LE DISCOURS CORANIQUE ET L’ENTHOUSIASME SCIENTIFIQUE

(Abdelilah Benmesbah – Département de Géologie – Université Ibn Tofail – Maroc)

De même qu’une science menée dans la bonne voie ne peut que mener à la transcendance, une bonne lecture du Coran ne peut que nourrir le gout pour la science. Pour cela, le Coran, en nous impliquant par son style exploratoire dans les signes de l’univers, veut semer en nous l’envie de raisonner. Une envie qui ne se cerne ni dans le temps ni dans l’espace, mais qui s’ouvre sur l’évolution des connaissances depuis la révélation.

Par évocation de ces signes à portée scientifique, le Coran, en nous parlant par paraboles, tout en soulignant qu’il vient confirmer les révélations antérieures depuis Abraham jusqu’à Jésus, utilise la méditation comme un art de communiquer de façon indirecte à l’aide de figures qui embrassent, dans leur configuration scripturaire, toutes les étapes de nos connaissances. Son but étant de donner au lecteur, par le biais de la réflexion, une matière qui lui sert de sujet pour reconstituer les idées nécessaires à sa compréhension, selon une latitude intellectuelle qui ne heurte pas l’actualité scientifique.

Pour cela le Coran expose ses signes dans un ton narratif qui donne au lecteur un suspens semblable à celui qu’éprouve le chercheur devant les merveilles de la nature. En mettant le lecteur sur la voie du signifié tout en voilant par l’expression son sens stricte, le Coran par son langage parabolique, cherche à créer des pluralités de significations valables à tous temps, qui permettent des interprétations adéquates avec l’évolution de la pensée humaine : (Telles sont les paraboles que Nous citons aux gens et seuls les savants les raisonnent) (XXIX, 43).

De là, on voit comment le Coran, en évoquant des modèles complexes à caractères miraculeusement scientifiques, comme le ciel en toit sans piliers ou les montagnes en piquets ou encore la mer portée à ébullition, ces modèles où les faits nous font penser à d’autres, relie par la pensée le signe au réel, et permet par là de tisser avec le lecteur une relation de raisonnement empathique, lui donnant envie d’améliorer ses capacités mentales, qui des signes et symboles, permettent d’illustrer de façon indirecte les solutions : (Et ces paraboles Nous les citons aux gens afin qu’ils réfléchissent) (LIX, 21).

Donc le style exploratoire du Coran permet au lecteur de se mettre en équilibre avec sa pensée scientifique tout en lui permettant à partir de son comportement affectif d’évoluer de manière optimale. Ainsi l’homme penseur pourrait donner sens à sa vie. Un sens qui dépend largement du mode d’expression de ses émotions.

Malheureusement, la science contemporaine par son parcours trop objectif, qui s’appuie sur des conceptions trop mécanistes, renonce à tout dire de ce sens et semble détruire, par frustration des émotions, toute tendance chez le scientifique de réagir affectivement.

En vérité, la science par ses progrès, réalisés dans différents domaines a apporté et apporte encore à l’humanité. Mais parmi tant de problèmes qu’on attribue à son parcours actuel, celui que pose son influence objective sur la subjectivité du chercheur parait le plus aigu. Cette influence à effet discret, abordé souvent dans un contexte polémique, s’explique par le fait que la science, par postulats d’objectivité, s’impose par ses axiomes théoriques et pratiques comme une doctrine où la solution aux problèmes est donnée par définition exactement référentielle loin de toute sensibilité artistique ou éthique. Ce qui dans plusieurs cas met le scientifique dans des situations de désaccord avec soi-même, car il se trouve guidé dans une voie de distinction du sujet et de l’objet, une voie qui définit la réalité indépendamment de celui qui l’observe. Alors que dans le style exploratoire du Coran, le discours tend à unifier ces deux éléments en se rapportant aux jugements et aux sentiments du sujet pensant, comme sont unifiés dans le monde les choses et leurs mouvements ou encore la matière et son énergie.

Hors de cette unité qui régit le monde, la science en s’efforçant à ne pas admettre l’impensable en prétendant tout comprendre par le pensable, plonge le monde de la recherche dans un matérialisme destructeur, car le scientifique à force de chercher à étudier les choses en n’éprouvant aucune interaction avec elles, donc en prenant ses distances à leur égard, se trouve égaré dans un monde d’abstraction à toute question relative à la morale et par là dans le culte de la science qui ne peut être absorbé par la civilisation, mais au contraire peut courir à son effondrement.

