LA ROCHE DANS LE CORAN : UN SUJET À CONTEMPLER

Abdelilah Benmesbah – Département de Géologie – Université Ibn Tofail – Maroc

Parmi les aspects transcendants de la roche, son état d’interaction avec le monde que le Coran assimile, dans son explicite description, à l’état de fidélité des cœurs humains. Cette description coranique divise le monde des roches en trois classes que la géologie approuve aujourd’hui après de longues études et d’importants efforts de recherche.

Dans cette description, le Coran nous expose les roches par ordre génétique des racines qui sont les roches magmatiques aux branches qui sont les roches métamorphiques et sédimentaires en annonçant avant 15 siècles : (Puis vos cœurs se sont endurcis. Ils sont devenus comme la roche ou même plus durs encore. Et certes parmi les roches, il y’a celles desquelles explosent les rivières, et il y’a certes parmi elles celles qui se fendent pour qu’en surgisse l’eau et il y’a certes parmi elles celles qui s’affaissent par crainte d’Allah) (I, 74).

Si on essaie de chercher dans cette hiérarchie descriptive que nous relate le Coran, les traits de similitude avec ce qu’enseigne la pétrographie moderne, on trouve que la classification adoptée par la géologie actuelle est tout à fait conforme au discours coranique. Elle divise les roches en trois classes principales :

1-Les roches magmatiques (ignées) qui proviennent du magma profond de la terre qui, en se refroidissant par montée à la surface, se consolide, soit lentement encastré dans la croute terrestre donnant ainsi les roches dites plutoniques comme le granite, soit rapidement en surface donnant les roches volcaniques comme le basalte.

Ces roches sont à l’origine de toutes les autres roches car elles ont été les premières à monter du magma fondu au début de la formation de la croute terrestre. Durant toute l’histoire géologique de la terre, les grandes éruptions volcaniques qui ont généré  la croûte basaltique primitive, n’ont cessé de faire couler ce matériel magmatique fondu, en rivières de laves sur la surface de la terre suite à sa montée et son épanchement sur elle.

2-les roches métamorphiques issues de la transformation d’anciennes roches de la croûte terrestre par augmentation soit de la température suite à leur contact avec un magma chaud intrusif, soit de la pression sous l’effet d’une une compression régionale.

C’est dans cette classe qu’on trouve les roches qui se fendent et libèrent l’eau : sous l’effet d’une augmentation de température ou de pression due au métamorphisme, certaines de ces roches cristallisent en libérant l’eau, d’autres se schistosent et se déshydratent. Les schistes sont des roches métamorphiques qui proviennent d’anciennes argiles qui, sous l’action de la pression du métamorphisme, se débitent en plaquettes et libèrent de l’eau après transformation de l’argile minérale en andalousite.

3-Les roches sédimentaires résultant du dépôt, à la surface de la terre, de matériaux issus de l’érosion de roches mères pré-existantes, magmatiques, métamorphiques ou même sédimentaires anciennes. L’accumulation de ces dépôts avec le temps imprime sur la roche une compaction proportionnelle au taux de sédimentation enregistré. Sous l’action de la pression lithostatique croissante causée par la charge des dépôts sus-jacents, les roches sous-jacentes voient leur épaisseur diminuer. Elles s’affaissent alors en chassant les fluides interstitiels de leur corps et en réduisant leur porosité à un taux proportionnel au degré de compaction qu’elles ont subi.

Dans cette troisième classe, je trouve qu’il est intéressant de nous arrêter sur cette faculté d’affaissement que le Coran a exposée et dont le mécanisme était inspirant pour l’homme dans ses applications géotechniques.

L’homme par son intelligence et par son contact avec la roche, a toujours cherché à exploiter la roche dans ses besognes. A partir de sa réflexion sur les mécanismes de genèse des roches sédimentaires diagénétiquement lithifiées qui subissent donc un affaissement par compaction naturelle, il est arrivé actuellement à fabriquer des matériaux en terre régénérés sous technique de « géocompression ». Ainsi l’homme par exploration de la nature a pu promouvoir des projets créatifs qui prennent la nature comme référence expérimentale pour l’inspiration de modèles alternatifs  de relance vers un monde de créativité scientifique à conscience en même temps économique et écologique.

En s’intéressant au domaine de construction, l’homme chercheur s’est trouvé contraint d’imiter l’efficacité de la roche naturelle qui dépend en premier lieu de sa dureté et de sa densité. Ces deux caractéristiques sont le résultat de sa composition minéralogique et de son intensité de compaction diagénétique. Pour cela la démarche technique pour la confection de produits similaires lui a valu de s’efforcer à tout investir sur ces deux volets minéralogique et diagénétique tout en respectant les normes écologiques qui cherchent à préserver l’environnement. 

