfin l’expression « Allah est Omnipotent » qui vise la vérité absolue à laquelle devraient converger toutes les vérités relatives qui résultent de cette démarche.
De ces consignes et de leur succession dans le verset, nous réalisons comment le discours coranique focalise la recherche dans ce domaine entre deux axes : l’un horizontal désignant l’espace comme première dimension, l’autre vertical indiquant le temps comme deuxième dimension. Donc un concept spatio-temporel que le Coran nous préconise pour la reconstitution de l’histoire de la création. Un concept que nous allons essayer de discuter pour dégager les tendances générales de cette démarche dans la résolution de la question de l’évolution environnementale de la terre.
Dans l’histoire évolutive de la terre, chaque environnement exprime, à un moment donné, un domaine de vie et de sédimentation à la fois assez particulier et assez général pour être représentatif des conditions du milieu au temps considéré. Il constitue donc l’expression d’une entité spatio-temporelle que ses caractéristiques rendent suffisamment distincte pour être identifiée à l’échelle de l’histoire évolutive de la terre tant sur le plan vertical (le temps) qu’horizontal (l’espace). Mais ce qui a été constaté avec le progrès des reconstitutions paléo-environnementales, c’est que ces caractéristiques peuvent se répéter dans le temps traduisant une sorte de rétroaction au niveau des expressions que livre l’espace.
En effet, dans les reconstitutions des environnements anciens, les études comparatives permettent de constater à l’échelle des temps géologiques le retour, dans les environnements actuels, de conditions passées. Mais entre environnement ancien et environnement actuel rien ne permet de dire que les causes qui ont déterminé le passé sont celles qui gouvernent le présent. Chose qui réclame beaucoup de prudence et incite à considérer l’environnement non comme une simple répétition de faits dans le temps, mais comme un ensemble de systèmes en interaction fonctionnelle régis par des interrelations complexes spécifiques de l’époque considérée.
La restitution d’un paléo-environnement et du bilan énergétique de ses systèmes ne peut alors être déduite que de l’évaluation des différents flux d’énergie photonique, thermique, mécanique, chimique, gravifique qui l’ont traversé depuis sa genèse et durant toute son évolution. Du fait que cette évolution est constamment marquée par le cachet biologique qui imprime sur elle une double origine bio-sédimentaire, le chercheur dans sa restitution se trouvera face à des fossiles corporels et des traces fossiles qu’il doit intégrer dans la lecture de cette histoire évolutive portée sur les successions de moments que matérialisent les strates et inter-strates de la série sédimentaire qui en conserve les indices.
Une recherche axée sur la reconstitution des causes, des agencements et des processus relatifs au passé d’après les traces et les effets dont témoignent les dépôts sédimentaires réclame beaucoup de prudence et toute la fiabilité des résultats repose sur le choix de la méthode.
En effet, plus un système subit de transformations au cours de son histoire géologique, plus sa reconstitution est difficile et imprécise. Ainsi, si l’on cherche à interpréter les phénomènes du passé par ceux du présent, la démarche peut nous impliquer dans la transposition pure et simple de l’écologie dans le passé géologique. Chose qui peut nous entraîner dans des interprétations erronées du fait que l’on va appliquer généralement ce que l’on cherche précisément à contrôler. Mais en prenant en considération la nécessité de faire intervenir la notion de temps au même titre que la notion d’espace comme le prescrit le verset précité : (Dis : parcourez la terre et voyez comment Il (Allah) a commencé la création) (XXIX, 20), où le parcours de la terre désigne l’espace et le commencement de la création le temps, le procédé d’étude permettra de situer l’examen des relations analogiques au niveau des déductions finales. Donc permettra de dégager les traits essentiels du paléo-environnement en y situant les événements dans un contexte qui leur est propre, et non pas transposé à partir de milieux actuels.
De ce fait, puisque l’activité biologique d’un environnement est liée directement à son activité sédimentaire, la série sédimentaire, prise dans son intégralité lithologique, structurale et paléontologique que livrent ses strates, doit constituer un registre d’intérêt majeur pour la compréhension de l’histoire spatio-temporelle de l’environnement. Le Coran nous en a informés lorsqu’il a annoncé que la terre contera tout ce qu’elle a enregistré : (ce jour là, elle contera son histoire) (IC, 4).
