LOI « SÉPARATISME » : L’ÉTAT PERD SA RAISON

Par Jean-Michel Brun

La loi contre le « séparatisme » vient d’être votée, après avoir été cosmétisée « Loi confortant les principes de la République ».

Etrange paradoxe que cette nouvelle appellation, puisque cette loi bafoue les principes de la République, c’est à dire ceux de liberté, d’égalité et de fraternité, auxquels elle prétend se référer. Elle infecte même le sacro-saint principe de laïcité puisqu’elle permet à l’Etat de s’ingérer dans le culte musulman, et d’intervenir dans son fonctionnement, jusqu’au sein même du discours religieux.

Avec cette nouvelle législation, et après les projets de loi sécuritaire, on assiste à un nouveau recul de la France en matière des droits de l’homme. En s’attaquant, comme le rappelait Jean-Luc Mélanchon lors des débats à l’Assemblée, directement aux musulmans, elle légalise en quelque sorte l’islamophobie en France. Directement, mais peut-être pas exclusivement, car, nous y reviendrons, cette loi est aussi un cheval de Troie lancé contre les autres religions.


Pour les musulmans français issus de l’immigration, les dispositions de cette loi apparaissent comme un remake du sinistre « Code de l’indigénat » auquel étaient soumises les populations colonisées par la France.

Un administrateur colonial français en « tournée » dans un avant-poste au Congo, en 1905. (Domaine public/Wikimedia Commons)

Réservé aux populations autochtones – aux « indigènes » – ce « Code », qui ne fut aboli qu’en 1946, conférait « aux administrateurs des communes mixtes en territoire civil la répression, par voie disciplinaire, des infractions spéciales à l’indigénat ». Il interdisait notamment de « tenir des propos offensants envers un agent de l’autorité », dictait des « règles vestimentaires à respecter », et punissait le fait de « répandre de mauvais bruits contre l’autorité française ».

Entre autres similitudes, la loi votée aujourd’hui confère aux préfets la possibilité de fermer administrativement des lieux de cultes, d’interdire des prêches. La charte des imams, à laquelle elle fait référence, défend aux imams de critiquer le gouvernement et d’évoquer « L’islamophobie d’État ».

Les conséquences de cette approche qu’il faut bien qualifier de néo-colonialiste, ont pu être constatées avant même la promulgation de la loi, puisque la veille du vote, 2 imams ont été destitués et limogés au prétexte que leur prêche religieux ne convenait pas au ministre de l’intérieur.

L’affaire de Saint-Chamond (Loire) : Darmanin juge sexiste un verset du Coran, et demande la révocation de l’imam


Mardi 20 juillet à Saint-Chamond (Loire), des centaines de croyants sont rassemblés sur un terrain en plein air, à côté de leur mosquée en construction, pour a fête de l’Aïd. Il écoutent le prêche de l’imam Mmadi Ahamada qui cite un extrait de la sourate 33 du Coran : « Femmes, musulmanes, tâchez d’obéir aux droits d’Allah et à ceux de vos époux, restez dans vos foyers et ne vous exhibez pas de la manière des femmes d’avant l’islam. » Le sermon est diffusé en direct sur Facebook.

Aussitôt, une conseillère municipale Rassemblement National de la ville, Isabelle Surply, publie l’extrait en question sur Twitter pour le dénoncer… sauf que, n’ayant pas bien écouté, elle croit entendre « doigt » au lieu de « droits »…

Le lendemain, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin demande par courrier à la préfète de la Loire, Catherine Séguin, de convoquer l’association qui gère la mosquée pour la sommer « de se séparer » de l’imam, et d’instruire « le non-renouvellement de son titre de séjour ». Ce qui est fait.

