CONSEIL NATIONAL DES IMAMS : LE COMMUNIQUÉ DE TAREQ OUBROU

Tareq Oubrou


Le 1er décembre 2020, devant la tournure que prennent les premiers travaux de préparation du Conseil National des Imams et de la charte des imams, initiées par Emmanuel Macron et Gerald Darmanin, Tareq Oubrou, grand imam de Bordeaux, publie le communiqué suivant, avec le soutien de Mohamed Ayari, imam et président du Conseil des imams des Alpes-Maritimes; Mohamed Bajrafil, théologien et islamologue; Nacer Bensalem, imam de la mosquée de Montreuil (Seine-Saint-Denis); Mahmoud Doua, Imam de la Mosquée de Cenon (Gironde); Omar Dourmane, imam prédicateur à la mosquée de Brunoy (Essonne), chef du département des études et sciences islamiques à la faculté des sciences islamiques de Paris; Azzedine Gaci, conférencier et imam à Lyon; Hassan Izzaoui, imam de la mosquée de Limoges; Mohammed El Mahdi Krabch, imam et aumônier référent des hôpitaux de l’Hérault; Abdelali Mamoun, imam et théologien; Tahar Mahdi, imam à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines)

L’Etat a récemment annoncé, par la voie du Conseil français du culte musulman (CFCM), la création d’un conseil national des imams [chargé d’avaliser les formations religieuses des imams]. Si l’idée d’avoir un conseil des imams est bonne, les voies et moyens suivis ne sont pas les bons. D’abord, parce que ce conseil s’appuie sur le CFCM, alors que tout le monde sait qu’il est une institution fragile. Les premières à le savoir, ce sont les fédérations elles-mêmes qui le composent, elles qui, aujourd’hui comme hier, passent leur temps à s’y disputer. L’Etat le sait aussi.

Créée sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy par des fédérations sous influences des pays étrangers (Maroc, Turquie, Algérie) et mêmes financée par eux, l’instance n’est pas opérationnelle. D’ailleurs, les Français de confession musulmane ne s’y reconnaissent pour ainsi dire pas. Mille cent mosquées n’ont pas participé à la dernière élection du CFCM dont la « labellisation » n’aura aucun poids parmi les fidèles. Rappelons au passage qu’aujourd’hui les citoyens sont libres. Grâce à la protection de l’Etat de droit, ils peuvent en tant que musulmans s’organiser en associations cultuelles en dehors de toute institution nationale officielle et désigner ceux qu’ils estiment les plus compétents pour être leurs imams. Ce qui veut dire que, « labellisation » ou pas, il y aura toujours des imams qui n’auront pas besoin d’être reconnus par une quelconque instance, surtout par le CFCM, et ne le voudront même pas.

Influences étrangères

Les fédérations du CFCM « labellisateur non labellisé » -,appelées à former le conseil national des imams, sont dirigées par des laïcs et pas par des religieux. Ils gèrent des associations, des fédérations. Ils font davantage de la politique que de la religion. Leur demander de créer un conseil des imams en l’absence des principaux concernés, c’est comme demander à des juges de créer un ordre des avocats. Les présidents de fédération ne connaissent souvent rien à la théologie ni au droit canon musulman. Ils vont siéger à côté d’imams désignés par eux-mêmes, des imams qui dépendent d’eux. Ils auront donc prééminence sur eux, alors que ces présidents de fédération dépendent pour la plupart de pays étrangers. Que va-t-il se passer ? On va officialiser en France les interprétations canoniques en vigueur dans ces pays, par la voix de gens sans savoir religieux crédible ! Et on demande en même temps, au travers de la charte des principes républicains, à ces mêmes représentants de l’influence étrangère de lutter… contre l’influence étrangère sur l’islam en France ! Comprenne qui pourra. Au lieu de demander au CFCM de constituer un conseil national des imams (CNI), l’Etat aurait dû exiger du CFCM qu’il se réforme, réforme qui se fait attendre depuis des années !

Mais, dépassons ce sujet et imaginons, dans une France imaginaire, que le problème des imams des mosquées soit réglé par le CNI , que fera-t-on du vrai problème, celui de toute une armée d’ « imams virtuels » qui dirigent des « mosquées virtuelles » entières, ces « communautés musulmanes connectées », constituées d’une jeunesse assoiffée de religion, si possible dans sa version la plus identitariste ? Comment « labelliser » ces « imams de fait » très influents, alors que leur aura et leur succès reposent largement sur le fait qu’ils prêchent en dehors des institutions officielles et souvent contre elles ?

