Interview de Noureddine BELHOUT, Directeur de la Faculté des Sciences Islamiques de Paris (1)
La question de la formation des imams exerçant sur le sol français agite le monde politique depuis un demi-siècle. Elle est même devenue, depuis quelques années, quasiment obsessionnelle, nourrissant des inquiétudes qui, si elles sont le plus souvent de l’ordre du fantasme, alimentent la méfiance à l’égard de la communauté musulmane. Pourtant, aucune solution n’a véritablement vu le jour. Qui doit assurer cette formation, quel doit en être le contenu, comment valider ce dernier, s’assurer de sa qualité, etc… ? Nous avons posé la question à Noureddine Belhout, directeur de la Faculté des Sciences Islamiques de Paris.
Un métier qui attire la jeunesse
Question importante, car beaucoup de jeunes nous contactent à la FSIP pour les éclairer et les orienter au moment où aucun dispositif d’orientation n’existe encore , ainsi de nombreux bacheliers sont attirés par ce métier qui leur apparaît entouré d’un certain prestige. En réalité, rares sont ceux qui ont une idée précise de ce qu’est exactement un imam ou quel est son rôle. Et encore moins de la façon dont on peut se former à ce métier, quels sont les prérequis, quel en est le cursus, sa durée, quelles sont les établissements ou les institutions qui proposent cette formation, quelle valeur ont les diplômes obtenus, s’ils sont reconnus, par qui, et enfin quelles opportunités peuvent s’offrir aux étudiants ainsi formés.
Cet engouement des jeunes pour la fonction d’imam repose généralement sur une connaissance partielle de celle-ci, dont on ils ne voient souvent que la situation de « notable ». En réalité, derrière le prestige de façade, se cache un travail difficile, parfois ingrat, et qui demande un investissement considérable en temps et en énergie.
Qu’est-ce qu’un imam ?
Étymologiquement, « Imam » vient de l’arabe « Amama », qui signifie « celui qui se tient devant », et du verbe « amma », « yaoummou » : s’orienter, aller vers quelque chose. Ainsi, l’imam est celui qui s’oriente le premier vers la qibla et prend le chemin vers Dieu, tandis que, derrière lui, les fidèles s’orientent et prient. Ils se dirigent également vers lui pour demander conseil et orientation. De cette façon, le mot « imam » désigne à la fois celui qui conduit la prière, qu’il soit savant ou non, et le savant érudit.
Existe-t-il plusieurs catégories d’imams ?
Le vocable « imam » se rapporte en fait à plusieurs types de missions. L’imam peut ainsi être
-
Celui qui dirige une prière de groupe, quelle que soit la taille de celui-ci ou le lieu. Aucun savoir particulier ne lui est demandé, hormis la capacité d’effectuer correctement la prière.
-
Celui qui dirige les 5 prières dans une mosquée. Il peut cumuler ce rôle avec la fonction d’Imam khathib
-
L’« imam khatib », dispense la « khutba », le sermon du vendredi
-
L’imam de « tarawih » dirige les prières nocturnes du mois de Ramadan. Il doit avoir, de préférence, mémorisé l’intégralité du Coran, avec une psalmodie correcte.
-
L’imam consultant enfin, qui intervient ponctuellement pour assurer l’un des rôles précédents, prodiguer des conseils, un enseignement, etc…
L’imamat est-il un métier ?
Soulignons d’abord que la question du statut de l’imam n’est pas encore clairement réglée. Le flou entourant la définition même de la fonction, qui n’apparaît pas dans le répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), rend difficile l’élaboration de critères encadrant ce métier et sa formation.
La responsabilité de cette situation est partagée
La communauté musulmane en a elle-même a sa part : en fondant ses associations sous un statut culturel et non cultuel, et en déclarant les imams en tant qu’animateurs, ou même en s’abstenant simplement de les déclarer, ou encore en faisant appel à des bénévoles ou à des imams « détachés » payés par des pays étrangers, elle contribue à alimenter l’ambiguïté de la profession.