Gérald Darmanin se réjouit, sur les réseaux sociaux d’avoir « mis fin aux fonctions » de l’imam. Isabelle Surply se félicite : « Victoire ! Suite à mon alerte, la préfecture a été saisie par Darmanin pour demander la destitution de l’imam… »


Caricature de Darmanin en imam, circulant sur les réseaux sociaux

Le Conseil Départemental du Culte Musulman de la Loire, instance locale du CFCM, réagit immédiatement à ce qui lui apparaît à l’évidence comme une « tentative d’ingérence alarmante dans le discours religieux qui par ailleurs est contraire au principe de la laïcité, et à la Loi de 1905 relative à la séparation de l’Eglises et de l’Etat. »
Il rappelle, dans son communiqué du 29 juillet, que le prêche ne faisait qu’évoquer la pudeur, à laquelle le musulman, comme la musulmane a vocation à se conformer. Ce prêche est « purement religieux et n’a rien de discriminatoire, il relève de la foi musulmane en exprimant le contenu du texte sacré». Il ajoute : « Le CDCM-Loire regrette, à ce titre, l’instrumentalisation de ce prêche à des fins purement électoralistes et politiques, notamment après la diffusion sur les réseaux sociaux par une élue du Rassemblement National qui a non seulement déformée les finalités des propos de l’Imam mais a surtout déchaîné des insultes racistes et des menaces à l’encontre de la personne de l’Imam ainsi que la mosquée. Le CDCM-Loire s’inquiète de la tournure que prend cette affaire « du prêche » et dénonce une tentative d’ingérence alarmante dans le discours religieux qui par ailleurs est contraire au principe de la laïcité, et à la Loi de 1905 relative à la séparation de l’Eglises et de l’Etat. Le CDCM-Loire qui a toujours oeuvrer pour une présence positive et apaisée de l’Islam en France (deuxième religion de France), regrette l’absence totale de concertation et de dialogue avec les services de l’Etat, et appelle à faire valoir la raison, ainsi qu’à faire preuve de sagesse et d’humanité. »

L’affaire de Gennevilliers. : « Les musulmans ont pris la place de boucs émissaires qu’occupaient les juifs dans la société française depuis des siècles »


Ce même discours sur la pudeur provoquera encore l’ire du ministre de l’intérieur lorsqu’il apprendra que le 4 juin 2021, à la mosquée de Gennevilliers, connue pour ses positions humanistes, fortement engagée dans le dialogue inter-religieux, le Cheikh Mohamed el Mehdi Bouzid a prononcé un discours rappelant l’importance de la pudeur dans la religion, et exhortant les jeunes filles et les jeunes gens à ne pas s’exhiber sur les réseaux sociaux.

Le 8 juillet, le Ministre de l’Intérieur, décidant que ces propos n’étaient pas conformes aux valeurs républicaines (comme l’impudeur l’était), tweete encore (décidément, les politiciens de droite, qu’ils soient américains ou français sont des aficionados du tweet), et convoque le président de la mosquée pour lui demander de limoger le prêcheur. Demande peu cohérente, puisque l’imam est bénévole, et n’est pas employé par la mosquée.
Le président de l’association qui gère la mosquée rapporte que le marché que le préfet lui mit entre le mains était clair : soit l’imam Mehdi était interdit de prêche, soit la mosquée était fermée.

Or le prêche n’était qu’un rappel des textes, donc un discours purement religieux, dans lequel, en principe, l’Etat n’a pas le droit de s’ingérer. Quant à l’accusation relayée par la presse d’extrême droite, comme Valeurs Actuelles, selon laquelle l’imam aurait affirmé que les femmes étaient « habitées par le démon », les enregistrements le prouvent, relève de la pure fiction.


L’imam Mehdi a donc décidé de saisir la justice pour abus de pouvoir.

Comme le rappelle Mohamed Benali, le président de la mosquée : « la laïcité est une chance pour les musulmans car elle leur permet de conserver leur identité. Mais après le vote de la loi « séparatisme », qui vise à soumettre l’ensemble de l’islam de France, si même la mosquée de Gennevilliers est menacée de fermeture, alors chaque mosquées de France peut être inquiète sur son sort ». La mosquée de Gennevilliers a reçu de nombreux soutiens, dont celui des ecclésiastiques.
« Un prêtre m’a dit », ajoute Mohamed Benali, « si on devait fermer des église pour des propos tels que celui-là, 70% des églises devraient fermer, car nous aussi nous prêchons la pudeur ».
Même réaction de la part de la communauté juive.

Gabriel Hagaï

Le rabbin orthodoxe Gabriel Hagaï s’inquiète publiquement de cette ingérence : « J’aurais pu tenir ce genre de propos dans mes sermons, car la pudeur fait partie des enseignements de la Torah. Mais je sais que si je le faisais, je ne connaîtrais pas le même sort que l’imam Bouzid. Les musulmans ont pris la place de boucs émissaires qu’occupaient les juifs dans la société française depuis des siècles ».