En général, tout ce qui se dépose sur terre subit la compaction avec le temps. Celle-ci désigne la baisse d’épaisseur que chaque dépôt manifeste sous la pression de charge croissant avec son enfouissement.

Les matériaux en terre comprimée que l’homme est arrivé à produire, obéissent au même principe mais avec un mode opératoire beaucoup plus court dans le temps, leur assurant une parfaite efficacité vis-à-vis des propriétés de dureté, de densité, d’étanchéité et d’insolubilité.

Ces propriétés dépendent à leur tour de la nature minéralogique de la roche mère et de l’intensité de compression qu’a subie la masse préparée déterminant ainsi la structure et la texture des matériaux confectionnés.

Et voilà que l’homme par son interaction avec la nature a pu élaborer des produits efficaces, sous technique de compression qui génère des compactions mécanique et chimique similaires à celles que la diagénèse applique naturellement aux roches sédimentaires. La seule différence étant l’échelle du temps où la compaction diagénétique naturelle dure des milliers, voire des millions d’années sous l’action de la pression lithostatique, alors que les matériaux fabriqués sont générés par une force de compression excessivement élevée qu’on leur applique durant quelque minutes.    

L’opération clé dans toutes ces transformations étant la déshydratation sous pression où la dessiccation de la masse sédimentaire aboutit à son durcissement avec transformation de certains minéraux en d’autres (opale → quartz, argile → schiste), et cimentation où l’eau, une fois expulsée de la roche, contribue à la concentration du liquide interstitiel activant ainsi des réactions de précipitation à l’origine de la naissance du ciment de la roche.  

Par analyses au laboratoire, il a été constaté que l’évolution diagénétique d’une roche naturelle peut être divisée en quatre étapes principales de durées inégales et croissantes. Ces étapes commencent par la phase I qui consiste en un ensemble de réactions biochimiques favorisées par l’activité précoce des carbonates et de la silice. La plus grande partie de la matière organique est détruite, les tests aragonitiques, calcitiques fragiles et la plus grande partie de la silice biogénique dissous. En même temps se produisent des dégagements de gaz (CO2, H2S, NH3).

Dans la phase II intervient la néoformation pendant laquelle l’eau interstitielle chargée en produits de dissolution organique circule encore dans le sédiment. Cette phase concerne les sulfates, oxydes métalliques ou silicates variés (opale, zéolites, argiles).

La phase III comprend la cimentation qui est le remplissage du vide de la roche par migration ionique puis par précipitation de quartz, calcite, argile, oxydes de fer. Elle comprend aussi le concrétionnement qui se produit par concentration autour d’un nucléus des éléments chimiques mobilisés au cours des phases précédentes qui peut donner des nodules et des concrétions.

La phase IV comprend :

– La déshydratation qui correspond au départ d’eau accompagné d’une recristallisation à proximité des contacts entre les grains où s’effectuent des dissolutions différentielles par pression. La roche devient alors plus homogène par suite de l’occupation des vides résiduels par des minéraux néoformés dont les ions ont une origine très locale : silice, argile, quartz, feldspath…etc.

– La compaction qui correspond à l’induration de la roche sous l’action de la pression d’enfouissement.

– La métasomatose ou épigénie qui correspond au remplacement sous forte pression des minéraux instables par des minéraux stables sans changement de forme (exemple : dolomitisation, silicification , ferruginisation).

Après la phase IV, si la température et la pression continuent à augmenter pendant l’enfouissement de la roche, on passe progressivement aux diverses zones du métamorphisme puis à l’anatexie. 

Si on prend l’exemple des matériaux argileux, l’argile soumise à une pression d’enfouissement croissante répond par une diagenèse qui se manifeste progressivement par la persistance de la porosité, donc de d’eau. Puis avec l’augmentation de l’intensité de compaction due à la forte charge d’enfouissement, l’eau est expulsée permettant de développer la cristallisation des grains de quartz et de feldspath. A ce stade, les transformations sont irréversibles.

Voilà comment cet enchaînement de phases, qui de l’état meuble des roches à leur état induré, met l’eau au cœur du processus comme agent responsable de toute transformation. En réfléchissant sur cette analogie de faits, le scientifique par lecture du révélé se trouve face à un monde d’émerveillement qui ne cesse d’inspirer son intelligence.

En méditant sur les phénomènes naturels, le scientifique s’est toujours trouvé face à des mystères de la nature auxquels il cherchait à accéder pour donner des interprétations et en déduire des modèles d’imitation qui puissent répondre aux besoins de l’homme. Mais ce n’est que lorsque la science a su comment s’harmoniser avec les lois universelles de la nature qu’elle a pu établir ses modèles efficacement.