En principe, chaque chose n’est définissable qu’à travers son interaction avec le monde, avec sa beauté, avec son harmonie qui déterminent le contexte général de son fonctionnement. Conçue hors de ce contexte, toute manipulation scientifique ne peut qu’immerger l’humanité dans les horreurs de la destruction et de la déstabilisation.

De ce fait, la pression objective naissant de cette influence sans cesse croissante des méthodes et des savoirs scientistes – qui ne cherchent à faire la science que pour la science -, si elle n’est pas absorbée par la force affective individuelle, peut faire de l’entreprise scientifique une machine de détérioration des facultés subjectives de l’homme. Cela étant, car un abus d’objectivité ne peut courir que vers le refoulement de la sensibilité de l’homme et la dévaluation de ses sensations, de sorte que le scientifique ne voit que ce qui est perceptible ou acquis et passe à côté de l’essentiel qui peut être autant une vérité qu’un indice.

Or cette manière d’aborder le monde ne peut accéder à sa vérité car l’objectif de la science n’est pas seulement de prescrire l’étude des atomes, des galaxies ou des acides aminés, mais de s’interroger sur l’au-delà de leurs mystères qui ne peut être donné par une objectivité sèche qui guide l’action technique souvent sectorielle, mais par une subjectivité conjointe qui mène l’action morale plutôt globale. Et plus la science est loin de cet objectif, plus elle devient vaine dans ses objets et peut non seulement plonger le monde du savoir dans une paresse qui prétend pouvoir tout expliquer par les conceptions mécanistes, mais anéantir l’esprit indépendant, celui qui cherche à trouver la vérité des choses par une connaissance analytique génératrice d’explications intelligibles.

En effet, la nature, pourvoyeuse de faits nous enseigne que les bonnes observations doivent nous conduire aux bonnes théories qui nous révèlent cette intime interdépendance entre les objets et nous. Ces observations doivent nous rendre conscients de notre subjectivité ; celle qui de la recherche des causes à effets n’entraine pas un affaiblissement de notre sensibilité. Donc du moment que l’homme n’est pas un rouage, mais une créature composée d’un corps et d’une âme, il lui appartient de se prouver lui-même qu’il est en mesure de réagir affectivement en formulant des jugements de valeur, des admirations de beauté, des sympathies d’amour et qu’il n’est pas un robot qui ne ressent rien. Sa connaissance devrait alors interférer d’une façon harmonieuse et équilibrée entre l’esprit logique qui cherche à comprendre les choses par la raison et l’esprit émotionnel qui par le cœur tend à atteindre leur vérité.

C’est cet état d’équilibre entre ces deux types d’esprit que cache l’art de communiquer dans le Coran et c’est lui qui guide l’homme dans sa vie et lui offre l’intelligence nécessaire pour affronter ses problèmes, et non pas ses facultés académiques qui s’arrêtent au seul niveau de l’objectivité et négligent tout caractère de subjectivité. De là, les émotions peuvent être investies dans la mobilisation des compétences et facultés intuitives de l’homme ; cet être qui, comme il commence sa vie toujours dans un monde de subjectivité, doit y progresser d’une façon bien équilibrée et atteindre sa maturation dans son harmonie sans qu’il ne se détourne par les contraintes de l’objectivité vers un monde de contradictions avec soi même.

L’homme, ce facteur clé pour tout changement, s’il est créé pour vivre et peupler la terre, c’est aussi pour connaitre en éprouvant ses sentiments, ses sensations dans l’invention des styles de vie sans que l’attitude scientifique ne fasse obstacle au développement de ses facultés subjectives. Autrement dit, l’état de conformité et de complémentarité entre sa perception des choses et sa façon de les concevoir ne doit en aucun cas pousser la pratique assidue de son travail scientifique à dessécher son âme. Ce serait une impasse, une perte de bonheur car de la même façon que l’homme éprouve une sensation à l’égard du monde qui l’environne, celui-ci éprouve envers lui une sensation pareille.

Dans ce monde, la roche étant l’exemple le plus parlant de cette intimité de sensation entre l’homme et la terre. Celle-ci par son interaction mutuelle avec l’homme préserve dans ses registres les traces de tout ce que celui-ci a commis dans sa vie. Mais l’homme par son abus d’objectivité naissant de sa sensation naïve de suffisance, se fait beaucoup d’incomplétudes dans la compréhension de cette interaction mutuelle entre lui et la terre. Son intelligence qui le met à l’écart de ses sensations et lui donne satisfaction de tout comprendre, le fait passer à côté des choses sans atteindre une affirmation définitive de leur vérité.

