QUEL AVENIR POUR DUBAÏ ?

L’émergence d’une puissance économique

Imaginez un pays fait de sable. Pas de ressources fossiles, pas de métaux rares, rien que du sable… et la mer. Et cela change tout. Cette géographie, jadis juste propice à la pêche et à la culture des perles, prend une toute autre valeur lorsque, au début du 20ème siècle, le golfe persique devient, à la faveur de la découverte des hydrocarbures, un carrefour d’échanges internationaux.

C’est ce que comprit Rachid ben Saeed Al Maktoum, chef d’une tribu régnant sur le petit village côtier de Dubai, et qui vit, comme il se doit alors, de pêche et de perles. Le sol n’a pas fait de cadeau à Dubai, mais sa mer est sa richesse, illimitée. Alors, Dubai deviendra le plus grand port de la région, et pourquoi pas du monde. C’est le rêve de Rachid Al Maktoum, et c’est exactement ce qui est arrivé.

Mohammed bin Rachid Al Maktoum

Son fils et successeur, Mohammed bin Rachid al Maktoum voit encore plus loin : puisque des étrangers viennent faire du commerce portuaire, pourquoi ne pas aussi attirer les touristes ? Le tourisme est devenu, depuis l’essor des voyage internationaux, et aussi de la mondialisation de l’information, l’une des industries les plus prospères de la planète. Les touristes aiment le soleil et la mer, et Dubai ne manque ni de l’un, ni de l’autre.

Alors Dubai se met à construire. Le commerce lui procure des revenus colossaux, que l’Emir investit dans des projets pharaoniques. Non pas en raison d’une sorte de folies de grandeurs et d’égo surdimensionné, mais tout simplement parce que, dans un pays lointain et inconnu, où il fait tout de même un peu chaud pour les frileux européens, il convient de faire la différence. Il faut étonner, émerveiller, séduire. Pari gagné. L’Emir a l’habitude de dire : « Faites venir un personne une fois à Dubai, il reviendra ».

Ainsi furent plantés, sur les sables et sur l’océan, le plus bel hotel du monde, la tour la plus haute du monde, la plus grande île artificielle du monde, le plus grand parc d’attractions intérieur du monde. Une valse des records qui commença à attirer une foule de curieux venus de tous les continents. Jusqu’à la crise économique mondiale de 2009, qui mit brutalement à zéro le moral des habitants de la planète… ainsi que leur portefeuille.

Sauvé in extremis de la ruine par son voisin Abu Dhabi, que la grâce divine a doté d’un sol richissime en ressources naturelles, Dubai comprit qu’une fois de plus, il ne pouvait compter que sur sa seule véritable fortune : son imagination et son audace. Alors, puisque les touristes affluent, pourquoi ne resteraient-ils pas pour participer à l’essor économique du pays ?

Dubai est une monarchie absolue, comme tous les pays de la région. Mais ses dirigeants ont compris que leur avenir résidait dans la conciliation des contraires : audace et réalisme, tradition et réactivité, pouvoir et attention au peuple.

« Plus haut, plus haut, plus fort » ou « Liberté, Égalité, Fraternité » ?

Ainsi, tout fut fait pour faciliter la venue et l’installation des investisseurs, mais aussi de cette jeunesse créative que les archaïsmes administratifs du vieux monde empêchaient de réaliser leurs rêves. Et des rêves, ils en avaient à revendre.

En arrivant, souvent sceptiques, sur la terre émirienne, les candidats au bonheur, et en particulier les Français, eurent la surprise de découvrir un pays qui aurait pu, sans que l’on puisse l’accuser de plagiat, reprendre à son compte notre chère devise Liberté, Egalité, Fraternité.

La Liberté, c’est bien sûr celle d’entreprendre. De nouvelles lois furent édictées pour faciliter l’installation des étrangers, la création d’entreprise, qui se fait désormais librement, rapidement, sans sponsor, et à peu de frais. C’est aussi celle d’aller et venir en toute sécurité. On voit ainsi des enfants faire leur courses seuls à 11 heures du soir en toute quiétude, et les consommateurs laisser leur iphone sur la table d’un restaurant pour réserver leur place avant d’aller commander au comptoir. Les Parisiens auxquels les hauts parleurs du métro enjoignent de serrer contre eux leurs effets personnels, se croient sur une autre planète. Certes, cette sécurité a son revers, dans la mesure où la ville est truffée de caméras de surveillance. Mais les règles sont tellement simples qu’il faut vraiment le vouloir pour les enfreindre, et les caméras n’entrent pas dans les lieux où l’intimité doit être préservée. Résultat : vous ne croiserez jamais à Dubaï ces policiers, ces militaires, cuirassés comme des robocops et armés jusqu’au dents, qui font aujourd’hui partie hélas du décor de nos villes françaises. Pas sûr d’ailleurs que cette présence policière oppressante procure le même sentiment de liberté que l’ambiance calme et tranquille des sorties dubaïotes.
Un expatrié français, dont la mission allait bientôt se terminer, nous expliquait qu’il avait dû faire des allers-retours à Paris pour habituer ses enfants, nés à Dubai, à vivre dans une ville où il était risqué de marcher seul dans les rues.

Parler d’Égalité peut sembler paradoxal dans un pays dont quelques puissantes familles règlent sans partage les jours et les nuits. Et pourtant, ici, on se fiche complètement de la couleur de votre peau, de votre confession, de vos préférences amoureuses. Ici, la discrimination raciale, religieuse ou sexuelle n’existe pas. Elle est même considérée comme un crime. Pas un délit : un crime. Seules comptent votre personnalité, votre culture, vos talents. Ah si ! s’amusait un jeune Français, qui, après avoir passé son enfance et son adolescence à Dubai, était parti ailleurs tenter sa chance pour revenir dans « son »  pays, il existe une discrimination dont les autorités feraient bien de s’inquiéter : les automobilistes croient que la priorité appartient à ceux qui ont la plus grosse voiture !

