LE FONDEMENT CORANIQUE DE LA PENSÉE SCIENTIFIQUE par Abdelilah Benmesbah

Abdelilah Benmesbah nous livre, dans une série d’articles, sous le thème « Le Coran et les horizons des certitudes scientifiques », son approche des rapports entre le Coran et les démarches scientifiques.

Il est certain que le Coran n’est pas un manuel scientifique, mais un livre de guidance qui instaure les assises d’une pensée à caractère universel. Par son style d’émerveillement, il nous permet de fuir la routine et de nous placer dans la soif d’apprendre et de comprendre. En nous mettant en contact avec l’univers qui est une source inépuisable d’informations, le Coran cherche à perfectionner nos performances mentales en régénérant nos neurones afin qu’émerge un cerveau qui comprend, un cerveau qui s’ouvre au changement et lui donne du sens : (Certes, ce Coran guide vers ce qu’il y’a de plus droit) (XVII, 9).

Pour cela le Coran nous délivre un choix approprié d’informations utiles qui nous font comprendre, et pas d’informations futiles qui nous font juste savoir. Il nous propose ainsi, pour la compréhension de son discours, plusieurs lectures afin de nous permettre en même temps d’affiner nos concepts et d’enrichir nos connaissances sans sortir du cadre des lectures affirmatives de l’authenticité de son discours. Les données scientifiques dont nous disposons pour la compréhension de ses versets, bien qu’elles sont d’une science indépendante et non pénétrée de théologie, sont confirmatrices de son authenticité divine. Donc de l’Omnipotence et l’Omniscience de son Révélateur qu’une science indépendante, par ses découvertes, ne peut que les satisfaire et concourir à leur foi.

Pour nous mettre sur cette voie qui, dans l’ordre et l’harmonie de la nature, pose la raison comme guide pour notre action aussi bien technique que morale : (Nous vous avons adressé des signes si vous raisonnez) (III, 118) et nous permettre d’accéder à ses signes, le Coran nous prescrit la raison, comme base de réflexion sur les lois physiques de l’univers,:  (Certes dans la création des cieux et de la terre, dans l’alternance de la nuit et du jour, dans le navire qui vogue en mer, chargé de choses profitables aux gens, dans l’eau qu’Allah fait descendre du ciel, par laquelle Il rend la vie à la terre une fois morte et y répand les bêtes de toute espèce, dans la variation des vents, et dans les nuages soumis entre le ciel et la terre, en tout cela il y’a des signes pour une communauté qui raisonne) (II, 164).

Ainsi lorsqu’il expose, par exemple, ses signes dans la terre comme preuves éternelles en annonçant : (Et dans la terre, il y’a certes des preuves pour ceux qui croient avec certitude) (LI, 20), le Coran veut par là offrir au lecteur les clés de sa compréhension par une lecture scientifique de méditation sur les mécanismes de la terre qui le met dans la quête d’un texte ouvert qu’aucune interprétation ne peut clore de façon définitive et orthodoxe. Une quête ornée avec un art de communication qui, en émouvant ceux qui l’entendent ou le lisent, révèle la vérité totale de ce qu’il dit par un réel que chaque sujet humain peut formuler selon sa conception : (Telles sont les paraboles que Nous citons aux gens et seuls les savants les raisonnent.) (XXIX, 43).

Un tel art de communiquer scientifiquement selon des paraboles qui cachent dans leurs plis ces vérités éternelles, met en garde le texte coranique contre toute exploitation dans des dérives fantasmagoriques : (C’est Lui Qui a fait descendre sur toi le Livre : il s’y trouve des versets sans équivoque, qui sont la base du Livre, et d’autres versets qui peuvent prêter à d’interprétations diverses. Les gens, donc qui ont au cœur une inclination vers l’égarement, mettent l’accent sur les versets à équivoque, cherchant la dissension en essayant de leur trouver une interprétation, alors que nul n’en connait l’interprétation, à part Allah. Mais ceux qui sont bien enracinés dans la science disent : « Nous y croyons : tout est de la part de notre Seigneur ! » Mais, seuls les raisonnables s’en rappellent.)  (III, 7). Donc si la recherche scientifique est menée dans la rectitude de la voie exploratrice, plus on s’enracine dans la science plus on accède aux mystères des signes coraniques.  Cela étant car l’état d’équilibre de l’exploration place la réflexion à la jonction interactive entre trois facultés majeures de l’esprit : la mémoire qui est le centre de stockage de ce qui est perceptible, la raison qui fait appel à notre intelligence traitant de ce qui est compréhensible, et l’imagination qui est un monde d’inspiration où l’âme fidèle à son Créateur interpelle le monde du révélé. Cet état d’équilibre, en élaborant une imagination où la cohérence est parfaite entre l’enchaînement des faits et la réalité de leurs significations, vise mettre en œuvre dans la pensée humaine l’esprit d’une raison qui, par sa fonction critique, tend à instaurer un imaginaire créateur saint de tout débordement fantasmatique.