Par ailleurs, les mosquées et les associations censées représenter l’islam ne se sont pas réellement emparées de la question.
L’autre part de responsabilité revient aux autorités qui n’ont pas su élaborer une véritable fiche de métier permettant de préciser les contours de la mission, et donc de la professionnaliser.
En quoi consiste la mission de l’imam d’une mosquée ?
L’imam de mosquée doit accomplir un vaste éventail de missions. Parmi lesquelles :
-
Diriger les 5 prières quotidiennes, 7 jours sur 7
-
Prononcer la khoutba (le sermon du vendredi)
-
Participer à la gestion du lieu de prière (ouverture, fermeture de la mosquée, mise en place des mesures d’hygiène et de sécurité, organisation matérielle et administrative, etc…)
-
Contracter les mariages religieux, assurer les ‘aqiqas (baptêmes), diriger les prières et participer aux rites funéraires aux côtés des pompes funèbres et des familles endeuillées
-
Dispenser des dourous (cours) pour les fidèles dans la semaine, le week-end, et à l’occasion de certaines occasions, fêtes, commémorations, etc… et ceci en français et en arabe
-
Répondre aux questions d’ordre religieux (culte, contrats et transactions, droit des familles, etc.) et aux sollicitations diverses des fidèles
-
Participer, le cas échéant, au dialogue inter-religieux et inter-culturel
Il doit être capable de résoudre des problèmes familiaux, de couple, de relation parents-enfants, de relations entre les enfants eux-mêmes, les conflits entre adultes (héritages, voisinage, etc..). Il doit être bon psychologue… et disponible 24h sur 24.
L’imam doit posséder une bonne connaissance de la culture française (Histoire, laïcité, etc…) , et posséder des compétences juridiques.
Il sera éventuellement appelé à assurer le rôle de référent religieux dans les écoles privées dispensant des cours sur l’islam, à mettre en place le programme religieux, assurer la coordination avec les autres professeurs, être un bon pédagogue auprès des enfants, assurer des enseignements le week-end.
Il devra posséder des bases solides en matière de jurisprudence islamique. Certaines mosquées exigent qu’il soit hafidh al quran (ayant mémorisé la totalité du Coran), avec une lecture correcte, et si possible une belle voix.
Il devra avoir le sens de l’organisation, du travail en équipe. Et naturellement être parfaitement bilingue français – arabe, sans parler d’une éventuelle connaissance des dialectes.
Finalement, l’imamat est poste « fourre-tout », nécessitant un très large faisceau de compétences.
A quelles autres difficultés les imams ont-ils à faire face ?
En plus des contraintes inhérentes aux missions rappelées ci-dessus. Les imams sont confrontés à d’autres difficultés liées à l’absence de statut parfaitement défini.
Elles concernent notamment le type de contrat, les relations hiérarchiques, le problème du niveau de vie, de la couverture sociale et des retraites.
Environ un quart des imams seulement seraient déclarés, et ce sous différents formats contractuels. Une infime partie d’entre eux ont un statut assimilé à celui des prêtres et cotisent au régime social des cultes (CAVIMAC), qui leur permet de bénéficier des mêmes avantages en matière de retraite.
La plupart des autres, bénévoles ou non déclarés, ne bénéficient d’aucune protection sociale, sauf, naturellement, s’ils cumulent un autre métier, au titre duquel ils sont rémunérés.
Quant au salaire, et bien qu’il existe quelques remarquables exceptions, celui-ci tourne, au mieux, autour du SMIC, en dépit de la charge de travail et de la polyvalence exigées.
