Par Abdelilah Benmesbah – Département de Géologie – Université Ibn Tofail – Maroc
Heureusement que la terre est vêtue d’une écorce solide qui voile l’engrenage infernal de son fond. Autrement comment l’homme aurait pu marcher et vivre sur son toit, si celui-ci lui permettait une vision directe sur son fond tourbillonnant ?
La terre est une planète à fond très chaud. Les produits des éruptions volcaniques qui s’épanchent à sa surface révèlent des températures et des pressions de ce fond excessivement élevées. Les ceintures de failles qui constituent ce qu’on appelle les dorsales médio-océaniques prouvent également cette chaleur excessive du fond de la terre. Elles sont le siège d’un volcanisme basaltique sous marin avec en certains points des sources hydrothermales desquelles jaillissent des eaux très chaudes. En remontant vers le plancher océanique, les eaux infiltrées par les fissures de la croûte puis chargées en soufre à leur passage par le manteau inférieur très chaud, propulsent de sources chaudes (fumeurs) desquelles sont libérées aussi des gaz et des minéraux à une température voisine de 300°C au fond de la mer (Fig. 1).
Cet état de bouillonnement que manifestent les fonds océaniques, le Coran nous en a informé avant 15 siècles lorsqu’il a annoncé par serment solennel : (Et par la mer portée à ébullition) (LII, 6). Une information que l’on trouve aussi signalée dans un récit du Prophète Mohammad que le salut et la bénédiction d’Allah soient sur Lui, qui dicte : « Ne t’embarques en mer que pour le pèlerinage ou pour la conquête dans la voie d’Allah. Il y a sous la mer du feu et sous le feu une mer » (Sunane Abi Daoud : 3-6 :2489).
Cette réalité révélée à une époque où personne n’avait les moyens de plonger à 4000 ou 5000 mètres pour nous décrire ces horribles ceintures infernales des fonds marins, était durant tous ces 15 siècles voilée à cause de l’inaccessibilité du monde sous marin à l’aventure humaine. Mais aujourd’hui, elle se dévoile grâce aux expéditions océanographiques qui ont pu accéder à ces fonds et filmer avec détails ces cracheurs de feu qui sillonnent le paysage sous marin.
Une telle superposition entre deux entités antagonistes ; l’eau et le feu parait d’après nos raisonnements scientifiques impossible, car l’eau éteint le feu et le feu évapore l’eau. Mais avec les témoignages que rapportent les travaux d’expédition sous marine, cette image de coexistence de l’eau avec le feu devient une réalité que l’on ne peut révoquer. Les rifts et les grands fumeurs qui crachent le feu du magma forment une bonne part du plancher océanique, et au dessous de ces cracheurs de feu, la géologie des roches magmatiques est parvenue aujourd’hui à démontrer des zones de saturation en eau dans le manteau. Une saturation qui prouve ce qu’a mentionné le récit prophétique qui a fait signe d’existence d’eaux sous les feux des fonds océaniques. Cette saturation en eau qui a lieu sous les feux du plancher océanique provient du fait que dans les zones de subduction où l’activité volcanique sous marine atteint son maximum, la plaque plongeante voit son matériel basaltique se transformer en amphibolite dans une première étape, puis en éclogite plus en profondeur. A chacune de ces étapes, il y’a libération d’importantes quantités d’eau qui accélèrent la fusion des minéraux en diminuant leur domaine de stabilité. Ce qui rend le manteau visqueux.
En parallèle, les couches sédimentaires qui s’empilent sur la croûte terrestre, à cause de l’oxygénation et de la colonisation par le vivant, sont gorgées d’eau. Donc constituent des réservoirs importants d’eau. Emportées par les plaques tectoniques vers les zones de subduction, ces couches finissent par plonger avec leurs réserves d’eau dans le manteau en fusion. En injectant leurs eaux dans le manteau, les sédiments jouent alors le rôle, comme l’a expliqué Tilman Spohn qui dirige l’Institut de recherche planétaire du DLR, l’agence spatiale allemande, jouent le rôle « de tuyaux par lesquels l’eau de la surface de la Terre est conduite dans les profondeurs, et plus il y’en a, plus le tuyau est gros ! »1.
