FUSILLADE AU CENTRE CULTUREL KURDE À PARIS : RACISME ET RÉCUPÉRATION

Vendredi 23 décembre à 11 heures du matin, en plein cœur du Xe arrondissement de Paris, rue d’ Enghien, un homme a ouvert le feu, tuant au moins trois personnes, et faisant plusieurs blessés. Il s’est ensuite réfugié dans un salon de coiffure à proximité où il a été interpellé.

L’auteur des coups de feu est un homme de soixante neuf ans, William M, retraité de la SNCF, né en mars 1953 à Montreuil (Seine-Saint-Denis), de nationalité française, habitant dans le 2e arrondissement de la capitale. Il a déjà été poursuivi pour des violences racistes. Il sortait justement de prison à la suite d’une attaque au sabre contre un camp de réfugiés soudanais près de la porte de Bercy. Il a expliqué aux policiers qu’il s’était d’abord rendu à Saint-Denis pour « tuer des étrangers non européens ». Il a finalement décidé de changer de lieu « compte tenu du peu de monde présent et en raison de sa tenue vestimentaire l’empêchant de recharger son arme facilement » a indiqué le parquet.

William M. est alors rentré chez lui, puis s’est rendu à pied jusqu’à la rue d’Enghien, dans le 10e arrondissement. Il connaissait le lieu où se réunissent les kurdes à qui il reproche d’avoir « constitué des prisonniers lors de leur combat contre l’EI au lieu de les tuer ». Car le retraité en veut « à tous les migrants » affirme-t-il. Son projet était ensuite de se suicider et d’emporter « tous ses ennemis dans sa tombe ». Ses ennemis, étant, selon lui, « tous les étrangers non européens ».

Suite à une expertise psychiatrique, il a été hospitalisé dans l’infirmerie psychiatrique de la Préfecture de Police. « Le médecin qui a examiné le mis en cause ce jour en fin d’après-midi a déclaré que l’état de santé de l’intéressé n’était pas compatible avec la mesure de garde à vue [qui] a donc été levée, dans l’attente de sa présentation devant le juge d’instruction lorsque son état de santé le permettra » a expliqué le parquet, qui a attribué son acte à « l’appartenance ou la non appartenance, vraie ou supposée, des victimes à une prétendue race, ethnie, nation ou religion déterminée ».

Le meurtrier risque la prison à perpétuité.

Une récupération politique

Le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin s’était rendu immédiatement sur place où il a annoncé que « les lieux où se réunissaient les membres de la communauté kurde » allaient être protégés.

Mais les forces de l’ordre ont été prises à partie par des jets de projectiles auxquels elles ont répliqué par des gaz lacrymogènes.

Le lendemain, des manifestations ont été organisées à Paris et à Marseille. Des violences ont éclaté entre manifestants et forces de l’ordre. Des barricades ont été dressées, des voitures ont été incendiées ou renversées, et des poubelles brûlées. Aux tirs de grenades lacrymogènes, les manifestants ont répliqué par des jets de projectiles.

Bien que la motivation uniquement raciste du meurtrier soit désormais établie, la communauté kurde a souhaité « politiser » l’affaire et désigner comme coupable son ennemi de toujours : le pouvoir turc. Ce sont les drapeaux du PKK, le Parti des Travailleurs du Kurdistan, qui ont été déployés lors les manifestations qui ont suivi et non le drapeau kurde. Aux cris de « Nous sommes tous le PKK », les militants ont martelé des slogans anti-turcs.

Les représentants de la communauté kurde reçus par le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, ont affirmé leur conviction que les kurdes avaient été ciblés comme tels : « Nul doute pour nous que ce sont des assassinats politiques. Le fait que nos associations soient prises pour cible relève d’un caractère terroriste et politique », a affirmé à l’issue de la rencontre Agit Polat, porte-parole du Conseil démocratique kurde en France (CDKF).

L’une des victimes était Emine Kara, qui avait d’ailleurs milité pour le parti en Turquie et au Moyen-orient et avait pris part à des combats contre l’Etat Islamique. Le Centre Culturel Kurde Ahmet Kaya est lui-même étroitement lié au PKK, et avait fait l’objet d’une condamnation pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme et financement d’entreprise terroriste » et d’une demande de dissolution. Ce jugement avait été confirmé par la cour de cassation le 21 mai 2014.

Pourtant, huit ans après, l’association existe toujours. Ankara reproche d’ailleurs aux autorités française leur sympathie à l’égard d’un mouvement considéré en Turquie comme terroriste. Une sympathie qui irait dans le sens de la politique résolument anti-turque du gouvernement français.

L’an dernier, des groupuscules kurdes , drapeaux du PKK en tête, s’en étaient pris à des familles sénégalaises dans la région parisienne. Ces familles avaient été défendues par des militants de l’association anti-raciste « Ligue de Défense des Noirs Africains ». Mais c’est celle-ci qui avait fait l’objet d’une demande de dissolution, le maire de Val-de-Reuil ayant affiché sa volonté de protéger avant tout les opposants kurdes au régime d’Erdogan.

D’habitude si prompt à dénoncer les « casseurs », le ministère de l’intérieur n’a pas réagit aux dégradations dont les militants kurdes se sont rendus responsables. Jean-Luc Mélenchon a lui-même déclaré «  Je ne crois pas au hasard quand il s’agit d’assassinat de militants kurdes ». La thèse du complot turc, malgré ce que l’on sait du meurtrier, persiste au sein d’une classe politique qui s’accorde à considérer la Turquie comme le « grand Satan ». Le lundi 26 décembre, l’ambassadeur de France en Turquie a été convoqué à ce sujet par le gouvernement turc : « Nous avons exprimé notre mécontentement face à la propagande lancée par les cercles du PKK contre notre pays, le gouvernement français et certains politiciens étant utilisés comme des instrument de propagande » .

En réalité, l’anti-turquisme, comme l’islamophobie d’État, ne fait qu’encourager les déséquilibrés à passer à l’acte. Sans, en aucune façon, chercher à dédouaner le criminel insensé pour son acte monstrueux, il faut le dire, ceux qui professent ce type de discrimination portent une responsabilité dans cette folie meurtrière. C’est ce que suggère en substance le communiqué du Conseil des Mosquées du Rhône : « Dans un contexte de libération de parole, il faut s’attendre à tout. Nous avons un ennemi commun : c’est le terrorisme et l’extrémisme violent, d’où qu’ils viennent et quels qu’en soient les auteurs. La réponse de l’état doit être intransigeante avec l’extrémisme violent, ses causes et son idéologie sous – jacente. Il faut le faire sans distinction et sans hiérarchisation. Que Dieu Accueille les victimes innocentes dans Sa vaste Demeure de la Paix. »

Lire aussi

POUR UNE SCIENCE CONSTRUCTIVE

Par Abdelilah BENMESBAH – Faculté des Sciences – Université Ibn Tofail – Maroc Pour nous …