LE COUP D’ÉTAT AU NIGER ET LES AFFRES DE LA FRANÇAFRIQUE ET DU NÉOCOLONIALISME

Le 26 juillet 2023, le président élu du Niger, Mohamed Bazoum était destitué et remplacé par un gouvernement de militaires. Aussitôt, la France, les États-Unis, et la CEDEAO se sont ligués contre le coup d’État et ont adressé un ultimatum aux putschistes pour qu’ils rétablissent le président Bazoum en les menaçant d’une intervention militaire. L’argument de la France, qui risque de perdre là l’un de ses derniers reliquat de la Françafrique, est que cette situation risque d’affaiblir la lutte contre le terrorisme, dans laquelle elle est actuellement fortement engagée.

Le Niger, le Mali et le Burkina Faso, quant à eux, accusent la France de vouloir maintenir l’asservissement de l’Afrique et de continuer à piller ses richesses,. Ils ont déclaré qu’une intervention militaire au Niger serait considéré par eux comme une agression contre leurs propres pays. L’Algérie a également mis en garde la France et La CEDEAO contre une telle intervention.

La chaîne américaine Democracy now a diffusé une interview du Pr. Horace Campbell, professeur d’études afro-américaines et de sciences politiques à l’Université de Syracuse, dans l’état de New York, président de la délégation nord-américaine du mouvement panafricain mondial, et auteur d’un ouvrage intitulé « Global NATO and the Catastrophic Failure in Libya: Lessons for Africa in the Forging of African Unity ». Il est interrogé par Amy Goodman.

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Pr. Horace Campbell :

Les dirigeants ouest-africains de la CEDEAO, soutenus par les États-Unis et la France, se sont réunis aujourd’hui pour envisager une action militaire visant à rétablir le président déchu du Niger, Mohamed Bazoum, à la suite du coup d’État militaire du mois dernier. Les pays voisins, le Mali et le Burkina Faso, ont indiqué que toute intervention au Niger équivaudrait également à une déclaration de guerre contre eux.

En réalité, le sentiment anti-français est très fort au Niger et dans toute l’Afrique, où on rejette massivement l’influence de l’ancien colonisateur.

Les dirigeants nigériens du coup d’État militaire du 26 juillet dernier ont nommé un nouveau gouvernement de 21 membres au moment même où les dirigeants ouest-africains de la Cedeao tenaient le 10 août un sommet d’urgence à Abuja, la capitale nigériane, afin de fixer une feuille de route, après avoir posé aux putschistes un ultimatum pour restaurer dans ses fonctions le président déchu Muhammad Bassum. La CEDEAO, soutenue par les États-Unis et la France, ancienne puissance coloniale, ont en effet menacé d’utiliser la force militaire en cas de non-respect de l’ultimatum. Mais les avis sont très partagés dans la région sur la façon de traiter la question.

Le Sénat du Nigeria a déclaré que la force armée ne devrait être utilisée qu’en dernier recours, si la diplomatie échouait. Les voisins Mali et Burkina Faso, qui ont tous deux expulsé les forces françaises de leur pays, ont déclaré qu’une action militaire serait considérée comme une déclaration de guerre à leur propre pays. De nombreux Nigériens ont manifesté dans la rue leur soutien aux militaires et leur opposition à toute intervention étrangère. La 9 août, les putschistes ont, par la voix du porte-parole de l’armée nigérienne, le colonel major Amadou Adraman, accusé la France d’avoir violé son espace aérien. Ces atteintes à l’intégrité territoriale, dont ont également été victimes le Mali et le Burkina Faso, visent à discréditer le CNSP [ Conseil national pour la sauvegarde de la patrie, nom de la junte militaire auteur du coup d’État – NDRL ], isoler ses soutiens, et créer un sentiment général d’insécurité.

Les sanctions et les coupures des courant ont entravé la livraison à plus de 4 millions de personnes de l’aide humanitaire accordée par l’ONU.

On se rappelle que des officiers africains formés par l’armée américaine ont participé à 11 coups d’État en Afrique de l’Ouest depuis 2008, notamment au Burkina Faso et au Mali .

On ne peut par conséquent s’opposer à toute intervention militaire au Mali, au Burkina Faso, au Niger et en Guinée sans s’opposer aussi à la France et aux les Etats-Unis, ainsi qu’à leur militarisation de la région.

La récente destitution du pouvoir civil au Niger est une conséquence des interventions militaires de l’occident en Afrique.


