UNE JOURNÉE À AGHDAM, VILLE FANTÔME DU KARABAKH

Zeynab Kazimova devant Aghdam en ruines

Par Zeynab KAZIMOVA

En 2018, je décidais de me joindre à un groupe de journalistes qui souhaitaient aller au Karabakh et à Aghdam. Je me souviens que nous avons pris une toute autre direction, celle du village de Jojug Merjanli. En effet, aller à Aghdam n’était pas possible : une barrière s’est imposée à nous, barrière que nous n’avons jamais pu franchir en raison de la dangerosité de l’autre côté où nous avons aperçu les postes de l’armée arménienne construits après l’occupation de ces terres par l’Arménie. Les soldats azerbaïdjanais n’ont pas manqué de nous expliquer le danger que nous courions à vouloir aller de l’autre côté.

D'Aghdam au Haut-Karabakh, il ne reste plus rien
De la fière Aghdam, il ne reste plus rien. Photo © Zeynab Kazimova

Mais il y a quelques jours,  après la victoire de l’armée azerbaïdjanaise lors de la guerre de 44 jours, nous avons renouvelé ce voyage, et cette fois la barrière avait disparu et nous sommes passés de cet autre côté.  Pour moi, ce fut une joie inexplicable. Mais quel spectacle de désolation !

Aghdam est une ville où les arméniens ont tout détruit. Ils n’ont rien laissé de la ville. Mais ce n’est pas seulement une ville totalement détruite, les villages  de cette région le sont aussi, il ne reste rien. Aghdam, l’un des symboles du conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, avait été occupé par les forces arméniennes en 1993. La région d’Aghdam avait été rétrocédée à l’Azerbaïdjan le 20 novembre 2020 conformément aux termes de la Déclaration tripartite du 10 novembre 2020 signée par les présidents azerbaïdjanais et russe et le premier ministre arménien.

Haut-Karabakh : les froces arméniennes ont tout détruit
Le théâtre d’Aghdam. Photo © Zeynab Kazimova

A l’époque soviétique Aghdam était la ville la plus développée et la mieux dotée en matière de  richesses. C’était le grand centre culturel du Karabakh tout comme Choucha. Mais aujourd’hui, Aghdam  avec son théâtre, ses institutions, ses hôtels, ses jardins et ses vignes a complètement disparu. Célèbre dans tout le pays pour son musée du pain, unique au monde, cette ville possédait aussi un célèbre centre national de mugham, la traditionnelle musique  azerbaïdjanaise.

D’où vient le nom Aghdam ? Il émane de la liaison de deux mots :” ag» qui signifie blanche et “dam” qui signifie maison en azerbaïdjanais, sa signification est “maison blanche”.

Elle est aujourd’hui une ville fantôme en ruine de laquelle il ne reste plus rien. Et c’est ainsi que «la Maison Blanche» est devenue  aujourd’hui  “ l’Hiroshima du Caucase”.

Aghdam, le Hiroshima du Caucase
Ecoles, hopital, tout a disparu. Photo@ Zeynab Kazimova

Pendant le premier conflit du Karabakh qui s’étala de  1991 à 1994, les azerbaïdjanais ont été obligés de quitter leurs demeures. Parmi eux certains de mes collègues journalistes nés à Aghdam étaient avec moi lors de cette visite. A la vue du désastre, avec des larmes dans les yeux, ils poussèrent des cris désespérés en montrant diverses directions:

“Regardez, ici se trouvait notre bâtiment près de l’école ! Pas loin d’ici se situait l’hôpital. Un peu plus bas, il y avait le stade où  nous jouions au football avec les élèves de notre école”. Tout le monde regardait dans les directions indiquées mais il n’y avait plus  ni bâtiment, ni école, ni hôpital, ni stade, juste des tas de petites pierres…

Je comprenais  mon collègue qui, à 46 ans, a perdu une partie chère de son existence – il a perdu son enfance! Il est difficile d’imaginer ce que les gens ont ressenti lors de ces années d’exil et aujourd’hui face à ce désastre. Il n’existe aucune parole de consolation pour soulager leur souffrance.

Il n’est rien resté de leur maison. Selon les informations, avant l’occupation arménienne, il y avait onze bâtiments de 9 et 5 étages à cet endroit.