Cette eau qui constitue presque 40% en moyenne du volume total des roches sédimentaires en plus de celle qui provient de la fusion des roches magmatiques, est à l’origine de la viscosité des matériaux qui fluidifie la circulation des produits dans les couloirs de convection du manteau. Chose qui maintient l’état visqueux du magma, qui ne cesse de tourbillonner dans les couloirs de convection, et lui permet de s’épancher, lorsqu’il trouve issue, sur le plancher océanique sous forme de produits en ébullition (Fig. 2). Ce spectacle qu’illustrent ces ceintures de feu dans les profondeurs sous marines, le Coran l’a désigné dans le verset précité (LII, 6) par le terme arabe « masjour » qui veut dire enflammé ou porté à ébullition.
Sur le plan statistique, on évalue la longueur totale de ces ceintures délimitant les plaques tectoniques à deux fois et demie la circonférence terrestre. Le taux de fabrication de la croûte est estimé à 5 cm par année dans les zones de faible extension comme l’Océan atlantique et à plus de 10 cm dans les zones de forte extension comme l’Est du Pacifique où la fabrication de la croûte atteint 12 km3 par année.
Les dimensions que révèle cette bande de fractures du plancher sous marin (70000 km de long, sur 2000 à 3000 km de large) traduisent qu’elle occupe entre le 1/3 et le 1/4 de la surface des océans, donc l’équivalent de la proportion des continents par rapport à la surface de la terre. Cette grande fréquence de failles et de flexures qui affectent le plancher océanique, en plus de l’immense fracturation que présente le domaine continental prouve que la croûte terrestre n’est pas un seul bloc mais une multitude de parcelles où le fendage est la principale caractéristique, comme le mentionne le Coran : (Et par la terre qui se fend) (LXXXVI, 12), (Et dans la terre il y’a des parcelles voisines les unes des autres) (XIII, 4). Des mentions qui montrent que la terre est dotée d’un pouvoir extraordinaire d’autorégulation de manière que celle-ci, entre son fond chaud et sa carapace froide, a su organiser plus finement ses cicatrices au long de ses parcelles qui sont ces plaques tectoniques rigides qui flottent sur son manteau chaud et mou. La mention (se fend) que le Coran a utilisée pour désigner la structuration de la terre, prouve avec une précision scientifique sans équivoque, que l’opération est autogérée avec sagesse par la propre dynamique terrestre.
Cette activité continue de la croûte nous révèle un superbe mécanisme de recyclage de la matière : la fabrication de la croûte dans ces gigantesques usines sous marines, commence par un épanchement au niveau des zones d’extension entre plaques. En remontant du magma vers la surface, la coûte nouvelle qui va se créer par refroidissement et consolidation est encore molle comme une patte à tartiner. Au fur et à mesure qu’elle remonte, elle se refroidit et s’épanche sur la surface, prolongeant la croûte première par poussées successives ; comme lorsqu’on aplatit une boule de pâte par un rouleau pour en faire de la tartine elle se dilate latéralement et s’étend par poussées successives à la manière des ondulations qui s’étendent dans un étang d’eau quand on y jette une pierre. Donc puisqu’il y’a extension de la croûte sans qu’il n’y ait débordement, c’est qu’il existe un mécanisme qui fait disparaître l’excès de croûte : c’est la subduction.
Dans sa configuration générale, la subduction illustre le schéma d’un gigantesque tapis roulant où toute croûte nouvellement formée par montée magmatique en zones d’extension est condamnée à la déportation dans les zones de compression. Par déplacement jusqu’aux zones de subduction, l’excès de croûte avec sa charge sédimentaire finit par être digéré. Après plusieurs millions d’années (environ 200 millions d’années), il réapparaîtra de nouveau en surface suivant un cycle fermé où toute matière magmatique refroidie en surface est condamnée après un long périple à se résorber en profondeur.
Les repères de ce long périple étant les montagnes qui, portées par les plaques de la croûte comme des chapiteaux, passent avec celles-ci très lentement, d’une façon inaperçue: (Et tu vois les montagnes, tu les crois figées, alors qu’elles passent comme des nuages. Telle est l’œuvre d’Allah Qui a tout façonné à la perfection) (XXVII, 88).
Une fois consolidés, ces matériaux épanchés sur les bordures des plaques en extension sont emportés avec elles au fil de ces millions d’années jusqu’à atteindre leurs bordures en compression où la subduction les fait fondre au fond de la terre. Ce qui débarrasse la croûte du surplus périmé.