Quant à Gerald Darmanin, il continue d’exulter, en foulant sans vergogne les principes de la laïcité : « À ma demande, il a été mis fin aux fonctions de deux imams des Hauts-de-Seine et de la Loire aux prêches inacceptables…  » (Tweet du 23 juillet 2021)

Une loi anti-musulmane


Cette loi a pour conséquence, sinon pour objectif, d’atteindre le musulman français dans tous les aspects de sa vie quotidienne : au travail, en lui imposant sa tenue vestimentaire, au niveau associatif, par un strict contrôle des associations, à l’école et dans l’éducation, en fermant arbitrairement, ou en interdisant leur ouverture, les établissements qui ne plaisent pas au Ministre de l’Intérieur.

(Voir notre article sur l’école MHS)

Et même dans le sport où des stades et terrains ont été fermés, simplement parce qu’ils étaient fréquentés par des musulmans(voir débat au sénat, intervention de Daniel Auverlot)
Cette loi laisse la porte ouverte aux perquisitions, arbitraires, aux menaces d’expulsion, aux dissolutions d’associations, aux fermetures de mosquées et d’écoles.
Ce ne sont pas les musulmans qui sont séparatistes, c’est le gouvernement de la France qui crée le séparatisme et qui légalise l’infériorisation des musulmans au sein de la société française.
Bien sûr, les français ne sont pas tous racistes et islamophobes, loin de là, mais les habitants des régions les plus reculées de la France profonde, qui n’ont jamais eu l’occasion de côtoyer des musulmans, n’ont pas la possibilité de les connaître, d’échanger avec eux, sont des sujets plus vulnérables aux propagandes médiatiques qui caricaturent l’islam et les musulmans.
Emmanuel Macron flirte avec l’extrême droite dont il espère grappiller les quelques voix qui pourraient, croit-il, lui faire gagner les prochaines élections. En oubliant peut-être que cette tactique a fait perdre tous ceux qui s’y étaient essayés.
Cette tactique électorale échouera probablement, mais le mal sera fait, et difficile à guérir. Elle aura divisé les Français.

Une loi anti-religieuse


En fait, on ne comprend pas très bien cette furie anti-musulmane qui anime le gouvernement français. Le parti au pouvoir sait très bien que les musulmans, comme l’indiquent de récents sondages, sont en moyenne plus respectueux des lois que la moyenne des français. Alors, les visées électoralistes expliquent-elles tout ? Peut-être pas.

Il existe aujourd’hui une tentative de discréditer le spirituel, car ses valeurs, comme le rappelait René Guénon en 1920 dans « La crise du monde moderne », est un obstacle pour ceux qui cherchent à asservir l’individu pour en faire un consommateur nourricier des grands empires financiers. C’était, on se le rappelle, l’allégorie du film Matrix.

Cette « nouvelle croisade » ne serait-elle pas destinée aussi à atteindre l’esprit religieux en lui-même et, par un jeu de billard à 3 bandes, à atteindre les autres cultes ? C’est précisément ce que craignent les responsables des grandes religions françaises.
Ils avaient affirmé leur solidarité en septembre 2019 lors de la conférence de Paris, organisée à l’initiative de la Ligue Islamique Mondiale, ils le ré-affirment aujourd’hui avec force et inquiétude.

Le 10 mars 2021, les représentants des églises catholiques, protestantes et orthodoxes interpellaient le gouvernement dans une tribune très offensive publiée dans le Figaro. La loi « séparatisme » porte atteinte aux libertés fondamentales : « Une police de la pensée s’installe de plus en plus dans l’espace commun» s’alarment-ils. « Quoi qu’il en soit des intentions, ce projet de loi risque de porter atteinte aux libertés fondamentales que sont la liberté de culte, d’association, d’enseignement et même à la liberté d’opinion ».