Les monuments détruits par l'Arménie au Haut-Krabakh
Comme pour effacer notre mémoire… Photo © Zeynab Kazimova

Monsieur Asif Merzili, journaliste et rédacteur en chef d’un journal quotidien, y a vu le jour et y a vécu  jusqu’à l’occupation arménienne en 1993. Il  prétendait connaître le lieu de sa maison et de sa rue. Lors de la visite,  il a cherché longtemps l’endroit où s’est déroulée son enfance et sa jeunesse  mais il n’a  trouvé ni  sa maison ni les autres maisons. Elles ont toutes été totalement détruites.

Les Arméniens ont détruit la tombe de Natavan, grande poètesse azerbaïdjanaise ainsi que d’autres tombes dans Imarét, qui était un monument historique et culturel azerbaidjanais. Ils ont également saccagé  l’ancien cimetière «Garahaji», l’Allée des Martyrs, la deuxième Allée des Martyrs à Uzundere. Le cimetière «Garahaji» est le plus ancien cimetière d’Aghdam, d’une superficie de  dix hectares.

L’Allée Martyrs de Aghdam a été construite sur le territoire du monument érigé en l’honneur des habitants d’Aghdam décédés pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1974, le projet du monument est approuvé. Il est érigé en 1975 à la veille du 30e anniversaire de la victoire de l’ex-URSS sur les nazis allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. Une partie de cette zone est revenue au village de Pariogullar et l’autre au village de Sarihajili. La transformation de la zone en Allée des Martyrs coïncide avec les jours du génocide de Khodjaly en 1992. Le nombre de personnes enterrées dans les douze rangées dépassait les 1000. Plus tard, alors que la zone ne disposait plus de place, certaines personnes de Khodjaly ont commencé à être enterrées dans l’allée des martyrs à Uzundere.

Tombes profanées à Aghdam, Azerbaïdjan
Même les tombes n’ont pas été épargnées. Photo © Zeynab Kazimova

Un nombre important de personnes y avaient leur sépulture. Pendant le voyage, il m’a été très difficile de voir chacune de ces tombes profanées, déterrées et détruites. En tout cas, ce que je ressentais était indicible.

J’ai lu dans un article une question posée à un journaliste  né à Aghdam: “Les Arméniens peuvent-ils être pardonnés pour ces atrocités?”. Sa réponse fut sans équivoque : “C’est une guerre, peut-être chaque mesure prise, y compris la destruction de villes, le pillage des maisons, voire le meurtre des civils sont des options possibles. Bien qu’en fait, ce soit inacceptable. Cependant, il est impardonnable pour les Arméniens de détruire les cimetières et les tombes des territoires occupés et même en les transformant en terres arables, comme pour le cimetière «Garahaji».

Ces jours-ci, le président de la commission des affaires étrangères du Sénat italien, Vito Petrocelli, a partagé sur sa page Twitter une publication relative à sa visite à Aghdam qu’il a effectué avec nous. Vito Petrocelli a également partagé des photos prises à Aghdam. « Je visite les ruines d’Aghdam. Je me pose une question : Si l’Arménie la considérait comme son territoire, pourquoi l’a-t-elle dévastée ? », a écrit le sénateur italien.

De plus, un  autre problème se pose avec acuité : l’Arménie refuse toujours de remettre les cartes des mines à l’Azerbaïdjan, ce qui empêche le gouvernement de mettre en œuvre les travaux de restauration, retarde le retour des civils dans leurs terres d’origine et limite les déplacements dans les zones libérées en raison de ces problèmes de sécurité. À la suite des explosions de mines, des dizaines de morts et de nombreux blessés ont été enregistrés.

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Zeynab KAZIMOVA est une journaliste francophone azerbaidjanaise, membre de l’Union des journalstes d’Azerbaidjan, et depuis 2007 fondatrice et rédactrice en chef du journal « Le Carrefour » (en azerbaidjanais: Yol govshaghi), seul journal francophone d’Azerbaidjan.

De 2003 à 2018, elle a dirigé la section azerbaidjanaise de l’Union Internationale de la Presse Francophone (UPF). Elles est également chercheur-visiteur à l’Institut des études européennes à l’Université Libre de Bruxelles (ULB)

Native du Haut-Karabakh, elle est l’auteure de nombreux articles sur le conflit du Haut-Karabakh et sur les relations franco-azerbaïdjanaises.

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