UN MONDE SOUS INFLUENCE – LE RÔLE ET LA PLACE DE L’ARABIE SAOUDITE

Karim IFRAK

Karim Ifrak

Docteur de l’École Pratique des Hautes Études (EPHE), Karim IFRAK est islamologue. Chercheur au CNRS, il est spécialiste de l’histoire des Textes et des idéologies contemporaines. Comptant à son actif plusieurs contributions écrites, il est l’auteur de : « Faut-il réformer l’islam ? Quelques clés de lecture », éd. Bouraq, Paris, 2017. « Liberté, Égalité, Fraternité : Valeurs Spirituelles, valeurs Républicaines », (préfacé par le Premier Ministre M. Édouard PHILIPPE), Olivétan, Lyon, 2018.  « Ibn Achour, sa vie, son œuvre et sa pensée », aux éditions de l’IMA, 2020.

ARABIE SAOUDITE : UN NOUVEL ACTEUR AU DEVANT DE LA SCÈNE

Si le royaume d’Arabie Saoudite est le plus grand des pays du Golfe territorialement parlant, il l’est tout autant par l’influence qu’il exerce dans la région, dans le monde musulman en général, et arabe en particulier. Possédant la deuxième réserve mondiale de pétrole dite « prouvée », il occupe le rang de première puissance économique du Moyen-Orient et la 18e au niveau mondial. Des raisons qui font qu’à chaque fois que le nom de cette monarchie est cité, celui-ci ne laisse pas indifférent. Cependant, en raison, et peut-être à cause de toutes les attentions dont il fait l’objet, aux yeux des opinions publiques internationales, ce grand pays du Golfe est souvent perçu comme une source d’inquiétude. Le motif : sa diplomatie religieuse, singulièrement prosélyte, qui interpelle plus qu’elle ne rassure.

Abritant à lui seul le quart des réserves mondiales de pétrole, l’Arabie Saoudite attisa, et ce depuis les premières découvertes de ses gisements pétrolifères hors normes, les convoitises des grandes puissances. Le pétrole, ressource énergétique indispensable à la vie de l’économie mondiale et par conséquent enjeu d’une rivalité géopolitique et géostratégique internationale, propulsa ce pays longtemps étouffé par l’autorité de la Sublime Porte, au rang de nation parmi les plus connues au monde. Cependant, si l’Arabie Saoudite fait autant parler d’elle, forcément eu égard à ses précieuses ressources énergétiques, c’est surtout pour avoir pris part, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, à une autre guerre non moins grande : la guerre froide.

À l’époque, l’enjeu étant vital, le royaume des Saoud n’avait qu’un choix extrêmement limité. Soutenir, grâce à son pétrole, « le monde libre », démocratique et « croyant » ou regarder s’évaporer, sous la menace du « monde soviétique », autocratique et « athée » l’ensemble de ses projets d’avenir. Le jeune pays du Moyen-Orient franchit alors le pas en scellant, en 1945, une alliance fort symbolique avec le pays qui allait devenir la nouvelle plus grande puissance mondiale : les USA. Avec la manne financière des pétrodollars, les USA, grands vainqueurs de cette guerre intercontinentale, tout en développant le plan Marshall, s’assuraient de la loyauté de leurs alliés en même temps qu’ils les plaçaient, plus ou moins, sous tutelle. Le volet économique étant assuré, restait alors le volet idéologique, celui propre au monde musulman en particulier.

UN REMPART CONTRE LE COMMUNISME

Au cours des années 50, le monde musulman, majoritairement assujetti à une implacable colonisation, regardait croître une nouvelle idéologie nourrie au sein révolutionnaire de l’Union Soviétique : le communisme. L’Arabie Saoudite, forte de ses ressources financières et de sa proximité avec le nouveau gendarme du monde, allait jouer, à la demande de ce grand protecteur, le rôle de digue idéologique. Le but était clair : immuniser idéologiquement le monde musulman de cet « athéisme » indéniablement néfaste et pour son corps et pour son esprit. Aussitôt, elle mobilisa des ressources financières, humaines, diplomatiques, logistiques et sécuritaires à la mesure de cet enjeu aux dimensions internationales. L’Égypte, étant le noyau dur de cette mutation qui s’acharnait à faire basculer le monde musulman vers un monde exclusivement arabe, focalisa alors toute l’attention des Saoud. Diligemment, le grand allié des Alliés s’attela à fonder de nombreuses institutions à Médine, à La Mecque et autant que nécessaire partout ailleurs.

L’objectif de cette grande effervescence était double : opposer le panislamisme au panarabisme socialisant de Nasser, et relayer le plus possible le rayonnement diplomatico-cultuelle de Bilad al-Haramayn (Pays des Lieux Saints). La guerre des Six Jours (1967) se chargea de faire le reste. En précipitant le déclin de Nasser, elle contribua à accroître l’influence de l’Arabie Saoudite sur l’échiquier mondial. Une influence qui participa, avec le soutien du « monde libre » à faire chuter, en 1989, le dernier rempart du « monde soviétique » : le mur de Berlin.