La reconstitution de ce lien spatio-temporel ayant commandé l’évolution bio-sédimentaire des environnements de la terre nous apprend que chaque environnement est le reflet d’un équilibre complexe résultant de l’interaction entre composants biogènes et composants non biogènes à différents âges et dans différentes régions. Notre connaissance de l’état actuel des environnements bien qu’elle constitue une base pour la compréhension de leur passé, ne doit en aucun cas constituer un modèle à extrapoler aux environnements anciens.
Pour cela, si nous voulons amorcer cette discussion que nous avons avancée sur l’évolution des environnements bio-sédimentaires, il serait d’usage d’intégrer le principe de causalité en cherchant à établir une analyse comparative entre les causes du passé géologique et leurs équivalentes actuelles.
Si la logique dicte qu’à chaque effet il y’a une cause, et que les mêmes causes dans les mêmes circonstances conduisent aux mêmes effets, notre démarche dans la reconstitution des faits anciens va nous mettre devant une grande problématique, celle du « temps ». La question qui sera alors posée : avons-nous le droit de considérer que les causes qui ont déterminé le passé géologique sont les mêmes que celles qui gouvernent l’actuel, ou y’a-t-il une évolution des causes qui ne permet pas la transposition du présent sur le passé et interdit par là toute interprétation des traces du passé par les données de l’actuel ?
C’est cette question qui pourra nous mettre sur le point de savoir si les phénomènes bio-sédimentaires que nous observons actuellement sont capables de nous expliquer le passé ou s’il faut admettre que les environnements anciens ont été régis par des causes anciennes différentes des causes actuelles, une question qui devient d’autant plus insistante que les reconstitutions portent sur des ères géologiques anciennes où plus le temps est long, plus les reconstitutions sont difficiles et imprécises. Pour cette raison le Coran nous recommande le parcours de la terre afin de nous mettre sur les points de la terre où peuvent affleurer les traces de l’ancien.
En effet, la machine sédimentaire a produit durant ses dernières phases, allant du Primaire au Quaternaire (500 millions d’années), des quantités de sédiments plusieurs fois plus grandes que ce qu’elle avait produit pendant ses premières phases étendues sur tout le Précambrien (4 milliards d’années). Cette différence dans le rythme et le taux de sédimentation est due à l’évolution progressive et croissante qu’a connue la surface de la terre d’un socle magmatique solide vers des terrains sédimentaires de plus en plus tendres. Evolution qui était en rapport avec une sorte de nivellement de la terre l’ayant initiée à la prolifération de la vie : (Et la terre, Nous l’avons étendue. Et de quelle excellente façon Nous l’avons nivelée !) (LI, 48).
Donc on constate bien qu’il y a une évolution des causes qui se déroule selon un rythme croissant avec la progression de la vie, de sorte que l’abondance de plus en plus grande de roches carbonatées que nous constatons dans les séries sédimentaires au fur et à mesure qu’on monte dans la stratigraphie, devrait être considérée comme une conséquence logique de la progression de la vie.
Cette progression qui est en rapport avec l’évolution des causes géologiques, met le chercheur devant de grandes contraintes quant au choix de la méthode à préconiser dans la reconstitution des environnements sédimentaires anciens.
Si les équilibres bio-sédimentaires que nous livrent actuellement le terrain, constituent des moyens pour la compréhension des mécanismes géologiques de la terre, ils restent sur le plan analogique de simples modèles de comparaison avec le passé et ne peuvent former les moyens de son interprétation. Cela étant car, en raison des transformations des paysages de la terre avec le temps et de l’évolution des formes biologiques qui y sont adaptées, les causes anciennes pourraient être bien différentes des causes actuelles.
Dans une étude que j’ai menée dans le Jurassique des Rides sud-rifaines au nord-ouest du Maroc, dans laquelle nous avons constaté que la région a enregistré avant 180 millions d’années une sédimentation marine à alternance marno-calcaire, j’ai pu dégager dans une assise à faune condensée du jbel Outita une très grande richesse de lamellibranches fossiles des genres Montlivaltia, Astarte et Trigonia, associés dans le même banc, en position de vie, et avec les deux valves bien conservées en connexion (Benmesbah, 1988). Chose qui veut dire qu’au niveau stratigraphique correspondant à cette assise sédimentaire, ces trois formes biologiques ont vécu en association dans le même biotope. Alors qu’actuellement, les études écologiques montrent que ces trois genres vivent dans des milieux tout à fait différents. Le genre Trigonia vit dans les mers chaudes des côtes australiennes, le genre Astarte dans les mers froides et le genre Pholadomya au fond des océans.