L’intention de l’Etat est compréhensible, elle est même louable. Mais la démarche n’est pas bonne. Que va-t-il en effet se passer ? Les fédérations qui composent le CFCM vont habiliter leurs propres imams, comme elles le font déjà pour les aumôniers. Or, quelle est la situation des aumôneries ? Très mauvaise. Mis à part quelques exceptions très estimables, on trouve parmi les aumôniers « labellisés » par le CFCM des gens qui ne connaissent pas grand-chose à la religion ni même parfois aux piliers de la foi musulmane. Certains ont en outre du mal à accepter le principe de l’allégeance à la nation. Tout cela à cause d’un mode de désignation dont la seule règle est le copinage; et la seule déontologie, l’absence de déontologie. Une sorte d’ « autolabellisation » clientéliste est à l’oeuvre, clientélisme auquel le conseil des imams, lié au CFCM, n’échappera pas. L’Etat connaît cette situation et s’en plaint. Pourquoi crée-t-il les conditions de sa reproduction avec les imams ?

Traiter d’abord la question théologique

L’Etat comprend qu’il y a un problème mais, et c’est frustrant pour lui, le problème est religieux et sa résolution incombe aux seuls musulmans. Ce problème, c’est la théologie. Est-ce que ceCNI aura le courage et les outils intellectuels théologico-canonico-éthiques pour répondre à cette problématique fondamentale ? Pourra-t-il penser une « théologie préventive », par exemple ? Quand on sait que certaines fédérations qui composent le CFCM ont des instituts qui enseignent des doctrines canoniques médiévales , dont l’importation non critique engendre des comportements problé ma tiques, voire dangereux, on sait bien que la réponse est négative. Il ne suffit donc pas de déclarer la guerre au conser vatisme traditionaliste ou au salafisme wahhabite, il faut lui proposer une alternative éclairée, puisée dans l’interprétation des textes canoniques musulmans analysés dans le contexte de notre modernité occidentale. Si la question théologique n’est pas traitée d’abord et avant tout, même la décision courageuse du gouvernement de stopper les visas des imams détachés ne mettra pas fin au problème. Car les discours des imams étrangers seront simplement remplacés par ceux des imams français qui véhiculeront les mêmes lectures problématiques, avec un français sans accent, voire vernaculaire. Le fond restera inchangé : la diffusion des mêmes doctrines en vigueur dans les pays musulmans d’origine.

Réformer le CFCM

Alors que faire ? Tout d’abord il faudrait commencer par une réforme structurelle et statutaire du Conseil français du culte musulman et reformuler son lien avec les conseils régionaux du culte musulman, lesquels, pour l’instant, ne servent à rien. Sa tâche devra se limiter à la gestion administrative et temporelle du culte, place éminente néanmoins, car le CFCM a vocation à être une pièce maîtresse dans le puzzle de la représentativité. Mais il ne doit pas être la seule. L’autre pièce est le conseil national des imams de France, une association indépendante, constituée uniquement d’imams, faite par des imams pour les imams, à laquelle un groupe d’entre eux travaille depuis dix-huit mois. Ce conseil collaborera avec le CFCM, lequel pourra proposer quelques imams pour siéger dans l’organe dirigeant qui devra se pencher sur l’élaboration d’un consensus doctrinal minimal; agréer des imams et non les « labelliser », nous ne sommes pas des produits de grande consommation ! ; participer à la désignation des aumôniers et animer la réflexion intellectuelle musulmane.

La troisième pièce du dispositif, c’est l’organisme qui s’occupe du financement. C’est le « nerf de la guerre », qui permettra de favoriser l’émancipation progressive des musulmans de France à l’égard des pays étrangers, de leur influence politique comme théologique. C’est la mission de l’Association musulmane pour l’islam de France (AMIF), à la fois indépendante du CFCM et du conseil des imamsafin d’éviter tout conflit d’intérêts. Elle peut cependant admettre en son sein des membres désignés par le CFCM et par le conseil des imams, notamment pour des questions d’ordre éthique. L’AMIF attend d’ailleurs depuis huit mois que les dirigeants du CFCM veuillent bien dé signer leurs représentants au sein de son conseil d’administration, comme ils s’y étaient engagés. La nature des liens restera à préciser entre ces trois instances, indépendantes les unes des autres, pour tenir un certain équilibre et éviter ainsi toute subordination ou conflit d’in térêts. A côté d’elles, enfin, la Fondation pour l’islam de France doit oeuvrer pour la diffusion de la culture mu sulmane en France et soutenir la formation profane des imams.

L’Etat doit accompagner cette structuration, comme il l’a fait en d’autres temps avec les autres cultes. Il peut faciliter le dialogue entre musulmans, qui doit maintenant aboutir, car les palabres n’ont que trop duré. Mais qu’il ne se trompe pas d’interlocuteurs : aux laïcs la gestion administrative du culte, aux religieux la question religieuse, à la société civile la question financière. Et à l’Etat le respect de la lettre et de l’esprit de la loi de 1905.

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