CNI : LA MOSQUÉE DE PARIS CLAQUE LA PORTE. PREMIER ECHEC POUR LA TENTATIVE DE MAINMISE GOUVERNEMENTALE SUR L’ISLAM

Par Jean-Michel Brun

Quelle mouche a piqué notre gouvernement ?
Dans la logique de cette ubuesque croisade contre le « séparatisme », comme si ce mot s’appuyait sur une quelconque réalité, le ministre de l’intérieur, suivi par le Président de la République eut l’étrange idée de vouloir réglementer le discours des imams.

Le CNI et la Charte des imams : un projet ambigu.

Il serait certes d’une grande utilité, et même d’une nécessité absolue, de donner un cadre au statut d’imam. Etre imam n’est pas un métier de tout repos. Les imams multiplient les missions : ils sont tour à tour prédicateurs, conseillers juridiques, psychologiques, ils s’occupent de la protection de l’enfance, et sont souvent mobilisables à toute heure. Sans statut, ils sont soumis à la bonne volonté des fidèles, et ne reçoivent qu’une rémunération dérisoire, ou pas de rémunération du tout, et souffrent d’un manque de reconnaissance.

Voir notre article sur l’imamat

Mohammed Bajrafil et Noureddine Belhout, directeur de la Faculté des Sciences Islamiques de Paris

Résultats : une cascade de démissions, dont la plus emblématique a sans doute été celle de Mohammad Bajrafil, et une véritable pénurie d’imams au point que les mosquées sont souvent amenées à passer des annonces sur les réseaux sociaux spécialisés pour trouver des imams ponctuels afin d’assurer les offices du vendredi.

Voir l’article de Saphirnews « Pourquoi Mohamed Bajrafil décide d’abandonner sa charge d’imam »

Pourtant, le projet rédigé par le gouvernement ne traite pas de ces questions. Son objectif affiché est de contrôler les prêches, l’esprit « républicain » des prédicateurs, et le financement des établissements religieux, à travers un Conseil National des Imams, doté, ainsi qu’il fut décidé lors d’une réunion à l’Elysée le le 18 novembre 2020 d’une « Charte des imams».

Cela pose trois questions majeures.
La première est que le principe de laïcité devrait interdire aux autorités de se mêler du contenu du discours religieux
La seconde est que l’endoctrinement tant redouté vers des démarches violents de certains jeunes désorientés ne passent pas par les mosquées et les imams, mais par les réseaux sociaux et internet qui, eux ne sont pas contrôlés.

Enfin, le projet de charte été élaboré en collaboration avec la Grande Mosquée de Paris, avant d’être soumise à la discussion du CFCM. Des structures qui n’ont qu’une représentativité limitée, et sont l’un des rouages de « l’islam consulaire » que le gouvernement affirme vouloir combattre. En revanche, à aucun moment il n’a été fait appel aux principaux intéressés : les imams eux-mêmes. Cette volonté d’imposer ce qui aurait dû être élaboré en commun a naturellement suscité l’opposition de la plupart des imams.

Comment le gouvernement français a-t-il pu imaginer obtenir un consensus sur un texte de cet acabit ? Où chaque principe énoncé présuppose que les mosquées sont les antichambres du terrorisme et les imams des prédicateurs de haine ?
Diffusée par Mediapart, la dernière mouture du projet de charte est un festival de poncifs, d’a-priori, de sous-entendus vexatoires à l’égard des musulmans.

On y affirme, par exemple, que le « racisme d’Etat » n’existe pas en France. Les signataires ont l’interdiction d’utiliser, dans leur communication, l’expression « islamophobie d’Etat » ou « racisme d’Etat ».
Nous renvoyons à ce sujet à l’excellent ouvrage de Olivier Le Cour Grandmaison et Omar Slaouti : « Racismes de France », Editions Cahiers Libres – Découvertes.