Donc, des formes biologiques qui, au Jurassique cohabitaient dans le même biotope, s’isolent actuellement chacun dans son milieu différent. D’où le défaut de la méthode actualiste qui cherche à transposer les processus du présent sur le passé. Cette méthode très controversée, vues les arguments qu’on a avancés, applique l’actualisme qui consiste à interpréter les phénomènes du passé à partir de leurs homologues présents. Or, vu le facteur temps qui est fort agissant sur l’évolution des interrelations bio-sédimentaires, comme on l’a constaté dans le verset coranique, la méthode ne doit pas se contenter de comparer dans le temps uniquement les restes biologiques, mais doit chercher plutôt à intégrer l’ensemble des données du milieu à reconstituer, tant en ce qui concerne son organisation structurale que sa lithologie et son peuplement fossile. D’où l’appel du Coran à parcourir la terre : (Dis : parcourez la terre). Cela permettra de dégager les traits essentiels et originels du paléo-milieu à partir des évènements autochtones ayant eu lieu entre organismes et leurs propres milieux et non pas à partir de processus transposés des milieux actuels.
Donc les secrets d’un environnement ancien ne peuvent être pénétrés qu’en interrogeant directement les différents intervenants qui sont en relation intime avec les conditions particulières du milieu générateur. A la tête des ces intervenants : les organismes biologiques dont les fossiles constituent une phase organique ayant été à un moment donné partie intégrante dans le déterminisme de l’environnement en question.
Etant donné que l’être biologique croit et évolue sous l’influence du milieu, les phénomènes de complication dans le temps des variations apparaissant dans l’évolution des séries sédimentaires peuvent être lus aussi sur le fossile lui même.
Ainsi se dégage, l’idée d’existence de traits communs entre l’évolution de l’organisme et celle de son milieu qui donnent à l’évolution un sens défini par des formes de plus en plus compliqués, permettant de concrétiser l’idée d’existence de lois qui instaurent pour chaque période ses propres causes sans aucune avance dans leurs délais ni retard. Chose qui fait des environnements sédimentaires un enchaînement de termes se succédant dans une harmonie qui exprime un ordre assigné à la terre depuis sa création. Enchaînement dont les stations temporelles ne sont que l’aboutissement d’expressions, chacune à son moment convenable comme l’annonce le Coran : (Chaque échéance a son terme prescrit. Allah efface ou confirme ce qu’Il veut et l’Ecriture primordiale est auprès de Lui) (XIII, 38-39).
L’homme, vue sa logique d’interprétation évoluant avec le temps, ne peut cerner toutes ces expressions. Son raisonnement basé sur l’observation, l’expérimentation et la déduction, peut, sous la contrainte du facteur temps, facilement virer vers le faux. Chose qui met la pensée humaine devant la nécessité de réviser sa position par rapport à ces variantes naturelles déterminées par l’évolution spatio-temporelle. Autrement, comment interpréter par les causes actuelles l’énigme de la construction des pyramides d’Egypte, ou l’intemporalité de transfert du trône de la reine de Saba, ou l’ingéniosité des mystérieux tracés rituels des Incas, alors que ces événements portent les marques de temps dont les causes ont été ensevelis avec les faits ?
Ce sont là des questions qui posent grand point d’interrogation sur la théorie de l’évolution darwinienne qui propose pour reconstituer l’origine de l’homme un simple modèle linéaire, alors que l’évolution telle qu’on la constate d’après cette analyse bio-sédimentaire se déroule avec sagesse et selon un schéma beaucoup plus compliqué que ce que laisse supposer le modèle darwinien. Questions qui forment le paradoxe qui a exposé et expose encore la théorie aux différentes attaques. Celle-ci, en partant de l’idée que l’ensemble des espèces terrestres y compris l’homme descendent d’un ancêtre commun par spéciation au cours de laquelle le hasard et la contingence ont joué grand rôle, met toute la démarche scientifique devant le désarroi.
Pour être crédible, une reconstitution doit porter sur l’originalité des faits, tirée de la synthèse des différentes données complémentaires recueillies du terrain, comme on l’a expliqué, et non pas sur des trouvailles paléontologiques isolées dont la portée philosophique fait l’émerveillement de la théorie. Si cette théorie considère l’évolution comme une lanière commandée par la spéciation dont le moteur serait les mutations hasardeuses, comment interpréter alors les extinctions qui viennent s’exposer à chaque fois comme des obstacles ?
