AZERBAÏDJAN, ARMÉNIE ET ROUTE DE LATCHINE : CHRONIQUE D’UNE MANIPULATION

Khankendi, vu de Choucha

Le baroud d’honneur des nationalistes

Eric Ciotti, Olivier Faure et Fabien Roussel, Bruno Retailleau qui préside un  « groupe d’information internationale sur le Haute-Karabagh », demandent à Emmanuel Macron, dans une tribune au « Monde », d’intervenir pour « empêcher l’irréparable » et assurer la sécurité des Arméniens du Haut-Karabakh. Ils font référence aux résolutions du Sénat et de l’Assemblée Nationale évoquant « la nécessité de la reconnaissance de la République du Haut-Karabakh, défendant ainsi le droit des Arméniens de l’Artsakh à disposer d’eux-mêmes sur une terre qu’ils habitent depuis la haute Antiquité ». En oubliant naturellement les quatre résolutions de l’ONU confirmant l’appartenance du Karabakh à l’Azerbaïdjan et inventant une présence millénaire, alors que l’arrivée massive des Arméniens dans la région ne date que du XVIIIe siècle. Mais, comme le dit le politologue américain Howard Zinn « Tant que les lapins n’auront pas d’historiens, l’Histoire sera racontée par les chasseurs ».

La tribune fait aussi allusion à « la légion arménienne qui combattit sous notre drapeau pendant la Grande Guerre, et le sacrifice de Missak Manouchian (1906-1944), héros de la Résistance ». Ce qui est exact, sauf que c’est oublier que le groupe Manouchian luttait d’abord au titre de l’appartenance de ses membres au parti communiste, après la rupture du pacte germano-soviétique par Adolf Hitler. C’est oublier aussi que nombre d’Arméniens, comme le héros national qui possède ses statues dans tout le pays, Gareguin Nizdeh, ont combattu dans la « Légion arménienne de la Wehrmacht » et ont rejoint le parti nazi. Les choses ne sont pas si simples.

Pourquoi donc cette détestation à l’égard de l’Azerbaïdjan, alors que les relations entre la Paris et Bakou ont toujours été amicales et fraternelles ? 

Pourquoi la France, qui se dit aux côtés de l’Ukraine, soutient-elle mordicus l’Arménie qui se bat contre l’Ukraine, et qui déployait un Z russe géant à l’endroit même où viennent de se tenir les manifestations, et en même temps s’oppose à l’Azerbaïdjan, alliée de Kiev ? Quelle logique ? 

Ce n’est un secret pour personne que les personnalités politiques signataires nourrissent depuis longtemps un ressentiment profond à l’égard des Turcs comme des Azerbaïdjanais. Si les raisons sont différentes, le dénominateur commun est le même. La France considère la Turquie indépendante comme son principal concurrent régional et l’Azerbaïdjan, par extension, comme un pays qui soutiendra et favorisera toujours les intérêts turcs et vice versa.  

Par ailleurs, la diaspora arménienne française a, hélas, choisi d’être le porte-drapeau des nationalistes arméniens qui, ayant perdu la guerre sur le terrain, souhaitent maintenant la porter sur celui de l’information. Avec des moyens considérables, les représentants du parti Daschnak se pressent autour des politiciens, leur promettant leurs voix s’ils soutiennent l’Arménie, et à l’intérieur même des medias, où ils sont omniprésents. Ara Toranian, ancien porte-parole de l’ASALA, fait la cour à Macron et Hidalgo. Valérie Pécresse et Eric Zemmour participent à des voyages organisés à Erevan.

L’islamophobie nauséabonde sur laquelle les politiques français aiment à s’appuyer pour grappiller les voix de citoyens qu’ils croient – à tort – racistes et xénophobes, n’est pas étrangère à cet anti-turquisme et cette anti-azérisme. Même si l’Azerbaïdjan n’est pas un pays musulmans, mais un pays laïque, multi-ethnique, et pluri-religieux.

Le Karabakh, dernier recours des extrémistes arméniens 

Le seul levier qui reste aux nationalistes arménien est la revendication de l’indépendance du Karabakh, prélude à son rattachement à la république d’Arménie, ou du moins de l’enclave protégée par les forces russes, la ville de Khankendi, appelée par les Arméniens Stepanakert, du nom d’un militant bolchevik arménien qui s’était illustré dans le massacre d’azéris à Bakou. 

Le dernier prétexte de la mobilisation arménienne a été le récent positionnement de militants écologistes azerbaïdjanais près du poste russe, sur la route du corridor de Latchine. Aussitôt, la presse arménienne relayée par la diaspora française, puis par les politiciens et des stars du show business qu’elle a réussi à convaincre, se sont emparés de l’affaire et ont pris le relais de manifestations organisées sur place pour présenter les Arméniens comme victimes d’un blocus. 

La réalité sur place est bien différente.
Mais comme les journalistes français refusent de se rendre sur place, sauf dans l’enclave arménienne, il est bien difficile au public français d’y voir clair. 

Il suffit de se positionner sur cette route de Latchine, surveillée par des soldats russes désabusés, pour constater qu’elle n’est aucunement bloquée pour les marchandises, les convois humanitaires, et les personnes. Ni le gouvernement azerbaïdjanais ni les manifestants n’ont fermé la route de Latchine. En effet, le régime de circulation des citoyens, des biens et des véhicules le long de la route reste inchangé depuis deux ans et les Casques bleus continuent d’exercer leurs fonctions de protection de la route. D’ailleurs, on a pu, contrairement aux informations fantaisistes qui circulent, voir de nombreuses vidéos partagées sur les réseaux sociaux montrant le passage sans entrave des différents types de véhicules, dont des ambulances et des convois humanitaires.  

