COMMENT LA SCIENCE MÈNE À LA TRANSCENDANCE

Abdelilah Benmesbah – Département de Géologie – Université Ibn Tofail – Maroc

Les vérités scientifiques que le monde de la recherche ne cesse de dévoiler répondent pleinement à cette question. Les aspects merveilleux de cette terre si intelligente qui révèlent la vérité de la création, nous montrent comment la science par son caractère exploratoire à la recherche de la vérité ne peut que mener à la transcendance. Mais ce n’est que lorsque la science a rompu les rapports entre l’homme, la nature et Dieu qu’elle s’est égarée dans cette accablante aventure de la maîtrise de la nature et de l’homme. Pourtant son embarquement dans une telle aventure ne signifie pas que son bilan soit totalement négatif, mais que son apport soit relativisé, car émanant de sources où la raison à elle seule ne peut tout expliquer. Donc reprocher à la science d’avoir fondé ses postulas sur une raison non éclairée par la transcendance revient à réviser ses liens tant perdus avec le monde de la révélation.

En effet, la méditation sur les phénomènes de la nature, leurs mécanismes et leurs significations rend évidente cette vision transcendante des choses. Ceux-ci portent la marque d’objets éclairés par la lumière de Dieu, le Créateur Qui les a perfectionnés et a insufflé en l’homme le pouvoir de les visionner afin qu’il réfléchisse. Donc ces objets qui animent notre vie et stimulent notre contemplation sont en fait des miroirs qui reflètent, à travers la perception, la compréhension et la révélation, l’extraordinaire Puissance créatrice de Dieu. Par conséquent ce sont des créatures qui reflètent la lumière du Créateur. Et voir ces objets en dehors de ce contexte nous expose non seulement à l’errance dans l’obscurité mais à la cécité, puisque ces objets sont des références réfléchissant Son Etre qu’on ne saurait voir du fait qu’Il est Lumière par quoi tout devient visible : (Lumière sur Lumière) (XXIV, 35). Pour cela, Dieu nous a référé à ces objets que Sa lumière éclaire, afin qu’on parvienne à travers leur reflet (le perceptible) et par le biais de notre intelligence (le compréhensible) à Le connaitre pour approuver ce qu’Il nous a enseigné (le révélé).

Or le regard scientifique contemporain, enfermé entre l’observation et l’expérimentation, reste loin de cette optique, puisqu’il a exclu cette vision réfléchissante de son champ. Il relève d’un sens qui échappe à la raison, car en privant la démarche scientifique de cette vision réfléchissante des objets et révélatrice de leur sens, ce regard camoufle la vérité et immerge la pensée scientifique dans des idées purement matérialistes.

Heureusement que le monde n’est pas fait uniquement de procédés mécaniques, mais aussi de sentiments qui attirent l’esprit du chercheur. Donc puisque le monde n’est pas uniquement de la matière et vu que les projets et les sentiments du scientifique ne sortent pas des projets et des sentiments de l’univers, il est tout à fait raisonnable de parler d’unité entre l’esprit humain et la structure du monde. Cela étant car, bien que le sens de l’univers n’est ni observable ni détectable, il apparait au scientifique de plusieurs points de rencontre entre ce qu’il découvre par ses projets de recherche et ce que lui révèlent ses sentiments.

Ainsi, du fait qu’une grande partie du réel reste voilée derrière la non-séparabilité entre l’esprit humain et la structure du monde et vu que la science ne peut découvrir par les seules niveaux de perception et de compréhension qu’un seul aspect de la réalité ; celui qui est apparent, il est de l’intérêt de la démarche scientifique d’intégrer un troisième niveau de connaissance, qui complète les deux niveaux du perceptible et du compréhensible, à savoir le révélé comme intuition fondamentale d’un univers hors du temps, de l’espace et de la matière.