La récente destitution du pouvoir civil au Niger est une conséquence des interventions militaires de l’occident en Afrique : la fabrication du terrorisme, l’intervention des États-Unis et de la France, la destruction de la Libye, et le financement de groupes militaires dans la région par la France. Or cette intervention militaire au Niger est une conséquence de la militarisation de la société nigérienne. Alors que la société nigérienne a besoin d’une reconstruction sociale et économique, les États-Unis ont injecté plus d’un milliard de dollars dans des installations militaires, des programmes militaires et dans le soutien aux armées présentes dans cette région. Rien qu’au Nigeria, les États-Unis ont dépensé un demi-milliard de dollars pour construire une base militaire, des installations militaires et des drones à Agades afin de soutenir l’exploitation française des ressources minières du Niger. On ne peut donc pas comprendre ce qui se passe au Niger sans évoquer l’appel des peuples africains à l’expulsion de la France d’Afrique de l’Ouest.

Le ministre des Affaires étrangères du Mali a appelé les Nations Unies à enquêter sur l’action de la France dans la région. L’ancien Premier ministre italien a appelé à des sanctions contre la France.

Aux États-Unis, ce sont les grandes forces conservatrices qui soutiennent la France, au point que nous voyons désormais l’aile conservatrice de l’administration Biden, dirigée par Victoria Newland et Anthony Blinken, mener les discussions sur l’Afrique. Pourquoi Victoria Newland était-elle au Niger lundi et Victor Newlin en Afrique du Sud ? L’administration Biden avait pourtant nommé un expert sur l’Afrique, Johnny Carson, lors du dernier Sommet des États-Unis sur l’Afrique. Mais c’est Victor Newland, le faucon qui veut militariser la planète Terre, qui fait la navette entre la Nigeria et l’Afrique du Sud pour mener à bien ses tractations au service de la politique américaines. La mission de la gauche et des forces progressistes de ce pays est au contraire d’appeler au retrait du commandement américain d’Afrique, à la fermeture des installations militaires américaines au Nigeria et de soutenir le peuple nigérien dans l’expulsion de la France du Niger, tout comme l’ont fait les populations du Burkina Faso et du Mali. Nous devrions soutenir l’appel à la fédération entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso.

Les Français sont totalement dépendants de l’exploitation et du pillage de l’Afrique


Le Niger fait partie de ces États qui ont particulièrement souffert de l’intervention militaire française et des destructions dans la région. Les Français sont totalement dépendants de l’exploitation et du pillage de l’Afrique. Les Français ont installé des militaires au Niger. Lorsque leurs soldats ont été expulsés du Mali et du Burkina Faso, ils ont été redéployés au Niger. La France a exploité les ressources minérales et naturelles du Niger. Les Français ont non seulement exploité les ressources en uranium du Niger, mais lorsqu’ils fermaient une mine, ils ont abandonné sur place des matières radioactives sans se soucier de la santé et de la sécurité des nigériens.

Enfin, tout le monde en Afrique de l’Ouest réclame désormais la fin du franc CFA et de l’assujettissement par la France des économies de l’Afrique de l’Ouest. Ils réclament le retrait des 240 000 personnels français en Afrique de l’Ouest. Et ce n’est pas étonnant. Dans le cas du Niger, la France s’est toujours opposé à tout projet de reconstruction du pays. Prenons le grand plan de reconstitution du lac Tchad. Un programme essentiel pour la reconstruction du pays. On a récemment évoqué les incendies à Hawaï. Ce genre d’incendies est dû au réchauffement climatique, lequel a accéléré l’épuisement du lac Tchad. Le lac Tchad a perdu 95 pour cent de ses ressources en eau. Il existe un plan de l’autorité du bassin du lac Tchad pour reconstituer le lac Tchad.
Qui est contre ce plan ? La France.
Qui est contre l’investissement dans la reconstruction en Afrique de l’Ouest ? La France.
Qui a soutenu, ou aurait soutenu, les groupes terroristes en Afrique de l’Ouest ? Lorsque les États-Unis ont demandé une enquête sur Boko Haram, il a été révélé dans les journaux nigérians que les Français soutenaient Boko Haram au Nigeria. Les Français créent des groupes terroristes et se rendent ensuite dans les pays africains pour affirmer qu’ils combattent le terrorisme en Afrique. Ce type de duplicité de la France, qui entraîne terreur et la destruction est dénoncée par les peuples d’Afrique de l’Ouest dans tous les pays d’Afrique de l’Ouest. Ils appellent à la fin de la domination économique, financière et militaire française. Il est aussi de notre devoir, dans notre pays, de faire appel à nos représentants et à nos forces politiques progressistes. Regardez par exemple Alexandria Ocasio-Cortez, qui est un membre progressiste du Congrès,. Quand elle était étudiante, elle est allée au Niger. Pourquoi n’élève-t-elle pas la voix contre la militarisation de l’ Afrique de l’Ouest par l’armée américaine, et pour appeler à des investissements dans la reconstruction sanitaire, l’approvisionnement en eau et la sécurité des populations du Niger, du Burkina Faso et du Mali ?