De fait, l’anti-claricalisme est une vieille tradition nationale depuis la Révolution Française qui a marqué la victoire de la bourgeoise et des négociants sur le clergé et la noblesse. Les temps sont différents, mais l’esprit est le même.
Le Pr. Jonathan Laurence, du Boston College, rappelle, dans le numéro du 23 juillet 2021 du journal La Croix, que « à partir de la Révolution française, la France a humilié l’Église catholique à de nombreuses reprises. Elle a enlevé un pape qui est mort en détention, occupé Rome et imposé à son clergé le mariage, les tests de loyauté, les exigences linguistiques et les serments constitutionnels. Le balancier s’est corrigé sous le Second Empire, avant de repartir à nouveau dans l’autre sens sous la Troisième République, au plus fort de la ferveur anticléricale : expulsions, interdiction des ordres religieux, fermeture des écoles et des séminaires. »
Des mesures qui en rappellent d’autres, plus récentes.
« Les anti-séparatistes d’aujourd’hui se considèrent sans doute comme les équivalents modernes des grands hommes d’État anticléricaux. » ironise le Pr Laurence, « En voyant la station de métro Gambetta (« Le cléricalisme : voilà l’ennemi ! »), devons-nous nous attendre à ce qu’une station Darmanin commémore un jour son exploit législatif contre le séparatisme islamique ? »

COMMENTAIRES


Salam aleykoum

Tout d’abord merci pour votre travail. 

Je voudrais signaler que ce qui est cité dans cet article comme étant un verset du Coran n’en ai pas un. Peut-être, avez vous repris la citation telle qu’elle aurait été rapportée, mais le verset a visiblement été transformé. AprÈs vérification voilà ce que ça donne:

FAUX (cité dans l’article)

« Femmes, musulmanes, tâchez d’obéir aux droits d’Allah et à ceux de vos époux, restez dans vos foyers et ne vous exhibez pas de la manière des femmes d’avant l’islam »

VRAI (traduction Muhammad Hamidullah)

وَقَرۡنَ فِي بُيُوتِكُنَّ وَلَا تَبَرَّجۡنَ تَبَرُّجَ ٱلۡجَٰهِلِيَّةِ ٱلۡأُولَىٰۖ وَأَقِمۡنَ ٱلصَّلَوٰةَ وَءَاتِينَ ٱلزَّكَوٰةَ وَأَطِعۡنَ ٱللَّهَ وَرَسُولَهُۥٓۚ إِنَّمَا يُرِيدُ ٱللَّهُ لِيُذۡهِبَ عَنكُمُ ٱلرِّجۡسَ أَهۡلَ ٱلۡبَيۡتِ وَيُطَهِّرَكُمۡ تَطۡهِيرٗا

Restez dans vos foyers; et ne vous exhibez pas à la manière des femmes avant l’Islam (Jâhiliyah). Accomplissez le Ṣalāt, acquittez l’aumône(Az-Zakât) et obéissez à Allah et à Son Messager. Allah ne veut que vous débarrasser de toute souillure, ô gens de la maison [du Prophète], et vous purifier pleinement.

-Sourate Al-Ahzab, Aya 33

Il ne s’agit donc pas d’un problème de traduction. Dans la version originale en arabe, d’une part ce verset ne cite pas l’obéissance a l’époux, et d’autre part il s’adresse aux épouses du prophète (sws). Le verset précédent est très clair a ce sujet:

يَٰنِسَآءَ ٱلنَّبِيِّ لَسۡتُنَّ كَأَحَدٖ مِّنَ ٱلنِّسَآءِ إِنِ ٱتَّقَيۡتُنَّۚ فَلَا تَخۡضَعۡنَ بِٱلۡقَوۡلِ فَيَطۡمَعَ ٱلَّذِي فِي قَلۡبِهِۦ مَرَضٞ وَقُلۡنَ قَوۡلٗا مَّعۡرُوفٗا

(Muhammad Hamidullah)
Ô femmes du Prophète, Vous n’êtes comparables à aucune autre femme. Si vous êtes pieuses, ne soyez pas trop complaisantes dans votre langage, afin que celui dont le cœur est malade [l’hypocrite] ne vous convoite pas. Et tenez un langage décent.

-Sourate Al-Ahzab, Aya 32

Il y a donc eu une fusion et une modification des versets 32 et 33 de la sourate pour leur faire dire ce qu’ils ne disent pas malheureusement.

C. N.

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