Si, en revanche, des contrôles sont réellement opérés, c’est parce que l’Arménie utilise le couloir de Latchine, non pour des raisons exclusivement humanitaires, mais pour la rotation du personnel des forces armées et le transfert d’armes vers l’enclave occupée par les Arméniens, et ce, en violation du droit international.

Plus encore, la route de Latchine est également utilisée pour le trafic de minerais et d’autres ressources à partir des territoires de l’Azerbaïdjan, où les forces russes sont présentes. Ces exploitations ont été en effet réalisées sans véritable traitement des eaux, et sans réhabilitation des sites, au mépris des normes environnementales. Cela a eu des conséquences telles que la déforestation et la dégradation des terres, la pollution des sédiments dans les cours d’eau, et la pollution chimique de l’eau et des sols. 

On rappelle par ailleurs que, en vertu du paragraphe 6 de la Déclaration trilatérale du 10 novembre 2020 signée par les dirigeants des deux pays sous égide de la Russie, le district de Latchine a été restitué à l’Azerbaïdjan. Dans le même temps, l’Azerbaïdjan s’est engagé à garantir la sécurité des personnes et des véhicules circulant le long de la route de Latchine reliant l’Arménie au Karabakh.

Quand à l’enclave protégée par les forces russes, elle a été reconnue par tous comme faisant partie intégrante de l’Azerbaïdjan, et la situation actuelle n’est que provisoire. Selon le paragraphe 4 de la Déclaration trilatérale du 10 novembre 2020, l’Arménie devait immédiatement et totalement retirer ses forces armées de la région. Or les formations armées arméniennes sont toujours présentes à Khankendi, et l’Arménie poursuit ses activités militaires sur le territoire de l’Azerbaïdjan. 

En France, la voix de l’Azerbaïdjan ne compte pas

Afin d’accréditer la thèse d’un blocus de la route de Latchine, les medias français font celui des intervenants azerbaïdjanais. Aucun expert, journaliste, historien azerbaïdjanais n’est jamais invité aux émissions ou aux tribunes traitant du Karabakh.

Que faire devant une telle pression, où une doxa anti-azerbaïdjanaise semble s’être installée ? Un journaliste spécialisé dans les lobbies, récemment rencontré, était tellement persuadé que l’Azerbaïdjan versait des tonnes de caviar sur nos députés pour les rallier à leur cause, qu’il m’écoutait avec une stupéfaction mêlée d’incrédulité quand je lui expliquais le peu de moyens que l’Azerbaïdjan investissait dans la presse et la communication. C’est comme si je lui avais affirmé que la terre était plate !

La faiblesse de la communication, et la taille microscopique de la diaspora azerbaïdjanaise en France expliquent sans doute que le combat soit aussi inégal.

Malgré tout, l’Azerbaïdjan vient de remettre à la nouvelle ambassadrice de France Anne Boillon une note de protestation. Le communiqué du ministère des affaires étrangères d’Azerbaïdjan a indiqué que « dans le contexte de l’absence de réponse nécessaire de la part du gouvernement français, une profonde inquiétude a été exprimée quant à l’expansion et la poursuite de la campagne basée sur la calomnie ouverte et les préjugés contre l’Azerbaïdjan par diverses forces politiques françaises, et les allégations contenues dans la lettre ont été fermement rejetées.»   « Dans ce contexte », poursuit le communiqué, «Il y a quelques jours, dans une lettre adressée au Président français au nom des dirigeants des forces politiques représentées au Parlement français, il a été déclaré qu’il est inacceptable de porter des accusations sans fondement contre l’Azerbaïdjan, d’appeler à prendre des mesures de nature à porter atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de notre pays. […] ladite lettre s’inscrit dans la continuité d’une série de mesures et de déclarations anti-azerbaïdjanaises menées de manière délibérée et systématique, y compris l’adoption de résolutions remplies d’accusations sans fondement contre l’Azerbaïdjan par les deux chambres du Parlement français. La partie azerbaïdjanaise a attiré l’attention sur la nécessité de prendre des mesures appropriées afin de mettre immédiatement fin à la campagne contre l’Azerbaïdjan menée par le gouvernement français. »

Cela sera-t-il suffisant ? Peut-être pas, lorsqu’on considère les moyens considérables mobilisés par les activistes arméniens.  Mais on ne peut mentir à tout le monde, tout le temps. Des journalistes français viendront tôt ou tard constater sur place la façon dont les colons arméniens ont détruits les villes et l’écosystème de la région, et toute cette supercherie finira par s’évanouir. Au plus grand bénéfice des Arméniens eux-mêmes, qui ne méritent pas plus que les Azerbaïdjanais de vivre dans cette ambiance d’affrontement permanent. Les Arméniens et les Azeris ont toujours vécu en harmonie, jusqu’à ce que les extrémistes du Daschnak essaient de les séparer. Les Arméniens ne sont pas les nationalistes arméniens, pas plus que les Français ne sont Zemmour ou Houellebecq.

Jean-Michel Brun

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