C’est ainsi qu’a lieu la fabrication de la croûte terrestre dans cette grande chaîne qui est en fait un gigantesque tapis roulant qui ne cesse de solidifier le magma puis de le refondre selon un mouvement continu de recyclage qui traduit l’incessant acte de création et de recréation qu’exhibe la terre conformément à ce que relate le Coran : (Ne voient-ils pas comment Allah commence la création puis la refait ? Cela est facile pour Allah) (IXX, 29).
Donc ces manifestations externes de la terre qui s’expriment en chocs et déchirures au niveau de sa croûte sont le résultat de sa dynamique interne. Sous son toit tempéré, calme et accueillant, la terre est portée à ébullition. Son manteau monstrueusement brulant et tumultueux brasse de gigantesques masses de roches en fusion. Ce brassage des matériaux portés à des températures de plusieurs milliers de degré Celsius crée dans le manteau un flux de produits magmatiques à l’origine des courants de convection. Ces courants véhiculent d’énormes masses de matériaux fondus qui tourbillonnent en océan de magma chaud dans les couloirs de convection rappelant en quelque sorte la vérité que nous dévoile le Coran du fond de la terre : (Etes-vous à l’abri que Celui Qui est au ciel vous enfouisse en la terre. Et voilà qu’elle s’agite d’un tourbillonnement !) (LXVII, 16). Et c’est ce tourbillonnement qui anime le mouvement des plaques tectoniques de notre croûte terrestre.
Sachant que la température de la terre augmente à raison de 30°C par Km de profondeur qui est le gradient géothermique, la matière froide de la croûte plongeante, en se réchauffant dans les zones de subduction, libère son eau. Cette eau traverse la lithosphère continentale en y activant, par le biais des bulles de magma qui quittent la chambre magmatique vers la surface, un volcanisme à caractère explosif. Les panaches de ces éruptions parviennent donc à la surface de la terre à partir du bouillon de son fond véhiculé par les mouvements de convection. La source de cette chaleur qui crée ce monde infernal du fond de la terre étant « les points chauds » à éléments radioactifs dont la désintégration fournit, avec la chaleur du noyau, l’énergie thermique de la terre. Ce qui donne à cette agitation en tourbillon évoquée par l’illustration coranique une raison d’être, à portée amplement significative.
Face à ce monde infernal que cache la terre, alors que le manteau terrestre, visqueux et très chaud, n’est séparé de nos pieds que par une croûte mince de 40 km, aucune tentative de percement n’est parvenue à l’atteindre et à toucher directement à sa matière. La plus profonde mine descend à 3,9 km et le forage record à 12 km, laissant penser que le manteau reste inaccessible et que l’on reste loin d’atteindre la vérité du monde infernal qui a lieu sous nos pieds et qui anime les mouvements externes de notre globe : (Et ne foule pas la terre avec orgueil : tu ne sauras jamais fendre la terre et tu ne pourras jamais atteindre la hauteur des montagnes) (XVII, 37). Preuve que ce fond de la terre que l’on ne peut observer qu’à l’aide d’échantillons de surface reste pour sa grande partie dans l’ombre, mais avec les secrets qu’il ne cesse de révéler par ses rejets, il suscite une grande passion et une réflexion qui doit nous interpeller sans fin.
En fait, ce que nous savons de ce manteau n’est déduit que, soit d’échantillons éjectés par les volcans ou mis à fleur par intrusions plutoniques, soit de méthodes de calculs indirects. Grâce à ces données, les géologues sont parvenus à comprendre que ce qui anime le mouvement des plaques tectoniques, c’est ce flux convectionnel produit dans le manteau entre une matière visqueuse chaude qui remonte et une autre froide qui plonge dans la profondeur où elle se réchauffe à nouveau. Le moteur principal de ces mouvements étant l’eau qui rend la masse visqueuse. Cette abondance de l’eau à l’origine de la fluidité de ce matériel visqueux, le récit prophétique en ayant parlé de la présence de mer sous les feux des fonds océaniques (et sous le feu une mer), l’a sentencieusement signalée.
Voilà comment un voyage au fond de la terre motivé par un enthousiasme scientifique peut nourrir le goût pour la transcendance. Un voyage qui montre comment la science en dévoilant les secrets de la création partage ses prétentions avec la religion.
L’homme, ce pauvre humain, résidant sur cette coque solide qu’est la croûte terrestre roulant sur une boule de feu qu’est ce manteau visqueux, bien qu’il ait cette sensation d’hégémonie sur terre, est condamné à en subir les effets. Heureusement que cette coque n’est pas transparente et qu’il n’en a pas à travers, une vision directe sur l’engrenage infernal qu’est son fond. Autrement, quelle sera sa sensation s’il réalise qu’il marche sur un toit bâti sur une chaudière ? Puis quelle serait sa réaction face à un éventuel effondrement de ce toit qui pourrait à n’importe quel moment l’engloutir dans les tourbillons de ce fond qui n’est qu’une petite illustration de ce qu’est l’Enfer ?