Dans cet imaginaire, le Coran nous expose des images qui suscitent plein de suspens, comme celle qui illustre les cieux sous forme de toit sans piliers : (Allah est Celui Qui a élevé (bien haut) les cieux sans piliers, que vous voyez.) (XIII, 2), ou celle qui représente la terre ancrée par des montagnes au dessus d’elle : (Et Il y a établi (dans la terre) des ancres (montagnes) au dessus d’elle) (XLI, 10), ou aussi celle qui informe de la présence du feu au fond des eaux marines : (Et par la mer portée à ébullition) (LII, 6). Ces images illustrent des faits réels, mais qui défient notre savoir en exposant, de façon mystérieuse mais vraie, des phénomènes qui sont miraculeux, car l’homme, par ses concepts physiques, ne peut songer à un toit construit sans piliers, ou à un bâti fixé par des ancres au dessus, ou à une mer où l’eau coexiste avec le feu. Ce qui montre le caractère universel du discours coranique qui, par son style exploratoire, nous montre l’insuffisance de nos facultés mentales et l’état de nos esprits qui restent si bornés devant le savoir divin qui est absolu, sans limites : (Et on ne vous a donné que peu de savoir) (XVII, 85).

Si cet imaginaire est assimilé par le lecteur du Coran avec l’esprit d’une lecture contrôlée par une raison analytique, il ne peut que le mettre sur la voie de la vérité, celle qui du pensable acquis par l’intelligence (la terre, sa constitution, son dynamisme…etc) lui accorde la certitude sur l’impensable (l’autre monde) que la raison ne peut explorer faute de moyens scientifiques et techniques. Pour cela le Coran, à chaque lecture, nous révèle une force qui se dissimule dans la concordance totale de son discours avec les lois universelles ; de la même façon que les lois de l’univers sont parfaitement ordonnés : (Celui Qui a créé sept cieux superposés sans que tu voies de disproportions en la création du Tout Miséricordieux. Ramène (sur elles) le regard. Y vois-tu une brèche quelconque ?) (LXVII, 3), les versets coraniques le sont aussi et d’une façon sans équivoque : (Un Livre (le Coran) dont les versets sont parfaitement ajustés puis confectionnés en style et en sens de la part d’Un Sage parfaitement Connaisseur) (XI, 1).

Cette force qui éveille en l’homme ses facultés de raisonner, a pour effet de faire vivre le lecteur ce plaisir de chercher dans les énigmes de la création à atteindre la vérité du Créateur : (Il (Allah) gère l’ordre (de tout) et expose en détail les signes afin que vous ayez la certitude de la rencontre de votre Seigneur) (XIII, 2).

Pour cela le Coran nous présente la raison comme une priorité dans le monde du savoir et nous la consigne comme une nécessité dans la connaissance de Dieu : (Saches donc qu’il n’y a point de divinité à part Allah) (XLVII, 19). Plus que ça, il nous la recommande dans l’appel à Son sentier : (Appelles au sentier de ton Seigneur par la sagesse et la bonne exhortation) (XVI, 125). Une sagesse dont la raison a toujours été à la base du savoir depuis Adam auquel ont été confiés tous les attributs : (Et Il (Allah) apprit à Adam tous les noms) (II, 31), au prophète Abraham dont l’appel à l’unicité de Dieu a été fondé sur les certitudes de l’univers : (Ainsi Nous avons montré à Abraham les mystères des cieux et de la terre afin qu’il fut de ceux qui croient avec certitude) (VI, 75), jusqu’au sceau de tous les prophètes, Muhammad que le salut et la bénédiction d’Allah soient sur lui, dont le message a dominé et résumé tous ceux des prophètes avant lui : (Et Nous avons fait descendre à toi le Livre avec justesse, concrétisant ce qui était avant lui comme livre et prévalant sur lui) (V, 48)