Or le discours coranique en ficelant ce lien entre la réflexion qui est le moteur de la démarche exploratrice et les lois fondamentales de l’univers qui restent ses horizons, tendait toujours à rétablir cette harmonie. Une harmonie qui, ayant toujours été à l’origine de l’inspiration scientifique de l’homme, devrait rester toujours à la base de sa pensée technique.

Pour cette fin, le Coran a évoqué plein de signes dans l’univers dont il nous parle par paraboles afin que nous réfléchissions. 

Certes le Coran ne détient pas les réponses à toutes les questions scientifiques ou techniques, mais il nous pousse par son style parabolique exploratoire à chercher pour les trouver en nous donnant les codes d’accès à leurs mystères.

Donc le Coran, en nous traçant les itinéraires d’accès aux phénomènes de la nature, ne nous met pas directement sur leur découverte, mais dans la voie de leur exploration en nous rapprochant petit à petit de leurs secrets et en nous livrant les clés de compréhension de leurs mécanismes.

Pour cela, il nous a été prescrit, pour emprunter le chemin droit d’invoquer Dieu en répétant dans notre prière, 17 fois par jour : (Guide nous au chemin droit) (I, 6). Un chemin où l’être humain s’efforce à tendre vers la rectitude de l’univers où de l’atome à la galaxie tout gravite dans son propre orbite : (Et c’est Lui (Allah) Qui a créé la nuit et le jour, le soleil et la lune, chacun voguant dans une orbite) (XXI, 33).

Ainsi, le Coran en étant étiqueté sur ses passages de signes qui enthousiasment notre réflexion sur les mécanismes de la nature, détient dans son discours la guidance vers la rectitude de son fonctionnement. Une guidance qui en nous éclairant la voie de la réflexion, nous trace le bon chemin à suivre : (Certes, ce Coran guide vers ce qu’il y’a de plus droit, et il annonce aux croyants qui font les bonnes œuvres qu’ils auront une grande récompense) (XVII, 9).

L’un des aspects de cette guidance coranique étant sa description parabolique du monde des roches. Dans cette description, on voit, d’après ce que nous venons d’exposer, comment le Coran nous fait signe, à travers son illustration symbolique, à un des mécanismes fondamentaux de la consolidation des roches sédimentaires, à savoir la compaction.

Avec une contemplation basée sur la compilation d’idées inspirées de cette description que nous livre le Coran et en établissant cette correspondance entre le durcissement des roches et leur degré d’affaissement, on voit comment le Coran nous oriente vers la nature à partir de simples mécanismes naturels qui peuvent être investis dans l’accès à de grands procédés industriels. En assimilant bien ces idées, on peut, par expérience en élaborant une masse de terre convenablement choisie et préparée à qui on fait subir un affaissement à moyen d’une presse hydraulique, confectionner par exemple des matériaux très homogènes, de hautes qualités de dureté, de densité qui ne se fendent, ne se débitent et ne se frittent pas. Tout cela parce que l’eau annoncé par le Coran comme étant l’élément de tendreté des roches et qualifié par la géologie comme étant l’agent d’altération responsable de leur fragilisation, a été chassée de la masse par compression.

Voilà comment le Coran, en rehaussant notre pensée à un symbolisme où le sens échappe aux perversions d’une lecture littérale, nous met sur la voie de la bonne compréhension des mécanismes de la terre.

L’eau, cet agent actif qui intervient de plusieurs façons, si elle a été symbolisée par le Coran comme étant l’agent de vivification de la terre, c’est par ce qu’elle a un rôle déterminant dans la transformation de la roche qui est la matière fondamentale de la terre. Ainsi, le Coran par cette description allégorique de la roche, assimile l’action de l’eau sur elle à celle de la croyance sur les cœurs, car les cœurs, s’ils sont devenus durs, c’est parce qu’ils se sont emballés dans des étuis qui les ont isolés des consignes qui leur viennent du ciel. Un isolement qui est tout à fait similaire à celui qu’éprouve la roche vis-à-vis de son milieu extérieur, ce milieu avec lequel elle ne peut échanger de matière et d’énergie que lorsqu’elle s’en approvisionne en eau qui est l’agent de transport qui lui véhicule les éléments nécessaires à sa transformation. Donc, de la même façon que les roches s’adoucissent et se transforment par l’eau venant du ciel, les cœurs s’apaisent et s’ouvrent au rappel de Dieu par les signes qui ne cessent de les interpeller de la terre et des cieux.    


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