Ceux qu’on appelle terroristes sont souvent des gens qui ont été soutenus par la France, comme dans le cas du renversement de Khadhafi

Aux États-Unis, la France appelle à combattre un coup d’État militaire au Niger. Mais qu’en est-il du coup d’État militaire au Soudan soutenu par les États-Unis, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ? Qu’en est-il de la destruction de l’armée au Soudan aux dépens des peuples du Soudan, qui réclament le rétablissement des relations démocratiques ? Nous ne pouvons pas être sélectifs dans notre opposition au militarisme, nous devons nous opposer au militarisme de toutes sortes en Afrique. Mais la priorité, à ce moment, est le retrait de la France et l’appel aux Nations Unies pour qu’elles impose des sanctions contre la France pour sa destruction et son action militaire en Afrique.

Les États-Unis d’Amérique ont été impliqués dans ce qu’ils appellent une guerre contre le terrorisme. Mais ceux qu’on appelle terroristes sont souvent des gens qui ont été soutenus par la France, comme dans le cas du renversement de Khadhafi et de la destruction de la Libye qui a suivi. Les Français se sont appuyé pour cela sur des groupes censés être des groupes terroristes, puis les États-Unis ont lancé ce qu’ils appellent l’initiative antiterroriste Trans-Sahara et ont dépensé pour cela un demi-milliard de dollars. Les États-Unis se sont ensuite rendus au Niger pour construire une base militaire et une base de drones à Agades.

L’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa propre Révolte ne mérite pas qu’on s’apitoie sur son sort.

Ibrahim Troy


Le dirigeant par intérim du Burkina Faso, Ibrahim Troy, qui a pris le pouvoir lors d’un coup d’État en septembre, s’est récemment exprimé à Moscou lors du sommet Russie-Afrique. il a critiqué ce qu’il appelle le néocolonialisme impérialiste :

« Les questions que se pose ma génération sont les suivantes : comment se fait-il que l’Afrique, qui a tant de richesses sur son sol, avec une nature généreuse, de l’eau, du soleil et de l’abondance, comment l’Afrique est-elle aujourd’hui le continent le plus pauvre ? L’Afrique est un continent affamé et comment se fait-il que ses chefs d’État parcourent dans le monde en mendiant ? Ce sont les questions que nous nous posons et nous n’avons pas de réponses jusqu’à présent.
Nous avons l’opportunité de nouer de nouvelles relations et j’espère que ces relations seront les meilleures pour donner à notre peuple un avenir meilleur. Ma génération me demande aussi pourquoi, à cause de cette pauvreté, des gens sont obligés de traverser l’océan pour tenter d’atteindre l’Europe et meurent dans l’océan. […] En ce qui concerne le Burkina Faso, depuis plus de huit ans, nous sommes confrontés à la forme la plus barbare et la plus violente du néocolonialisme impérialiste. : l’esclavage qu’on tente encore de nous imposer. Nos prédécesseurs nous ont appris une chose : l’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa propre Révolte ne mérite pas qu’on s’apitoie sur son sort. Nous ne nous apitoyons pas sur notre sort, nous ne demandons à personne de s’apitoyer sur notre sort.
Les Burkinabés ont décidé de lutter contre le terrorisme afin de relancer leur développement. »

Pour prononcer ce discours, Ibraham Trey portait un béret rouge qui rappelle Thomas Sankara, le leader assassiné en 1987. La conscience politique des peuples d’Afrique a été renforcée par la conjoncture de la crise capitaliste mondiale, la crise climatique, le covid-19 et l’appauvrissement général des peuples africains. Thomas Sankara était un chef militaire au Burkina Faso. Il a organisé le peuple du Burkina Faso pour apporter la sûreté, la sécurité et la salubrité dans ce pays et il cherchait comment mobiliser le peuple d’Afrique de l’Ouest contre l’impérialisme français. Mais grâce aux machinations françaises et ivoiriennes, Thomas Sankara a été assassiné. Pourtant, ce qui a été dit par le leader du Burkina Faso résonne désormais dans toute l’Afrique de l’Ouest. Au Sénégal, les sentiments anti-français et anti-impérialistes sont particulièrement élevés.
Ce que nous voyons au Nigeria, c’est que le gouvernement nigérian, que beaucoup au Nigeria qualifient d’illégal, a besoin d’une intervention au Niger, au Burkina Faso et au Mali afin d’obtenir les faveurs des États-Unis d’Amérique,. Mais le peuple nigérian est contre cette intervention militaire. Le Sénat, comme on l’a dit au début, a déclaré qu’il ne devrait pas intervenir.