Cette place de la raison qui élève l’homme dans les rangs des braves, apparait dans plusieurs versets comme une incitation au savoir : (Dis : « sont-ils égaux ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ? » Seuls ceux qui détiennent la raison se rappellent) (XXLIX, 9). Et c’est justement ces gens doués de raison que Dieu qualifie d’investigateurs qui cherchent à découvrir Ses signes dans les secrets de la création : (En vérité, dans la création des cieux et de la terre, et dans l’alternance de la nuit et du jour, il y’a certes des signes pour les doués de raison, ceux qui, debout, assis, couchés sur leurs côtés invoquent Allah et méditent sur la création des cieux et de la terre : « Notre Seigneur, Tu n’a pas créé cela en vain. Gloire à Toi ! Garde nous du châtiment du feu.) (III, 190-191). Donc ceux qui, en s’exerçant entre l’invocation et la réflexion, partent de ces lois universelles qui sont des références scientifiques, sollicitant par la méditation et la raison la connaissance de leur Ordonnateur.

Pour ces gens, l’invocation et la réflexion sont deux voies qui convergent vers la même vérité, celle de la lumière de Dieu, sans laquelle rien ne serait éclairé. Pour cela l’incitation du Coran à explorer l’univers et à pénétrer ses secrets ne doit pas être comprise comme un simple appel à sa vision, mais comme un ordre de mission pour la connaissance de son Ordonnateur. Une connaissance qui, d’après le style exploratoire de l’appel coranique, nécessite une démarche scientifique d’observation, d’expérimentation et d’interprétation pour atteindre cette vérité.

La preuve de cette force du Coran à éveiller en l’homme l’esprit de raisonner réside dans les rappels qu’il ne cesse de nous divulguer à propos de la mission du Prophète Abraham que Dieu n’a envoyé qu’après lui avoir montré les secrets de l’univers (VI, 75). Des secrets que le Coran nous invite, dès l’aube de la révélation, à lire dans les pages de la création : (Lis au nom des ton Seigneur Qui a créé) (XCVI, 1). Ces secrets que nous allons exposer dans un prochain article vont nous clarifier d’autant mieux ce rôle de la science dans la consolidation de la croyance.

Comme ça le jour de la résurrection ceux qui n’avaient pas suivi cette voie n’auraient pas d’excuse et seraient blâmés : (Puis quant ils seront arrivés (Allah) dira : « Avez-vous traité de mensonges Mes signes, alors que vous ne les avez pas embrassés de votre savoir ? Ou que faisiez-vous donc. Et la parole leur tombera dessus à cause de leurs méfaits. Et ils ne pourront rien prononcer.) (XXVII, 84-85). Preuve que cet univers, avec toutes les fascinations que l’homme vivait dans ses merveilles, n’était en fait qu’un miroir qui réfléchit la lumière du Créateur, éclaircissant par là, la voie aux gens pour ne pas s’égarer dans l’ignorance qui est la principale cause des mensonges.

Donc ne pas tomber dans les mensonges demande à sortir de l’ignorance par une raison qui appelle à s’investir dans la science. Une science où le chercheur par réflexion sur les secrets de la création se trouve en pleine joie de l’invocation du Créateur.

Voilà comment le discours coranique, en nous faisant vivre nos convictions, nous fait vivre le sens de notre vie au sein d’une harmonie de l’univers qui est aussi beauté, d’une interdépendance de ses entités qui est aussi solidarité et vie collective d’une unité qui nous guide à Dieu et nous offre une vision de haute motivation pour une vraie recherche scientifique. Telle est la démarche exploratrice du Coran, qui ouverte sur les secrets de l’univers par des signes qui interpellent notre réflexion, vise fonder une pensée scientifique qui puisse apporter contribution à l’héritage culturel commun de l’humanité, non seulement par sa vision harmonisatrice du monde, mais aussi par son appel à instaurer les assises d’une vie pleine de sens, de paix et de tolérance.

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Le Pr. Abdelilah Benmesbah enseigne à la Faculté des Sciences de l’Université Ibn Tofail de Kenitra, au Maroc, au Laboratoire Géorisques du Département de Géologie. Il est l’auteur du livre « La Terre…un objet de science qui parle transcendance » paru aux Editions universitaires europeennes en 2019

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