C’est cette rencontre entre ces trois niveaux de connaissance qui pourrait engendrer l’événement de ce millénaire, et promouvoir la recherche scientifique en proposant les solutions aux problèmes contemporains et futurs. L’exclusion de l’un de ces trois niveaux handicape le parcours de la vérité et ne saurait donner souffle à une raison susceptible de compatibiliser et équilibrer, dans une harmonie, les satisfactions scientifiques avec les convictions spirituelles. Cela étant car cette question de sens que soulève notre vision du monde ne peut être résolue que dans une discipline charnière à la jonction entre la science et la croyance. Dans ce contexte, la science avec ses théories ouvre la voie sur la compréhension des énigmes cachées entre les lettres de ce monde et permet à partir de là de donner des explications à leurs réalités.

La croyance quant à elle permet sur base d’inspiration divine d’orienter la recherche scientifique vers d’autres formes de connaissance qui apportent également des lueurs sur le sens de ces réalités.Ainsi, du moment que le savoir de l’homme a toujours été enraciné dans ces trois niveaux de connaissance, différents mais complémentaires : le niveau du perceptible, le niveau du compréhensible et le niveau du révélé, il est tout à fait clair que la vérité à laquelle la science tend, ne peut émaner que de la jonction de leurs sphères. La sphère du perceptible fournit les données que l’homme perçoit par ses sens. La sphère du compréhensible capte, par la force de l’intelligence, ce qui échappe aux sens. La sphère du révélé apporte des données d’un monde que le perceptible et le compréhensible ne peuvent y accéder, et ce par inspiration divine.

Donc explorer le monde hors de cet esprit d’équilibre entre ces trois sphères de connaissance qui est aussi esprit de méditation sur son sens, nous égare dans les prétentions absolutistes de la science, et lire ses sentiments hors de ce contexte de complémentarité qui est en fait un contexte libératoire nous prive de la vision exploratoire que nous apprend le Coran. Autrement dit, en essayant de développer nos connaissances du monde sans nous référer à la jonction entre ces trois sphères de connaissance, nous nous confrontons à de grands désarrois qui ne seraient qu’une anomalie pour la science. De même qu’en cherchant à comprendre tous les concepts du monde en nous livrant uniquement aux signes cachés entre les lignes des textes révélés, nous désertons la participation active aux aventures contemporaines de la science. Cela étant car la destinée de la science n’est pas l’exploration du monde sous ses aspects uniquement matériels ou uniquement spirituels, mais la recherche au sein de leur harmonie de notions qui puissent présager ses vérités éternelles.

Ces vérités qui échappent aux exploits actuels de la science mais qui se tracent dans ses horizons transcendants, seraient alors l’aboutissement d’une recherche à trois niveaux d’investigation :

  • Le niveau du perceptible qui exprime les réalités en objets pouvant être perçus par nos sens.
  • Le niveau du compréhensible qui, en mettant les réalités à l’abri de nos sens, les garde en secret pour notre intelligence.
  • Le niveau du révélé qui, au dessus du perceptible et du compréhensible, nous inspire des vérités surnaturelles émanant du divin.

Ainsi, dans notre monde, la vérité ne peut émaner que de l’interférence entre ces trois niveaux qui sont aussi trois sphères de connaissance : la sphère du perceptible qui illustre l’expression des choses réelles pouvant être perçues par les sens, la sphère du compréhensible où la raison traduit la faculté intellectuelle d’esprit par laquelle l’homme peut par intelligence connaître et juger des faits disparus du monde du concret mais ayant laissé leurs traces dans le monde du discret, et la sphère du révélé qui manifeste l’action divine inspirant à l’homme des vérités que ses sens et son intelligence ne sauraient découvrir.

De cette vision tridimensionnelle des choses se reconstitue l’image réelle du monde. Une image dont la netteté est déterminé par l’équilibre qui doit s’établir entre les trois angles d’un triangle isocèle où l’angle du perceptible supporte les choses substantiellement sensibles, l’angle du compréhensible supporte les choses absentes par elles-mêmes présentes par leurs traces, et l’angle du révélé supporte les choses absentes du perceptible et du compréhensible, qui ne peuvent être conçues que par l’inspiration divine.    