Ce sont là les questions que tout raisonnable, cherchant à sortir du « petit moi », doit poser. Questions où la méditation ne peut que guider vers la vénération du Créateur Qui par Sa clémence et Sa miséricorde nous préserve et nous met à l’abri de tels risques. Une méditation qui, si elle habite nos cœurs, doit nous donner cette crainte qui élève aux rangs des braves qualifiés par Dieu de vrais savants: (Parmi Ses serviteurs, seuls les savants craignent Allah) (XXXV, 28).
Ce verset qualifié de verset incitateur à la recherche et à l’exploration scientifique, évoque une envie forte pour la science, un désir sans équivoque aux fidèles pour l’entreprise de la recherche scientifique et l’acquisition du savoir. Cela étant car du moment que le savoir mène vers la crainte d’Allah et que l’envie du fidèle est de s’élever dans les rangs de ces braves craignant Allah, il est tout à fait raisonnable qu’il s’efforce à se mettre sur le chemin de la recherche des vérités que cachent Ses œuvres. Dans cette voie, le chercheur se trouve face à d’extraordinaires découvertes qui vont l’obliger à s’abstenir de tout ce qui déplait à Dieu et le poussent à trouver refuge dans Sa royauté.
Pour cela Dieu, en nous exposant le spectacle de ce fond chaud et tourbillonnant duquel nous ne sommes séparés que par quelques km de croûte, veut nous donner une toute petite illustration de ce qu’est l’Enfer de l’autre monde. Or quelle serait notre sensation si nous avions une vision directe sur ce fond infernal à travers une coque transparente ? Pourtant c’est une vérité que Dieu, par une bonne raison, nous en fait signe afin de nous faire ressentir cette crainte révérencielle envers Lui et nous pousser à trouver refuge en sa royauté. Et ce pour notre propre bien individuel et collectif : (Ceux qui, de la crainte de leur Seigneur, sont pénétrés, qui croient aux versets de leur Seigneur, qui n’associent rien à leur Seigneur, qui donnent ce qu’ils donnent, tandis que leurs cœurs sont pleins de crainte [à la pensée] qu’ils doivent retourner à leur Seigneur. Ceux-là se précipitent vers les bonnes œuvres et sont les premiers à les accomplir) (XXIII, 57-61)
C’est là un des aspects de la miséricorde de Dieu, car être fidèle craignant Allah émane de cette autocritique qui est un jugement, une remise en cause de soi par examen de conscience qui consiste à établir nos comptes et à analyser nos actes et nos pensées. Une autocritique qui a pour vocation de corriger notre parcours scientifique et spirituel en nous élevant d’apprentis à savant qui, selon le Coran, ne serait celui qui se contente uniquement de réciter le Coran ou d’accumuler les « Hadiths » ni au contraire celui qui cherche à faire la science pour la science, mais celui qui dans sa recherche de la vérité, cherche à donner un sens à la vie par glorification du Créateur Qui l’invite par les signes de Sa présence en toutes choses à l’adorer et à prendre refuge en Lui .
Et c’est vraiment cette faculté qui fait avancer l’homme dans les échelons de son humanisme et le rapproche de sa vérité. L’homme ne devient pleinement humain que par cette crainte de Dieu émanant de la contemplation de Ses lois qui sont si évidentes dans la création. Une contemplation qui met l’ « homme savant » dans le cadre de ses valeurs humaines l’incitant à rompre avec ses rapports de domination sur la nature et le poussant à cohabiter avec ses composantes. Une telle voie doit nécessairement le mettre dans le souci de considérer la terre non comme une province à conquérir pour servir ses fins, mais comme une référence expérimentale qui a pour vocation de le mettre dans la conscience de sa relativité, de son insuffisance qui doivent toujours le relier à son Créateur et l’éloigner de ses sentiments dérisoires de satisfaction et d’arrogance qui au contraire le coupent de Dieu et le mettent aux antipodes de Ses enseignements.
Références bibliographiques :
Sciama Yves (2015) – Et la vie transforme la terre. Sciences & vie Hors série, Paris, 271, pp. 35-41.
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