L’AZERBAÏDJAN … TERRE DE DIALOGUE ENTRE ISLAM ET CHRISTIANISME

Karim IFRAK
Docteur de l’École Pratique des Hautes Études (E.P.H.E)

Karim IFRAK est islamologue spécialiste de géopolitique dans les mondes musulmans.

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Fresque murale des catacombes paléochrétiennes des Saints Marcellin et Pierre, martyrs, victimes au début du 4e siècle de notre ère des persécutions de l’empereur Dioclétien.

Pays multiconfessionnel et multiethnique traversé par des influences perses, arabes et européennes, l’Azerbaïdjan, et ce depuis la proclamation de sa première indépendance avortée en 1918, n’a eu de cesse de vanter sa tradition plurimillénaire de tolérance et d’inclusivité. Riche d’une singulière diversité socioculturelle tissée sur la route de la Soie et à l’ombre des grands Empires, il a été naturellement élevé au grade, plutôt rare, de protecteur d’un multiculturalisme et multiconfessionnalisme qui se reflètent, jusqu’à nos jours, dans ses actes et ses paroles.

Trait d’union entre l’Orient et l’Occident, ce pays à majorité musulmane niché au cœur du Caucase se veut un acteur zélé du dialogue entre les mondes musulman et chrétien. Abritant, jalousement presque, une communauté catholique au nombre des plus minoritaires au monde, la République d’Azerbaïdjan n’a pas hésité à signer, avec le Saint-Siège le 29 avril 2011, un Accord pour le moins historique. L’article 1 de cet « Accord sur le statut juridique de l’Église catholique en Azerbaïdjan » stipule que : « La République d’Azerbaïdjan, qui reconnaît la liberté religieuse sur la base de sa Constitution, garantit la liberté de professer et de pratiquer en public la Religion catholique. L’Église catholique en République d’Azerbaïdjan a le droit d’organiser elle-même, en conformité avec la législation de l’Église catholique et de réaliser sa mission dans le cadre de sa compétence religieuse et compte tenu de la Législation de la République d’Azerbaïdjan ».

DES RENCONTRES AU SOMMET ENTRE MONDES MUSULMAN ET CHRÉTIEN

L’Accord (historique) sur le statut juridique de l’Église catholique en Azerbaïdjan n’est pas tombé pas du ciel. Il est le fruit de nombreuses visites mutuelles de feu le Président Heydar Aliyev en septembre 1997, au Vatican, et de feu le Pape Jean-Paul II, en mai 2002 à Bakou. Une visite exceptionnelle au cours de laquelle le Pape Jean-Paul II annonça devant le monde entier : « Je suis venu dans ce pays très ancien, gardant dans mon cœur l’admiration devant la richesse et la variété de ses cultures. Riche en diversité et en caractéristiques caucasiennes, ce pays a absorbé les trésors de nombreuses cultures, notamment persane et altaï-touranienne. Sur cette terre, il y avait de grandes religions : le zoroastrisme a coexisté avec le christianisme de l’église albanaise, qui a joué un rôle si important dans l’antiquité. Par la suite, l’islam a joué un rôle de plus en plus croissant et aujourd’hui, il est la religion majoritaire du peuple azerbaïdjanais. Depuis des temps immémoriaux, le judaïsme, qui jouit encore d’une grande appréciation, a apporté sa contribution unique. Même après l’affaiblissement de l’éclat initial de l’église, les chrétiens ont continué à vivre côte à côte avec les croyants d’autres religions. Cela a été rendu possible grâce à un esprit de tolérance et de compréhension mutuelle dont le pays ne peut être que fier. ».

Trois ans plus tard (février 2005), le Président Ilham Aliyev se rendit au Vatican. Une première visite suivie de deux autres : en mars 2015 et en février 2020. Rendant la politesse, le Pape François se rendit à son tour en Azerbaïdjan, en octobre 2016. Ce fut alors pour lui l’occasion de déclarer ouvertement : « Je souhaite vivement que l’Azerbaïdjan continue sur la route de la collaboration entre les diverses cultures et confessions religieuses. Que toujours plus, l’harmonie et la coexistence pacifique nourrissent la vie sociale et civile du pays dans ses multiples expressions, assurant toute la possibilité d’apporter sa propre contribution au bien commun. J’espère, que grâce à Dieu et grâce à la bonne volonté des parties, le Caucase pourra être le lieu où, par le dialogue et la négociation, les différends trouveront leur règlement et leur dépassement, de sorte que cette région soit une Porte entre l’Orient et l’Occident. ».

Le Président Ilham Aliyev, en compagnie de la Première Dame, Présidente de la Fondation Heydar Aliyev, en visite officielle au Vatican en février 2020.

