LES PÈLERINAGES SOUFIS À BESH BARMAG, UNE EXPÉRIENCE SPIRITUELLE UNIQUE EN AZERBAÏDJAN

Besh Barmag Photo Maya Baghirova © 2023

L’Azerbaïdjan est connu pour sa richesse culturelle et religieuse. Parmi les nombreux sites de pèlerinage présents dans le pays, Besh Barmag, (en Azerbaidjanais Beşbarmaq) est une montagne située au sud-est de la ville de Siyazan, à 80 km de Bakou, non loin de la côte de la mer Caspienne. Le mot « beshbarmag », en langues azerbaïdjanaise et turque, signifie « cinq doigts », car les contours de la montagne ressemblent aux cinq doigts d’une main. Il est également connu sous le nom de mont Khydyr Zinda et est un lieu de pèlerinage dans la tradition soufie.

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Un trésor archéologique méconnu

Photo Maya Baghirova © 2023

Le site comprend des vestiges de cités et de temples datant de plusieurs époques, du VIIIe siècle avant J.-C. au VIIIe siècle après J.-C.Les premières traces d’occupation humaine à Besh Barmag remontent à l’âge du bronze. Les archéologues ont mis au jour des poteries et des outils en pierre taillée datant d’environ 2500 à 800 avant J.-C. Mais c’est à partir du VIIIe siècle avant J.-C. que le site connaît son âge d’or, sous la domination des Mannaïens, un ancien peuple de commerçants et d’artisans. Des bas-reliefs retrouvés sur place représentent des scènes de la vie quotidienne à cette époque.

Après une période d’abandon, Besh Barmag est réoccupé au Ier siècle après J.C. et devient une étape sur la route de la soie. De luxueuses demeures sont construites, décorées de magnifiques mosaïques polychromes. Le site abrite également un temple dédié au dieu Mithra, divinité populaire chez les soldats romains.

Classé au patrimoine national de l’Azerbaïdjan, le site de Besh Barmag recèle encore de nombreux trésors qui témoignent de l’étonnante diversité culturelle et religieuse de l’Azerbaïdjan à travers les âges.

Besh Barmag : un lieu sacré pour les soufis

Outre son intérêt archéologique, Besh Barmag est aussi un lieu saint pour de nombreux musulmans. En effet, la source située sur le site est associée au prophète Khidir. Selon la tradition, Khidir aurait bu l’eau de cette source, qui lui aurait conféré l’immortalité et la sagesse divine. Chaque année, au printemps, des pèlerinages (ziyarat) sont organisés à Besh Barmag en l’honneur de Khidir. Des fidèles viennent des quatre coins de l’Azerbaïdjan et même des pays voisins pour vénérer le prophète et demander sa bénédiction, en buvant l’eau de la source sacrée.

Khidir ( ou Al Khidr) est mentionné de façon allusive dans le Coran (sourate 18, « la Caverne »). Son nom, en arabe : الخضر, en persan : خضر, en turc : Hızır signifie « Le Vert » ou « Le Verdoyant ». Il est habillé de vert et sa présence rend la nature verdoyante. On rappelle qu’en Islam, la couleur verte est symbole de bénédiction et de sainteté.

Il est tantôt vu comme un prophète, tantôt comme un saint. Il est parfois identifié à Élie. Il rappelle également le personnage d’Uta Napishtim de l’épopée de Gilgamesh qui, lui aussi, demeure aux confins du monde et a acquis la vie éternelle, on l’associe à la légende d’Alexandre le Grand qui, recherchait également la vie éternelle. On relie également parfois Khidir au dieu sumérien Enki ou encore à Saint-Georges. Les avis divergent aussi sur la question de savoir s’il est encore vivant ou s’il est mort.

Vénéré comme un saint soufi, Khidir symbolise la connaissance intérieure, spirituelle et la révélation mystique. Il est considéré comme un « pôle » (qutb), c’est à dire un saint d’un degré spirituel très élevé dans la hiérarchie soufie. Son statut de prophète immortel ayant atteint la Vérité ultime en fait un guide spirituel par excellence pour les soufis.

Khidir est un personnage mystérieux, si lointain, si proche au demeurant de celui qui approche La Voie ésotérique, de même que pour celui qui s’ouvre à La Réalité qui relève du supra-naturel, mais qui a surtout pour vocation de nous éclairer sur ce que nous sommes. Selon la tradition soufie, celui qui lit La Sourate La Caverne régulièrement apprend à « entrer » dans L’Univers de L’Indicible. Cette Sourate est à proprement parler la Sourate de L’Initiation.

Elle évoque la rencontre de Khidir avec Moïse, et est souvent lue comme une allégorie de la relation entre le disciple (Moïse) et le maître soufi (Khidir), ce dernier initiant le premier à des vérités cachées. Voici ce que racontent les versets 60 à 82 de la Sourate 18 :

Moïse était en quête de la connaissance suprême lorsqu’il rencontra Khidir, le prophète immortel, sur une île. Khidir accepta d’enseigner à Moïse à condition que ce dernier soit capable d’être patient ,et s’engage à ne poser aucune question sur ses actes, ce qui rappelle le verset 153 de la Sourate 2 : إِنَّ ٱللَّهَ مَعَ ٱلصَّٰبِرِينَ « Dieu est avec les patients ». Moïse accompagna alors Khidir dans un voyage initiatique. Il fut témoin d’actions apparemment blâmables de Khidir, comme le sabotage d’un bateau, le meurtre d’un jeune homme ou la reconstruction d’un mur de séparation. À chaque fois, Moïse ne put s’empêcher de critiquer Khidir. Finalement, Khidir lui révéla le sens caché de ses actes : il avait saboté le bateau pour épargner son propriétaire d’une saisie injuste, tué le jeune homme pour empêcher qu’il ne commette le mal sous l’influence de forces obscures, et reconstruit le mur car il protégeait un trésor appartenant à des orphelins.