Ces absurdes injonctions sont ça et là empaquetées de lapalissades, comme « L’ordre politique demeure séparé de l’ordre du religieux. »…« Nous refusons que les lieux de culte servent à diffuser des discours politiques ou importent des conflits qui ont lieu dans d’autres parties du monde » Depuis près de 40 ans que je suis et lis des prêches du vendredi, je n’ai jamais entendu un imam « importer un conflit d’une autre partie du monde ». Peut-être cela a-t-il été le cas à l’époque de « l’islam des caves », mais celui-ci a disparu… jusqu’à ce que « l’islamphobie d’Etat », comme un pompier pyromane, le fasse réapparaïtre…

Enfin, comme l’aurait dit Pierre Desproges, on a à la fois « les mains sales et la nausée » lorsque, au détour d’une page, on découvre une affirmation qu’on croirait empruntée aux heures sombres de notre histoire : « Nous rejetons fermement les campagnes diffamatoires prétendant que les musulmans de France seraient persécutés. […] L’attitude victimaire ne repousse pas la haine, elle contribue à la nourrir ». Nos frères juifs apprécieront la formule…

Tareq Oubrou, recteur de la mosquée de Bordeaux, a immédiatement réagi à travers une tribune co-signée par une douzaine d’imams, dont Mohamed Bajrafil , le recteur de la mosquée de Villeurbanne Azzedine Gaci, membre du Conseil des mosquées du Rhône, et Omar Dourmane, imam prédicateur à la mosquée de Brunoy (Essonne).
On peut y lire notamment : « aux laïcs la gestion administrative du culte, aux religieux la question religieuse, à la société civile la question financière. Et à l’Etat le respect de la lettre et de l’esprit de la loi de 1905 […] Si l’idée d’avoir un conseil des imams est bonne, les voies et moyens suivis ne sont pas les bons. D’abord, parce que ce conseil s’appuie sur le CFCM, alors que tout le monde sait qu’il est une institution fragile. […] les fédérations du CFCM – labellisateur non labellisé –, appelées à former le conseil national des imams, sont dirigées par des laïcs et pas par des religieux, qui font davantage de la politique que de la religion. […] Leur demander de créer un conseil des imams en l’absence des principaux concernés, c’est comme demander à des juges de créer un ordre des avocats. Les présidents de fédérations ne connaissent souvent rien à la théologie ni au droit canon musulman. Ils vont siéger à côté d’imams désignés par eux-mêmes, des imams qui dépendent d’eux. Ils auront donc prééminence sur eux, alors que ces présidents de fédérations dépendent pour la plupart de pays étrangers. »

Voir communiqué de Tareq Oubrou

Voir le communiqué de Noureddine Aoussat « Pourquoi je ne signerai pas la charte des imams »

Selon Mediapart, la volonté des auteurs du texte n’était pas d’obtenir un consensus, mais au contraire de « faire une charte mauvaise pour s’assurer que certaines fédérations ne la signeraient pas […] Le but ? Faire le tri, exclure les fédérations de mosquées qui ne soutiendraient pas les initiatives gouvernementales. » La théorie se tient.

La Grande Mosquée de Paris se retire du projet

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que le projet soit dans l’impasse. Il n’est pas surprenant non plus que ses initiateurs ne cherchent ni à analyser les causes de l’échec, ni à trouver les solutions adéquates, et préfèrent se réfugier dans le déni .

Par la bouche de son nouveau responsable de la communication, Mohammed Sifaoui, dont on connaît la bienveillance à l’égard des musulmans, qui signe un article dans le Journal du Dimanche, la Mosquée de Paris est la première à dégainer. Elle rejette la faute sur des islamistes qui, au sein du CFCM, saboteraient en coulisse un projet si parfait.
Un article confirmé par un communiqué officiel de la GMP du 28 décembre 2020 par lequel son recteur annonce son retrait unilatéral du projet, précisant notamment que « Malheureusement, la composante islamiste au sein du CFCM, notamment celle liée à des régimes étrangers hostiles à la France, a insidieusement bloqué les négociations en remettant en cause presque systématiquement certains passages importants. »

Voir l’article du JDD
Voir le communiqué de la GMP

On peut toutefois penser que ce retrait est autant motivé par le fait qu’il avait compris que la majorité des imams ne signeraient pas la charte, ce qui aurait constitué un véritable camouflet pour le nouveau recteur, que par les rivalités qui l’opposent à ses collègues du CFCM.

Depuis le début de sa mandature à la tête de la Grande Mosquée de Paris, le recteur Hafiz Chams-Eddine cherche à prendre le pas sur les autres candidats à la représentation des musulmans de France. Il joue à fond la carte du gouvernement français et de sa proximité avec Emmanuel Macron en approuvant systématiquement ses positions, même s’il attaqua, dans le passé, le journal Charlie Hebdo. D’autant que du côté de son bailleur de fonds traditionnel, le gouvernement algérien, le temps n’est pas au beau fixe. Celui-ci lui reprochant notamment sa proximté avec l’ancien président Bouteflika.
Fin diplomate, Hafiz Chems-Eddine joue sur tous les tableaux à la fois, se rapprochant discrètement des uns et des autres pour ensuite mieux attiser leurs tensions et, au final, tirer son épingle du jeu. Helas, qui veut faire l’ange fait la bête, et le recteur prend ainsi le risque d’unir tout le monde contre lui.