L’homme « géologue » par exemple qui, par objectivité considère la roche comme étant une matière inerte régie par un simple déterminisme mécanique, comment interprétera-t-il ses systèmes interactifs s’il n’accède pas à son fond et interpelle par ses sensations sa limpide cristallographie ? C’est là qu’il va découvrir ses mystères où chaque cristal lui relate la splendeur d’équilibre de ses assemblages atomiques où chaque atome est la configuration d’électrons qui gravitent autour d’un noyau dans le sens contraire des aiguilles d’une montre. C’est là qu’il va se rendre compte qu’il est devant un merveilleux système qui fonctionne selon un sens qui, dans l’univers, est unifié dans son unité. Ne réalise-t-il donc pas que ce sens étant celui que tous les astres empruntent dans leur gravitation : la terre autour de son axe polaire, la lune autour de la terre, la terre avec sa lune autour du soleil ainsi que tout corps céleste dans sa gravitation galactique ? Un sens qui –faut-il le rappeler- a été révélé à l’homme pour tourner autour de la Kaaba depuis que celle-ci a été inaugurée sur terre. Une Kaaba dont la forme plus ou moins cubique, à l’origine de la parfaite symétrie des systèmes cristallins connus par l’homme, symbolise par sa position emblématique au centre de la masse continentale terrestre, un état de parfaite unité et de totale conformité entre le créé et le révélé! Donc ce n’est qu’en réprimant son fond sensationnel par une objectivité oblitératrice que l’homme devient sans aucune aptitude à ressentir les intuitions du monde interactif. Son raisonnement reste alors partiel amputé de l’essentiel qui peut tout dire sur les secrets du monde. Pour cela le Coran évoque souvent, par son style symbolique, la parabole comme moyen d’éveiller l’esprit de raisonner chez le lecteur et le met par là devant sa responsabilité.

Cette place capitale qu’occupe la terre dans le discours coranique, par rapport à ce monde des cieux si vaste dans lequel elle est suspendue, remonte à son statut de demeure pour l’homme ; cet honoré conçu dès le commencement de l’univers. Cet homme auquel les expressions coraniques s’adressent dans un imaginaire où les concepts et les mots cachent dans leurs niveaux de significations une raison qui l’incite à chercher, a toujours été au cœur du sujet de la terre par le biais de messages qui avaient pour mission d’éveiller en lui ses qualités originales d’Etre parfait auquel a été confiée la responsabilité de cette terre afin qu’il en soit fait un usage conforme au pacte fondamentale qu’il assume depuis son existence sur elle.

Pour lire les secrets de ce pacte avec une telle raison, conformément à la rigueur intellectuelle de chaque temps, le Coran propose des signes-symboles incitant à lire le monde dans sa totalité en tant que système de relations internes où la signification demeure au niveau de ces relations. En se penchant sur ces relations internes qui forment aussi l’intégralité du texte coranique, on comprend pourquoi la terre a été distinguée par cette place privilégiée qu’elle occupe dans le Coran. Les signes scientifiques que le Coran ne cesse de symboliser dans la morphologie, la structure et le dynamisme de la terre en font une source inépuisable d’émerveillement livrant des certitudes qui ne cessent de révéler des anticipations divines de bien des découvertes modernes : (Et dans la terre, il y’a certes des preuves pour ceux qui croient avec certitude) (LI, 20)

A cet émerveillement, le Coran nous adresse par des ouvertures d’imagination qui rendent possible, dans la conscience du lecteur, l’émergence du rationnel où les certitudes scientifiques, par preuve de conformité avec les vérités coraniques, développent une attitude rationnalisante qui fait appel précisément à notre intelligence. Une intelligence qui n’est pas au sens d’une simple attitude de fascination ou d’un simple acte d’envoûtement, mais d’une expérience de contemplation qui suscite l’admiration de la création dans sa bonté qui est celle du Créateur Qui, par cette notion capitale d’émerveillement, éveille en l’homme sa disposition affective de raisonner.

Ainsi toute tentative de détruire par postulat d’objectivité cette unité entre le créé et le révélé qui est aussi une complémentarité entre le cœur et la raison, réduit la réalité scientifique aux concepts et mutile l’homme de sa dimension transcendante. Une dimension que si la science a su exploiter avec sagesse n’aurait jamais déchu son statut de flambeau explorateur à la recherche de la vérité. Mais puisque la vision subjective demeure persécutée par la vision objective qui se montre déterminante, la science bien qu’elle construit par abondance de moyens, détruit par manque de fins.

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