Photo Maya Baghirova © 2023

Ainsi Khidir initia Moïse à une connaissance ésotérique, au-delà des apparences. Cet épisode symbolise la relation maître-disciple dans la mystique soufie, le disciple devant aveuglément suivre l’enseignement du maître spirituel pour accéder à la vérité cachée. Il témoigne aussi de la nature à double sens de l’enseignement de Khidir, qui ne peut être compris que par ceux qui ont atteint un certain degré de sagesse.

Sa quête de l’eau d’immortalité fait écho à l’élément central de la voie soufie qu’est la recherche de la Vérité éternelle. Ainsi, Khidir est une figure tutélaire du soufisme, symbole de la connaissance mystique ultime à laquelle aspirent les adeptes de cette voie spirituelle de l’islam.

Les rituels de pèlerinage

Les pèlerinages soufis à Besh Barmag sont marqués par une série de rituels empreints de spiritualité. Ils se déroulent chaque année, généralement au mois de mai. Les fidèles se rassemblent dans les villages voisins et entament une marche de plusieurs kilomètres jusqu’aux montagnes. Certains marchent pieds nus pour exprimer leur dévotion et leur humilité.

Photo Maya Baghirova © 2023

Une fois arrivés à Besh Barmag, les pèlerins se recueillent dans les grottes et les crevasses des montagnes. Ils récitent des prières, méditent et chantent des hymnes soufis. Certains se livrent à des pratiques ascétiques telles que le jeûne et la privation de sommeil pour atteindre un état de transe spirituelle. Ils se rassemblent ensuite autour de la source d’eau pour se purifier et se préparer mentalement à leur démarche. Ils effectuent ensuite des prières collectives et des chants soufis, accompagnés de musiciens jouant des instruments traditionnels tels que le tar et le kamancha.

Après les rituels préliminaires, les pèlerins entament une marche vers le mausolée, situé à quelques kilomètres de la source d’eau. Cette marche symbolise le cheminement spirituel vers la rencontre avec le saint soufi. Les pèlerins avancent en groupe, dans une ambiance de recueillement et de dévotion, en récitant des prières et des invocations. Des séances de Dhikr (évocation rythmée et répétitive d’une prière ou d’une phrase sacrée, généralement à voix haute, dans le but de rendre gloire à Dieu et d’atteindre la perfection spirituelle) ont pour objet de permettre au disciple de s’approcher de la sagesse de Khidir.

Photo Maya Baghirova © 2023

Les pèlerinages à Besh Barmag ne se limitent pas à des rituels religieux, mais sont également l’occasion de recevoir des enseignements soufis. Des maîtres spirituels, « cheikhs », partagent leur sagesse et leur connaissance des enseignements soufis avec les pèlerins. Ces moments d’échanges et de réflexion permettent aux participants de mieux comprendre les principes fondamentaux de cette voie spirituelle.

Les pèlerinages soufis à Besh Barmag sont également l’occasion de rencontres et d’échanges entre les fidèles. Les soufis partagent leurs expériences spirituelles, discutent de leur foi et se soutiennent mutuellement dans leur quête de l’illumination.

Cependant, ces pèlerinages ne sont pas réservés aux seuls soufis. Des personnes de toutes confessions et de toutes origines se rendent à Besh Barmag pour vivre cette expérience spirituelle unique. Les pèlerins sont accueillis chaleureusement par les habitants des villages environnants, qui offrent l’hospitalité et partagent leur nourriture avec eux.

Les pèlerinages soufis à Besh Barmag sont une manifestation vivante de la spiritualité et de la dévotion profondes qui animent la communauté soufie en Azerbaïdjan. Ces événements annuels sont l’occasion pour les fidèles de se rapprocher de Dieu, de partager leur foi et de vivre une expérience spirituelle unique.

Photo Maya Baghirova © 2023

L’impact culturel et touristique

Les pèlerinages soufis à Besh Barmag ont un impact significatif sur la culture et le tourisme en Azerbaïdjan. Ils contribuent à préserver et à promouvoir les traditions soufies, tout en attirant des visiteurs nationaux et internationaux intéressés par cette expérience spirituelle unique. Les autorités locales soutiennent ces pèlerinages en organisant des événements culturels et en améliorant les infrastructures pour accueillir les visiteurs. Mis à mal par les 30 ans d’occupation arménienne et les destructions qu’elle a entraînées, le tourisme international est en train de renaître en Azerbaïdjan, et le tourisme religieux et spirituel est appelé à y occuper une place prépondérante. L’Azerbaïdjan est en effet un pays fondamentalement multi-culturel et pluri-religieu,. D’ailleurs, non loin de Besh Bargam, se trouve le village de Krasnaya Sloboda, fief des « Juifs de montagne », toujours heureux d’accueillir les visiteurs de toutes confessions.

Les voyageurs en quête de spiritualité, qu’elle soit religieuse ou laïque, trouvent ici une atmosphère unique, propice à la méditation et à la quête de sens.

Jean-Michel Brun

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