D’ailleurs, la base n’est guère tendre avec les termes du communiqué de la GMP.

« Voir reprendre la terminolgie d’islamophobes notoires me sidère .  Parler d’une composante islamiste au sein du CFCM , c’est vraiment incroyable…. » nous confie un imam proche du CFCM.
Tandis qu’un autre imam, déjà précédemment signataire d’une motion demandant à ce que les imams soient intégrés au projet, attribue l’évocation d’une « composante islamiste » au fameux principe « quand on veut noyer son chien, on l’accuse de la rage ».

Ce retrait brutal ne pouvait bien sûr pas rester sans réponse. laquelle fut donnée le lendemain par le président du CFCM, Mohammed MOUSSAOUI.

Celui-ci rappelle notamment que, contrairement à ce que le recteur de la Mosquée de Paris semble insinuer, « le 15 décembre 2020, la dernière mouture de la charte a obtenu l’approbation de l’ensemble des fédérations, y compris celle de la Grande Mosquée de Paris. »
Il rappelle même que le geste de Hafiz Chams-Eddine a surpris tout le monde, y compris ses propres collaborateurs: « C’est avec regret et grande stupéfaction que le 28 décembre 2020 nous avons appris le retrait de la Grande Mosquée de Paris des travaux du CNI, via un communiqué de presse, en pleine réunion de l’Exécutif du CFCM à la quelle participaient trois membres de la Grande Mosquée de Paris, également surpris par le communiqué. »

M. Moussaoui s’insurge ensuite sur les accusations de blocage imputées à des représentants de fédérations, alors que, selon lui « tout se déroulait normalement. »

« Les accusations portées à l’encontre de certaines composantes fondatrices du CFCM, avec lesquelles la Grande Mosquée de Paris a composé et continue de composer depuis des décennies et ce jusqu’au 28 décembre 2020, me laisse perplexe et interrogatif. Dans pareille situation, le non-dit n’a pas sa place et des explications claires et précises devaient être données aux concernés. »

Voir le texte du communiqué de M. Moussaoui

Le projet gouvernemental mis à mal

Ce va-et-vient de communiqués a en tous cas un effet notoire : celui de mettre au grand jour les tensions à l’intérieur du CFCM, et entre les différents porte-parole déclarés de l’islam de France.

Une guerilla qui compromet le plan de Gerald Darmanin de contrôler l’islam de France. Celui-ci ne dispose plus d’appui représentatif pour imposer son Conseil National des Imams et sa charte.

Beaucoup de musulmans voient dans ces tentatives d’organiser l’islam de France une volonté d’ingérence, de mainmise de l’Etat sur la religion musulmane, qu’ils apparentent à une attitude néocoloniale.

De plus en plus de responsables musulmans réclament une autonomie d’organisation et de décision par rapport aux autorités. Des rencontres s’organisent, les sondages internes se multiplient. Le dernier en date, mené par un groupe d’imams indépendants et influents, indique que 67% des sondés approuvent l’idée d’un Conseil des Imams, mais seuls 33% approuvent le projet de charte tel qu’il est actuellement présenté.

En ce sens, les imams sont les porte-parole de leurs fidèles, qui comprennent mal pourquoi on veut transformer pour eux le concept de laïcité. Si veut que les musulmans soient parfaitement intégrés à la société française, pourquoi ne pas commencer par traiter l’islam comme une religion comme les autres, et appliquer simplement la laïcité telle, qu’elle a été définie en 1905 ?
A travers ce projet de charte, les musulmans ont de nouveau l’impression de devoir, encore et encore, faire la preuve de leur loyauté à l’égard de la République, et de ses valeurs, comme s’ils ne le faisaient pas au quotidien, eux qui sont les premiers à la servir dans l’éducation, la santé, ou simplement dans le monde du travail.

On ne fera pas un islam de France sans les musulmans de France, c’est ce que clament à l’unisson les imams de France, bien à l’écart des « carabistouilles » des potentats de l’islam officiel.

