L’AZERBAÏDJAN, DE « TERRE DE FEU » À « TERRE DE TOLÉRANCE »

Photo @ Maya Baghirova

Karim Ifrak

Karim Ifrak

Docteur de l’École Pratique des Hautes Études (EPHE), Karim IFRAK est islamologue. Chercheur au CNRS, il est spécialiste de l’histoire des Textes et des idéologies contemporaines. Comptant à son actif plusieurs contributions écrites, il est l’auteur de : « Faut-il réformer l’islam ? Quelques clés de lecture », éd. Bouraq, Paris, 2017. « Liberté, Égalité, Fraternité : Valeurs Spirituelles, valeurs Républicaines », (préfacé par le Premier Ministre M. Édouard PHILIPPE), Olivétan, Lyon, 2018.  « Ibn Achour, sa vie, son œuvre et sa pensée », aux éditions de l’IMA, 2020.

Une terre de tolérance

Avant de devenir un pays à dominante musulmane, l’Azerbaïdjan (10 M d’habitants), cette « terre de feu » située au cœur des trois grands Empires, sassanide, ottoman et russe pour laquelle ils ont bravé, le long de plusieurs siècles, tous les dangers, était, à l’origine, un haut lieu du zoroastrisme.

Pays multiconfessionnel, multiculturel et multiethnique, la République démocratique d’Azerbaïdjan n’a eu de cesse de vanter, et ce depuis la proclamation de son indépendance en 1918, sa tradition séculaire de tolérance religieuse et d’inclusivité sociale. C’est pourquoi, fermement attachée à ces belles valeurs, l’actuelle République d’Azerbaïdjan se veut avant tout un espace de tolérance, d’inclusivité et de pluralisme. Fermement attachée aux principes de la laïcité, la République d’Azerbaïdjan stipule dans l’article 18 de sa Constitution « que la religion agit séparément des affaires de l’État et du gouvernement », formant par là et le corps et l’esprit de la laïcité dite à l’azerbaidjanaise. Un autre article, le 48, venant en renfort à l’article précédent, garantit le droit à la liberté de conscience, permettant ainsi à tout un chacun de pratiquer sa foi sans contraintes aucunes, de croire ou de ne pas croire. De la sorte, toutes les convictions sont considérées égales devant la loi et traitées donc sur le même pied d’égalité. Plus encore, en vertu de la Constitution chaque personne a le droit de se convertir à la croyance de son choix, l’athéisme compris, de rejoindre ou d’établir le groupe religieux qui lui convient. L’article 283 du Code pénal quant à lui, érige en infraction tous actes conduisant à une incitation à l’hostilité pour des motifs d’origine nationale, raciale, sociale ou religieuse. Et conformément au paragraphe 18a de la RPG n°7, cette disposition englobe l’incitation à la haine et la discrimination.

Une terre de dialogue

Le Pape François reçoit un présent de la part du President Ilham Aliyev a et de son épouse, Mehriban Aliyeva, lors d’une rencontre au Vatican

Garante de la sacro-sainte tolérance religieuse, la République d’Azerbaïdjan stimule tout type d’actions ayant pour dessein le développement des valeurs de tolérance, d’inclusivité et de laïcité. Aussi, avec le soutien de l’État, parfois avec celui du Président Ilham Aliyev en personne, des manifestations internationales sont régulièrement organisées par Bakou. Une belle occasion de faire savoir au monde entier que l’ancestrale « terre de feu » est avant tout une ancestrale « terre de tolérance ». C’est le cas notamment du Forum Mondial sur le dialogue interculturel, au programme tous les deux ans, reconnu par des résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies et l’Unesco comme une plate-forme mondiale clé pour la promotion du dialogue interculturel. Le cas également du « Processus de Bakou » ; cet événement unique qui réunit, dans la perspective de renforcer le dialogue interculturel, l’Organisation de la Coopération Islamique et les États membres du Conseil de l’Europe. Une longue liste d’évènements à laquelle il est possible d’ajouter le Sommet Mondial des Leaders Religieux, le Concours Musical de l’Eurovision ou le Forum Mondial des Sociétés Ouvertes.  Une volonté d’ouverture et d’inclusivité qui a exhorté le Président Ilham Aliyev à créer, en 2014, au sein de l’Administration présidentielle, le poste de « Conseiller d’État pour les questions interethniques, le multiculturalisme et les questions religieuses ». Une création hautement symbolique suivie par l’ouverture récente du Centre International du Multiculturalisme, avec pour mission, la préservation de la diversité culturelle, religieuse et ethnique du pays et de faire de l’Azerbaïdjan une vitrine du multiculturalisme à l’international.