Les dinosauriens, ces créatures géantes, ont dominé la terre pendant 165 millions d’années avant de s’éteindre il y’a 70 millions d’années, époque à laquelle s’étaient éteints presque 65% des espèces vivantes. Bien avant, entre l’ère primaire et secondaire, il y’a 250 millions d’années, la terre a enregistré l’extinction de presque 90% des espèces. Puis la vie continue. De nouveaux équilibres se sont succédés aux anciens disparus, dans un ordre bien déterminé et selon des lois parfaitement établies prouvant que les extinctions ne sont pas le sort du hasard, mais des manifestations de la règle générale qui instaure à chaque échéance ses propres causes afin d’établir de nouveaux équilibres et préparer la terre aux nouveaux arrivants. Autrement, comment l’homme, cet être faible, aurait pu coexister avec ces horribles ravageurs que sont les dinosauriens dont le gigantisme de taille incite à réfléchir sur le rapport d’équilibre ayant existé entre eux et leur milieu dans la chaîne trophique de l’époque.
En effet, les populations biologiques qui se sont succédées et qui se succèdent encore sur terre sont, tel qu’il est dit dans le Coran, des communautés comme celles des humains 🙁Nulle bête marchant sur terre, nul oiseau volant par ses ailes, qui ne soient comme vous en communautés. Nous n’avons rien omis d’écrire dans le Livre. Puis, c’est vers leur Seigneur qu’ils seront ramenés) (38, VI). Donc des communautés qui sont destinées à occuper leurs places et à jouer leurs rôles respectifs dans la succession des environnements de la terre, de sorte que dès qu’une communauté arrive à terme, elle disparait et cède la place aux nouveaux arrivants, tel qu’on peut le concevoir par approbation du verset 49 de la Sourate X qui dicte : (A chaque communauté un terme. Quant leur terme arrive, ils ne peuvent ni le retarder d’une heure ni l’avancer).
Ainsi dite, cette règle qui harmonise la succession des communautés avec l’évolution de la terre, ne permet aucune analogie du passé avec l’actuel, mais peut-être d’en envisager certaines applications pour nuancer ou étayer les déductions ainsi obtenues. Pour cela le Coran nous recommande la recherche sur terrain : (Dis : parcourez la terre et voyez comment Il (Allah) a commencé la création) (XXIX, 20). Une recherche où la plus grande difficulté du chercheur réside dans le fait de replacer les êtres disparus dans leur contexte vital. Un contexte qui ne peut être mis à découvert que par le parcours de la terre sur l’extension des ses couches sédimentaires qui, en conservant profondément les restes de ces êtres primitifs, peuvent affleurer en certains points où les effets de la tectonique (plissement) et de l’érosion, les dégagent faisant ainsi apparaître leurs registres fossilifères où l’on peut lire les traces et indices du commencement de la création.
D’où la pertinence du discours coranique qui impose le parcours de la terre comme démarche indispensable et nécessaire pour démanteler les traces de la vie passée. Une vie dont la reconstitution des processus et des équilibres ne peut être qu’approchée car elle repose sur l’observation de faits dont les causes premières restent introuvables nécessitant un ensemble d’arguments qui doivent se compléter et se confirmer mutuellement des différents domaines qu’on a cités.
Ainsi apparait la tendance générale de la démarche investigatrice prescrite par le Coran, une démarche qui envisage, par le parcours de la terre : (parcourez la terre et voyez comment) l’ensemble de la région étudiée, tant sur le plan de son organisation structurale que sédimentaire que paléontologique, et ce pour établir une base de données au moyen de laquelle seront confrontées toutes les observations mises en œuvre. Ce qui permettra alors de grouper tous les arguments dans une convergence où pourront être réellement envisagées les interactions ayant sévi entre les divers organismes et entre ceux-ci et leurs paléo-milieux, et où chaque fait serait l’aboutissement de ses propres causes, celles qui permettent de comprendre la signification des incidences éventuelles de l’époque, et non d’appliquer à priori ce qu’il conviendrait précisément de démontrer.
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Références bibliographiques : Benmesbah A. (1988) : Les paléoenvironnements sédimentaires et biologiques des Rides sud-rifaines occidentales (Maroc). Essai de reconstitutions paléoécologiques à l’Aaléno-Bajocien, au Miocène et au Pliocène. Thèse Doctorat 3° cycle. Univ. Nancy I, 165 p.
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