LA FONDATION HEYDAR ALIYEV AU SECOURS DES MONUMENTS DE LA CHRÉTIENTÉ

De ces multiples visites, une grande collaboration allait naître, et ce à compter de mai 2012. Et en marge de toute une batterie d’accords bilatéraux signés entre la Fondation Heydar Aliyev et le Conseil Pontifical pour l’Archéologie sacrée, plusieurs projets de restaurations de sites religieux et de monuments de la chrétienté firent à l’ordre du jour. Les plus conséquents furent la restauration entre 2012 et 2015, en marge de 60 autres sites, des catacombes paléochrétiennes des Saints Marcellin et Pierre, martyrs victimes, au début du 4e siècle, des persécutions de l’empereur Dioclétien. Dotées d’un ensemble de fresques murales qui en font un véritable musée de l’art paléochrétien, elles développent également un ensemble de galeries qui en font l’une des plus vastes de Rome. Ce premier chantier achevé, il fut talonné par la restauration, entre 2016 et 2018, des catacombes de la Basilique de Saint-Sébastien. Deux grands chantiers suivis, depuis 2020, par celui de la restauration des catacombes de Saint Commodilus. Des catacombes, qui contiennent, selon le professeur Fabrizio Bisconti (inspecteur à la Commission Pontificale pour l’Archéologie sacrée), des artefacts datant des premières heures du christianisme, de même qu’ils sont réputés être le lieu de sépulture des martyrs chrétiens Felicio et Adauctus. Considérés, au cours du Moyen-âge comme un lieu de culte par les fidèles, ces hauts lieux abritent encore plusieurs fresques importantes. Celle, entre autres, de San Stefano, tout premier martyr chrétien, ainsi que celle représentant la transmission des clés du paradis de la main de Jésus à l’apôtre Pierre. Quant à sa partie souterraine, constituée de quatre étages, elle contient des bas-reliefs (représentant des scènes bibliques) considérés comme l’un des monuments importants du christianisme primitif, en marge d’un sarcophage du IVe siècle.

Plusieurs raisons qui exhortèrent le cardinal Gianfranco Ravasi, président du Conseil Pontifical pour la Culture, à qualifier ces projets, non seulement comme une simple action de préservation du patrimoine culturel humanitaire mondial, mais qu’ils contribuent à la consolidation du dialogue entre monde musulman et monde chrétien. Et dans cette perspective, le président du Conseil Pontifical pour la Culture n’hésita à préciser que : « Grâce à ces accords de coopération, l’une des catacombes de Rome sera ouverte au public, ajoutant ainsi un autre joyau au trésor culturel de Rome. En 2025, Rome accueillera les événements anniversaire de l’« Année Sainte », qui revêtent une importance particulière pour l’Église catholique romaine et qui sont célébrés tous les 25 ans. Les touristes et les pèlerins du monde entier afflueront dans la Ville Éternelle. Nous exprimons donc notre gratitude à la Fondation Heydar Aliyev et la considérons comme faisant partie de notre communauté culturelle, car la Fondation, comme nous, se concentre sur le développement du dialogue culturel et interconfessionnel ».

Inauguration du musée, situé dans la Basilique de Saint-Sébastien, par la première dame d’Azerbaïdjan Mehriban Aliyeva, présidente de la Fondation Heydar Aliyev et le cardinal Gianfranco Ravasi, président du Conseil pontifical pour la culture.

Un autre des projets importants, engagé par la Fondation Heydar Aliyev, est la restauration de l’autel du Pape Léon Ier le Grand (390-461) : « Rencontre entre le pape Léon Ier le Grand et Atilla, empereur des Huns », situé dans la célèbre Basilique Saint Pierre. Un chef-d’œuvre du remarquable sculpteur italien Alessandro Algardi, érigé entre 1640 et 1653. Et toujours, entre 2014-2016, une exceptionnelle statue de Zeus, ainsi que plusieurs armoires vieilles de plusieurs siècles, placées dans la salle Sixtine, connurent une restauration digne de leur valeur historique et culturelle. Une remise en l’état qui survint après celle, entre 2013 et 2014, de 16 manuscrits enluminés du patrimoine poétique médiéval de l’Azerbaïdjan, de 11 autres datant de la Rome antique, en plus de 65 autres numérisés, tous propriété de la Bibliothèque apostolique du Vatican.

Terre de tolérance et de dialogue, l’Azerbaïdjan a toujours mis un point d’honneur à entretenir l’esprit de proximité et de réciprocité, notamment à travers les projets de restauration du patrimoine culturel, en particulier religieux quel que soit son origine confessionnelle. Une conviction qui s’est toujours exprimée, non pas seulement au niveau national, mais également à l’international. En France par exemple, et ce depuis 2009, la Fondation Heydar Aliyev s’est engagée dans la restauration de plusieurs édifices, le cas des magnifiques vitraux (XIVe siècle) de la cathédrale de Strasbourg. Un beau projet suivi par la restauration de sept autres églises datant des X-XII siècles : celles de Saint-Hilaire, de Fresnay-aux-Sauvage, de Saint-Hilaire-la-Gérard, de Tanville, de Courgeot, de Saint-Paterne et de Réveillon dans la Sarthe.

Aussi, par ses actions investies au service du respect de l’Autre, sa culture et ses convictions, l’Azerbaïdjan, pays à majorité musulmane, montre le bel exemple, que d’autres peuvent suivre, à savoir prendre grand soin du patrimoine culturel chrétien. Il s’agit d’une évaluation très élevée des rapports humains dans leurs dimensions interculturelles et inter-convictionnelles, en particulier dans les conditions où les intolérances et les approches agressives de certains deviennent regrettablement la norme.

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Voir aussi nos articles :
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