Une terre de multiculturalisme

Fête inter-culturelle à Bakou

La République d’Azerbaïdjan est certes un pays à majorité islamique (95%), mais pour autant, son identité nationale, basée davantage sur la culture et l’ethnicité que sur la religion, participe activement à entretenir cette singulière tendance. Une tendance qui aide à expliquer la raison pour laquelle il n’existe presque aucune tension entre les 649 communautés religieuses qui composent ce pays plurimillénaire. Des communautés départagées entre plusieurs confessions : le christianisme orthodoxe, le judaïsme ashkénaze et grégorien, le zoroastrisme, en plus d’un certain nombre non défini de non-croyants. Une inclusivité qui explique, également, pourquoi on y rencontre de nombreuses minorités religieuses, pourtant persécutés ailleurs, qui y évoluent dans un climat de totale tolérance. C’est le cas du bahaïsme, une religion née au XIXe s. au sein de l’Iran actuel ou le yézidisme ; un syncrétisme qui amalgame zoroastrisme, islam et christianisme. Autre cas de figure, pourtant rarissime au sein du monde musulman ; l’absence de toute frontière idéologique entre les représentants de ses deux grandes composantes, le chiisme et le sunnisme, manifestement antithétiques presque partout ailleurs.

Cette tolérance, qui profite aux différents courants religieux, les plus minoritaires en tête, constitue une remarquable réalité que les autorités, conscientes de sa valeur symbolique exceptionnelle, s’attachent à perpétuer de tout leur possible. Une tolérance érigée à l’image d’un château-fort inviolable et dont la mission est de venir à bout de toute manifestation d’exclusivité, d’extrémisme ou de séparatisme. Au regard de Bakou, la promotion d’une politique identitaire nationaliste, ne peut se concrétiser qu’en rompant avec le passé anticlérical de l’ex URSS, d’une part, et qu’en se distinguant de sa voisine de toujours : la République islamique d’Iran, jugée trop fondamentaliste au goût de l’opinion internationale, de l’autre.

C’est donc à dessein que Bakou n’hésite pas à promouvoir ses valeurs de tolérance religieuse, d’inclusivité sociale, toutes deux confrontées par les principes de la laïcité, elle-même garantie par la Constitution. Un choix mûrement réfléchi qui permet à la capitale du Caucase, de faire d’une pierre deux coups : se rapprocher de l’Occident avec lequel elle partage nombre de valeurs, et de s’imposer en tant que partenaire indispensable au sein de cette région du monde hautement stratégique.

Une terre de multiconfessionnalisme

Situé à la jonction de l’Orient et de l’Occident, du Nord et du Sud, de l’islam et du christianisme, l’Azerbaïdjan est à la croisée de ces chemins qui ont contribué à façonner une grande partie de l’histoire du monde. Une particularité qui fait de lui le récipiendaire par excellence, et par conséquent, le continuateur de plusieurs cultures et civilisations qui se reflètent dans son mode de vie et de pensée. Carrefour au nombre des plus singuliers qui soient, ils s’y sont côtoyés, pendant des siècles, des musulmans, des juifs, des chrétiens et tant d’autres croyances encore. Et c’est par ce qu’il considère le pluralisme culturel et cultuel comme une philosophie de l’existence et se voulant un acteur majeur du multiculturalisme, que l’Azerbaïdjan s’emploie depuis à élever cette conviction à la dignité de religion ou presque.

Pays à la fois moderne et séculier, l’Azerbaïdjan fait preuve d’un niveau d’ouverture presque inégalé au sein du monde musulman, et même dans bien des endroits ailleurs.  Une raison qui a naturellement décidé le pape François, en octobre 2016, à s’y rendre et à y exprimer publiquement ses opinions positives sur le dialogue et la tolérance dans le pays. Un avis partagé par les 500 représentants de quelque 103 États, au nombre desquels des chefs d’États, des lauréats de prix Nobel et des présidents d’ONG internationales tous venus prendre part au 4éme Forum humanitaire international de Bakou.

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