Par ailleurs, le flou statutaire laisse très souvent les imams dans une situation de précarité. En effet, s’ils dépendent officiellement de l’association qui les emploie, celle-ci reste soumise au bon vouloir des fidèles qui assurent son financement et dont certains se considèrent comme les véritables patrons de l’imam. Celui-ci se voit fréquemment contraint d’obéir aux injonctions, souvent contradictoires, des uns et des autres. L’imam se trouve continuellement scruté, évalué, jugé. Limité dans sa liberté d’exercice, il est souvent placé sur un siège éjectable dans la mesure où il ne pourra satisfaire l’ensemble de ses donneurs d’ordre.
Quelle formation pour devenir imam ?
Bien qu’il existe un consensus général selon lequel un imam devrait maîtriser la langue arabe, le Coran et les sciences islamiques, il n’y a pas d’unanimité sur un cursus de formation.
Si cela est vérifié dans les pays « musulmans », on imagine quel casse-tête cela constitue dans nos sociétés occidentales !
En France, toutefois, des formations sont disponibles aujourd’hui, fruit d’initiatives de la part de la communauté musulmane comme de l’État, sachant que le principe de laïcité limite le champ d’action de celui-ci. Quant à la raison qui pousse l’État à s’intéresser à la formation des imams, reconnaissons qu’elle est largement plus sécuritaire que pédagogique.
Ainsi seules quelques formations sont connues (mais pas toujours reconnues !), telles que la formation des imams de l’Institut Al Ghazali de la Grande Mosquée de Paris GMP, fondé dans les années 20, des IESH, rattachés aux « Musulmans de France » – ex UOIF, fondé en 1992. Le premier est largement critiqué pour son manque de résultats, tandis que les seconds sont montrés du doigt au prétexte d’une proximité avec les Frères Musulmans.
Depuis, d’autres instituts proposent des formations en sciences islamiques, moins orientées vers la formation des imams, tout en y contribuant, comme la Faculté des Sciences Islamiques de Paris, ou certains modules dispensés par l’Institut Catholique de Paris, ou d’autres filières d’islamologie dans différentes universités françaises.
Beaucoup d’imams ont également été formés dans les pays « musulmans », comme le Maroc, l’Algérie, l’Egypte, la Turquie, pays que certains soupçonnent de visées politiques sous couvert de formation et de détachement d’imams.
Un métier en mal de certification et de reconnaissance
Cette suspicion des sociétés occidentales à l’égard des imams formés à l’étranger s’explique par le fait que l’on est en droit de se demander quelle vision, quelle grille de lecture des textes leur ont été enseignées. On craint naturellement qu’ils ne professent chez nous une lecture rigoriste et étroite, qui pourrait les conduire à des propos discriminatoires et violents. C’est la raison pour laquelle il est essentiel de savoir où, et auprès de qui, l’imam a reçu sa formation.
Les parcours peuvent d’ailleurs être variés. Il existe des imams qui viennent de l’étranger déjà formés, d’autres, qui partent de France pour se former à l’étranger, d’autres enfin qui, après avoir reçu un enseignement à l’étranger, cherchent, une fois installés en France, à acquérir ici un complément de formation.
La présence de ces imams a encouragé le gouvernement français à mettre en place dans ses universités les DU SLR (Diplôme Universitaire Société Laïcité Religions) afin d’apporter un volet culturel à la formation religieuse.
Il existe également des formations à distance, par internet. Certaines sont de bonne qualité, d’autres totalement fantaisistes et parfois, hélas, dangereuses.
Dans tous les cas, pour un francophone, la durée moyenne pour acquérir les compétences nécessaires est de 6 ans, la moitié environ étant consacrée à la maîtrise de la langue arabe, l’autre à l’apprentissage des sciences religieuses.
Toujours est-il que, malgré les débats qui agitent la scène politique et médiatique depuis des décennies, il n’existe toujours pas de certification ni de reconnaissance officielle de la formation des imams. La désignation d’un imam reste aujourd’hui à la seule discrétion et appréciation de la communauté qu’il est supposé diriger.
____________________________________________________________________