Imaginez, l’ombre d’un moment, ce que serait devenu le monde, si pour des raisons autres, cette grande monarchie avait choisi de soutenir, non pas « le monde libre », mais plutôt « le monde soviétique » ?

LA LIGUE ISLAMIQUE MONDIALE À L’IMAGE D’UN MONDE QUI CHANGE

Mohammad Al-Issa
Dr. Mohammad Al-Issa, Secrétaire général de la Ligue Islamique Mondiale

Au cœur de cette puissante armada forgée avec le but de développer l’influence de l’Arabie Saoudite, la Ligue Islamique Mondiale, Fer de lance de ce large dispositif, y occupe indéniablement le haut du pavé. Créée en 1962, cette ONG composée de 53 États membres et présente actuellement dans plus de 120 pays, constitue le pôle du rayonnement religieux du royaume. Or, loin de se borner à la fonction de « bras religieux », la LIM se veut désormais un relais parallèle en matière de soft power.

Depuis son installation aux commandes en 2016, le Dr. Mohammad Abdelkarim Al-Issa s’attèle à en faire une ONG digne des plus grandes signatures de la scène internationale. Dans cette perspective, ce nouveau Secrétaire Général fit un généreux don de près de 1,1 milliard de dollars aux Nations unies. Un don destiné à l’urgence humanitaire exclusivement, sans considération aucune pour les convictions religieuses des destinataires finaux. Un don qui annonce explicitement la couleur : désormais, la LIM ne diffusera plus, comme par le passé, une vision particulière de l’islam, mais plutôt celle d’un islam tolérant, inclusif et totalement ouvert sur le monde et sur l’Autre. Et afin de rendre compte de cette nouvelle orientation prise par la LIM et qui rompt totalement avec ses actions passées, le nouveau S.G. s’est lancé personnellement dans un impressionnant tour du monde. Une mission de haute importance et de haute confiance voulue par celui que les observateurs nomment « le nouvel homme fort du Moyen-Orient » : Mohammed ben Salmane.

Au cours d’une interview accordée au Washington Post en 2017, le prince héritier du royaume des Saoud rappela qu’à la demande des Alliés, son pays, afin de contrer l’idéologie soviétique, avait massivement investi dans les lieux de cultes et les écoles islamiques à l’étranger. Une opération extrêmement coûteuse, considérée alors par l’Occident comme l’unique chance d’endiguer la propagation de l’idéologie soviétique et le seul moyen de l’empêcher de « conquérir le monde musulman ou d’y acquérir de l’influence ». Un rôle que le royaume ne compte plus assumer, résolu qu’il est à revenir à un Islam modéré, ouvert à toutes les religions et au monde. Un véritable aggiornamento qui se manifesta par le limogeage de plusieurs leaders religieux hostiles à tout esprit de réforme et par la suppression du droit de la police religieuse de procéder à toute forme d’arrestations. Une manœuvre destinée à décroître le pouvoir du clergé en lui retirant toute possibilité de faire appliquer ses « normes ». Des actions qui donnent le ton, suivies incessamment par d’autres tout aussi symboliques. L’organisation du premier concert dans le royaume, la réouverture de salles de cinéma et de spectacles (interdits depuis 1980), ou encore, la permission aux femmes de conduire leurs voitures. Et pour la première fois dans l’histoire de l’Arabie Saoudite, le nouvel an fut publiquement et ouvertement fêté. Dans un pays ou la moitié de la population (33,4 M) a moins de 25 ans, il était urgent de lui offrir ces quelques bols d’air frais.

VISION 2030

Mohammad Ben Salmane et le projet Vision 2030

Mais de toutes les réformes importantes engagées par Mohammed Ben Salmane, Saudi Vision 2030 se veut un programme de privatisations et de développement de grande envergure grâce auquel le prince héritier compte moderniser son pays. Un projet titanesque qui a pour ambition d’investir de nombreux champs économiques : le tourisme, les loisirs, les industries innovantes, en priorité. Un projet ambitieux qui permettra la création de plus d’un million d’emplois, particulièrement au profit des plus jeunes. Un beau projet qui permet déjà à l’Arabie Saoudite de se hisser au 62ème rang mondial selon le rapport « Doing Business 2020 ». Un bond de 30 places, en moins d’un an, par rapport à 2019.

Indéniablement, l’Arabie Saoudite est en cours de rédaction d’un nouveau chapitre de son histoire. Un tournant majeur qui prouve qu’elle est fin prête à emprunter de nouvelles voies plus sereines et certainement plus prometteuses.

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Un commentaire

  1. Article très peu critique, voire meme accommodant trop complaisant pour être honnête.. N’oublions pas que l’Arabie Saoudite a à sa tète le commanditaire d’un crime crapuleux , celui du penseur et journaliste Jamal Khashoggi, qu’elle mène une guerre meurtrière et inhumaine au Yemen, et qu’on y met en prison arbitrairement des personnalités irréprochables pour défaut d’encensement suffisant, tel Salman El Aouda. C’est dans le jargon politique ce qu’on appelle un dictature sanguinaire, et dans celui islamique, un Taghout.

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