Pour instituer une science permettant de mieux appréhender la vérité de l’existence, il nous convient de lire le monde dans l’unité et la complémentarité de ces trois sphères, en prenant le perceptible comme niveau d’observation, le compréhensible comme domaine de réflexion et le révélé comme source d’inspiration dont le style parabolique de ses textes demande à faire usage de la raison pour en percevoir le véritable sens. C’est cette démarche qui peut nous mettre sur la bonne voie de compréhension du sens du monde, car le lien indissoluble existant entre ces trois sphères de connaissance fait que leurs vérités ne puissent jamais se contredire.

Donc entreprendre dans la rectitude de la science, revient à s’engager dans l’investissement équitable de ces trois sphères de connaissance qui, en fait, doivent s’élargir et se développer avec le développement des connaissances de l’homme. A l’intersection entre ces trois sphères, devrait s’élaborer un champ d’homogénéité connective où la connaissance du monde doit évoluer en harmonie avec l’évolution des facultés sensorielles, mentales et spirituelles de l’homme. Facultés qui, en dépit de nos existences matérielles, n’obéissent pas aux seules quatre dimensions que l’on connait dans notre monde physique, mais se déroulent, depuis le berceau jusqu’à la tombe, avec une vélocité stimulée par une autre dimension qui sort du cadre de l’espace et du temps, faisant que des choses qui n’étaient que des rêves deviennent des réalités. Et c’est là le secret de l’imaginaire que nous livre le Coran qui, en nous fascinant par les merveilles de la terre, nous met sur la voie de son exploration en nous traçant l’itinéraire à suivre: (Dis : parcourez la terre et voyez comment Il (Allah) a commencé la création, puis Allah crée la génération ultime. Certes Allah est Omnipotent) (XXIX, 20). Il nous expose par cette démarche les faits en nous entraînant progressivement dans leurs contextes du perceptible (parcourez la terre) au compréhensible (voyez comment) pour nous mettre en fin sur le révélé (Allah est Omnipotent).

Ce verset coranique qui nous trace la voie à suivre dans notre recherche de la vérité, évoque ces trois niveaux d’investigation : le premier niveau est donné par l’expression « parcourez la terre » où la terre désigne le domaine du perceptible dont le parcours nous permet d’envisager par l’œil nos observations. Le deuxième niveau est donné par l’expression « voyez comment » où le terme « comment », à la base des sciences contemporaines, sous entend la réflexion qui fait appel à notre intelligence comme porte d’accès au compréhensible (pour comprendre, il faut réfléchir). Le troisième niveau est donné par l’expression « Certes, Allah est Omnipotent » qui est le but final à atteindre, désignant le révélé comme notion fondamentale ultime et condition nécessaire et suffisante pour l’atteinte de la vérité.

Si nous ne suivons pas cet itinéraire, nous nous égarerons tout simplement dans la perdition : (Puis quant ils viennent (à l’autre monde), (Allah) dira : « avez-vous traité de mensonges Mes signes alors que vous ne les avez pas embarrassés de votre savoir ? Ou qu’est ce que vous faisiez alors ? » Et la parole leur tombera dessus à cause de leurs méfaits. Et ils ne pourront rien dire.) (XXVII, 84-85). Et là on voit comment le manque d’une de ces trois sphères de connaissance devient une ignorance qui peut impliquer l’homme non pas uniquement dans des explications erronées, mais dans des interprétations mensongères qui le rendent injuste et aboutissent à sa damnation, puis comment cette situation éloigne l’homme de la vérité du monde et l’immerge dans la colère de son Créateur. Une colère qui, par le ton de l’interpellation, « Qu’est ce que vous faisiez alors ? » traduit la gronderie et la blâme que subira l’homme par sa négligence des signes que cet univers ne cesse de lui pourvoir pour l’empêcher de tomber dans la dénégation.


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