Le peuple du Nigéria et le peuple du Niger ne font qu’un. C’est ce que le leader du Burkina Faso a dit en Russie au Sommet Russie-Afrique, et ce sentiment à l’égard d’une éventuelle intervention militaire occidentale est partagé par les peuples de toute l’Afrique. On sait toutegois que les officiers africains impliqués dans ces 11 coups d’État au cours des 15 dernières années en Afrique de l’Ouest, notamment au Burkina Faso et au Mali, ont été formés aux États-Unis. Ils ont été formés grâce à cet argent que les États-Unis étaient censés dépenser pour lutter contre le terrorisme. Voilà pourquoi nous avons aussi besoin d’une enquête approfondie sur ce que font les États-Unis au Burkina Faso, Mali, Niger et Guinée et d’appeler à la fermeture du commandement des États-Unis pour l’Afrique et à de meilleures relations entre les sociétés civiles d’Afrique et les peuples des États-Unis.

Les peuples africains se battent pour leur autodétermination. Les peuples africains ont réclamé l’unification de l’Afrique, les peuples africains ont réclamé la monnaie africaine, afin qu’ils n’envoient pas des milliards de dollars – 48 milliards de dollars – chaque année aux pays d’Europe occidentale. Les pays africains veulent la liberté de mouvement et créer la communauté de libre-échange continentale africaine. Et bien entendu, les États-Unis, la France, l’Union européenne et toutes les puissances étrangères sont contre l’union de l’Afrique et la création de routes, de chemins de fer et de ports pour les peuples africains.

Le renversement de Kadhafi en Libye était directement lié au projet de l’Union africaine d’une monnaie africaine. Une monnaie africaine qui empêche la sortie des ressources d’Afrique est une menace pour la France, l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique. C’est pourquoi les États-Unis agitent le spectre de la Chine, au nom de quoi les États-Unis intensifient leur militarisme en Afrique. Ensuite, cette guerre en Ukraine, qui est une certes guerre terrible contre les peuples ukrainiens de cette région, mais cette guerre en Ukraine est une autre étape de la militarisation de la planète, avec les États-Unis qui soutiennent les éléments fascistes en Ukraine. Aujourd’hui, les Africains ont pris position selon laquelle ils ne sont pas concernés par ce combat. Ils souhaitent la paix en Ukraine. Mais les États-Unis menacent les Africains pour qu’ils s’éloignent de l’influence malveillante de la Russie en Afrique. Ils ont d’ailleurs adopté un projet de loi au Congrès pour contraindre les Africains à soutenir les États-Unis et la guerre de l’OTAN en Ukraine, alors que les Africains réclament que l’OTAN soit tenue responsable de la destruction de la Libye.

En Afrique du Sud en particulier, où se tiendra le sommet des Brics. la semaine prochaine, au cours de laquelle le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud doivent s’unir pour briser la domination des États-Unis sur l’économie mondiale, les États-Unis menacent le gouvernement sud-africain. Ce n’est pas par hasard si Victoria Newland est passée de l’Afrique de l’Ouest à l’Afrique du Sud. Ils menacent le gouvernement sud-africain en prétendant que l’Afrique du Sud vend des armes à la Russie. Tout cela sont des fabrications. Les États-Unis appellent le Kenya à signer avec eux un partenariat stratégique d’investissement commercial afin de rompre avec les projets d’une plus grande coopération en Afrique de l’Est. Les États-Unis mènent donc une simulation en Afrique basée sur la défiance envers la Chine. Mais le peuple africain uni n’a pas besoin que les États-Unis lui disent de défier la Chine. Ce dont les peuples d’Afrique ont besoin, c’est de la nourriture, des emplois, des routes, des soins de santé et ils veulent des ressources tangibles à l’échelle internationale pour lutter contre le changement climatique. C’est la crise la plus importante au monde, c’est pourquoi nous, dans cette partie du monde, devons nous joindre aux peuples africains pour soutenir la paix et la reconstruction, soutenir la reconstitution du lac Tchad et ne pas soutenir la France et les États-Unis dans la destruction de l’Afrique.

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