Comment le gouvernement va-t-il réagir à ce capharnaüm ? continuera-t-il à soutenir son poulain de la GMP ? S’il applique le principe évangélique « Malheur à celui par qui le scandale arrive », il y a peu de chance. Va-t-il utiliser son joker, Ghaleb Bencheikh, le président de la Fondation de l’Islam de France, qu’il a reçu à plusieurs reprises et qui se veut étranger à ces polémiques ? Ou va-t-il choisir une autre solution ? Les voies du seigneur sont impénétrables…

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37 ans de projets…

Jusqu’en 1983, les musulmans n’étaient pas représentés en tant que communauté. La seule voix « institutionnelle» était celle de la mosquée de Paris, un fort symbole, mais très liée l’Algérie, son bailleur de fonds .
1983 : première tentative des musulmans de s’auto-organiser à travers la Fédération Nationale des Musulmans de France. L’objectif était également de créer un contrepoids à la mosquée de Paris, alors dirigée par Cheikh Abbas (le père de Ghaleb Bencheikh, actuel président de la Fondation de l’Islam de France – NDLR). Les rivalités entre les différents communautés ont rapidement conduit à l’échec du projet
1990 : Pierre Joxe, alors ministre de l’Intérieur sous la présidence de François Mitterrand, lance le Conseil de réflexion sur l’Islam de France, qui est chargé de présenter des propositions pour l’organisation du culte musulman.
2003 : constituée à l’initiative de Jacques Chirac, la commission Stasi se penche pour la première fois sur la place de l’islam en France. Cette démarche est consécutive au fait que les musulmans, jusque là confinés dans leurs communautés locales, deviennent visibles, notamment avec l’émergence de la nouvelle génération, qui souhaite affirmer son identité.
2003 : la même année, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, lance le Conseil Français du Culte Musulman. Censée représentée l’ensemble des musulmans de France, l’institution souffre de plusieurs handicaps : les différentes fédérations qui le composent restent très liées à leur pays d’origine, entraînant des rivalités et des dépendances idéologiques et financières, les statuts du CFCM lui permettent d’organiser le culte et non de rassembler les musulmans, enfin sa représentativité et faible et sa légitimité contestée par la majorité des musulmans.
2020 : avec le choix de Gérald Darmanin, héritier de Nicolas Sarkozy, et habité par l’idée que les musulmans de France participent à ce qu’il appelle le « séparatisme », le président Emmanuel Macron, s’engage dans une politique de tentative de contrôle du culte musulman en élaborant une « charte des imams » et en prévoyant la création d’un « Conseil National des Imams ».

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Un commentaire

  1. Salam
    Au vue de cette situation tragi-comique bien exposée dans cette article, que faire? Il faut dégager les brebis galeuses!
    Hafiz Chams-Eddine en est un, maître manipulateur, instigateur de fitna, ayant opté à chaque fois pour les mauvais choix des deux côtés de la Méditerranée (Sarkozy, Bouteflika et aujourd’hui Macron), travaillant plus pour Darmanin et consorts que ses coreligionnaires. Un personnage peu recommandable qui n’a rien à faire valoir contrairement à un Ghaleb Bencheikh avec son immense érudition, même si du même acabit. Il est connu seulement pour sa proximité avec les officines du pouvoir… et travailler pour son propre agenda.
    D’autres dont chacun pourra en dresser sa propre liste sans que je n’ai à citer de nom, souvent beaux parleurs, un brin érudit, voulant représenter la communauté Musulmane dans les médias alors qu’ils n’ont aucune proximité avec elle, et souvent arborants des visions alambiquées sinon personnelles de l’Islam et de fait, confisquant la voix des Musulmans. Ceci ne veut pas dire que les représentants des Musulmans doivent avoir la même vision normalisée. Il est acceptable d’avoir des tenants de visions d’Islam différentes sur certains aspects (obligation ou non du foulard pour la Musulmane, de consommer la viande halal, de l’utilisation de comptes bancaires à intérêt, de la tolérance de la musique… ou d’autres questions d’Ijtihad) ) s’ils sont sincères , et si leur perspective est unique et argumentée, ou s’ils sont des spécialistes reconnus d’un domaine particulier. Je ne parle même pas des Mohamed Sifaoui, Kamel Daoud, Boualem Sansal, et autres qui cultivent la haine de l’Islam et des Musulmans et ne s’en cache pas, qui se complaisent dans leur athéisme déclaré, et qui donc se sont mis au banc de la communauté musulmane.
    Bref, un sérieux ménage est de mise au niveau de la représentation des Musulmans de France pour que leur voix soit portée pour ceux qu’ils auront eux mêmes choisis.
    Mimoun James

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