La Fraternité est pratiquement inscrite dans la constitution de Dubaï puisque l’Emirat est le seul pays à posséder un Ministère de la tolérance. Les incivilités sont punies avec une sévérité absolue. Les rixes, les insultes peuvent vous conduire directement à la case prison. « Même moi, je ne fais pas exception », me disait le membre d’une influente famille émiratie et titulaire d’un important poste gouvernemental, « Je ne pourrais échapper à la justice si je te manquais de respect ». Certes, la perfection n’est pas de ce monde, et il peut exister des faille dans le système, mais les principes sont là, et sont très largement respectés. La comparaison avec nos « démocraties » n’est, loin s’en faut, pas à notre avantage.

Le grand rebond

La Dubai Creek Tower

Ces mesures, cet art de vivre, ont permis à l’économie dubaïote de repartir de plus belle, malgré la tragique épisode du covid, qui a sans doute été gérée ici avec plus de finesse que dans la plupart des autres pays. L’expo universelle, repoussée d’un an en raison de l’épidémie, a finalement attiré près de 24 millions de visiteurs. Plus de 61 000 appartements et villas ont été vendus cette année, soit 75% de plus que l’an dernier. Les projets immobiliers fous sont ressortis des cartons : Lagoons, le quartier lacustre, Dubai Creek tower, la tour résidentielle la plus haute du monde, le Mall of the world, le plus grand centre commercial de la planète, entouré d’un parc gigantesque, pour ne citer que ceux-là.

Les jeunes entrepreneurs, Français notamment, viennent installer ici leurs entreprises innovantes, faire profiter l’Emirat de leurs talents, notamment dans les nouvelles technologies, mais pas seulement : la qualité « à la française » dans le service, la communication, les métiers d’arts fleurissent à Dubai. Tous les mois, les entrepreneurs, les créateurs français se retrouvent pour des networking-parties organisées par la Chambre de Commerce française. Ils y échangent leurs expériences, trouvent des partenaires pour de nouvelles expériences.

Le business, mais pas seulement

Sauf que, si on veut s’installer dans la durée, il serait illusoire de ne vouloir s’appuyer que sur la facilité de faire des affaires, et sur l’espoir trompeur d’une croissance infinie. Une nouvelle crise économique ou sanitaire pourrait désintégrer d’un claquement de doigt l’engouement pour les destinations émiraties. On l’a vu avec la crise du Covid, qui a provoqué la désertion brutale de près d’un tiers des étrangers européens travaillant dans les Emirats. Si on veut que les talents contribuent durablement à l’essor du pays, il faut qu’ils y restent, s’y développent. Et personne ne souhaite passer sa vie dans pays-bureau ou une nation- entrepôt. On ne s’installe dans quelque part que si on peut y étudier, s’y instruire, s’y perfectionner. Si on a la possibilité de s’y épanouir en allant au musée, au concert, au cinéma, au théâtre. Si on a le loisir d’y visiter des expositions, écouter des conférences, faire de la musique, pratiquer un art. Pour exister en tant que telle, une nation a besoin à la fois de s’appuyer sur des racine fortes et de se construire une identité culturelle riche. Ainsi pourra-t-elle rayonner, et se maintenir dans le temps. L’avenir de Daubai sera autant portée par son activité culturelle que par ses projet immobiliers.

Dubaï a-t-elle les les moyens pérennes de son ambition ?
La réponse est simple : oui

Dubai, la future ville-lumière ?

Si les autorités émiraties accordent le fameux « golden visa » aux scientifiques, aux artistes, aux acteurs du domaine de la culture et aux inventeurs, c’est parce qu’il est clair pour elles que ce sont ces talents qui construiront la nation de demain.

L’ambition des dirigeants est de faire de Dubai ce que fut Paris en son temps : un pôle d’attraction des génies artistiques internationaux, un centre de rayonnement culturel, un vivier de talents en herbe, en un mot la « ville-lumière » du futur.

Les Emirats ont acquis leur indépendance en 1971. C’est une jeune nation, dont on connaît la fulgurante ascension. Pourtant, n’imaginez pas vexer un émirati en lui rappelant ses origines simples dans les sables du désert. Au contraire. Rien ne le rend plus fier que ses origines bédouines, et vous verrez ses yeux briller à l’évocation des leçons de vie apprises aux côtés des anciens. Même Mohammed bin Rachid al Maktoum consacre une grande partie de son auto-biographie « Mon histoire » à son enfance et aux longues conversations avec son père et son grand-père, dans le dénuement d’un tente plantée dans les dunes.

Fête dans une galerie d’art à Bastakiya

Fuad al Bastaki est né dans le plus vieux quartier de Dubai, où se dresse le fort de Al Fahidi, élevé en 1787, et qui abrite aujourd’hui un musée. Ce village, entièrement restauré, est le témoin des premiers temps de Dubaï. On l’appelle le village Al Bastaki, du nom de la famille de Fuad. Lui et ses amis d’enfance, aujourd’hui entrepreneurs à succès, membres du gouvernement, habitent toujours ici, dans ces magnifiques maisons en terre crue ou en argile de corail surmontées des fameuses tour à vent, ancêtres séculaires de la climatisation. Les familles propriétaires ont voulu faire de ce joyau de l’architecture traditionnelle émiratie un lieu de mémoire et de culture. Au coeur des ces jolies ruelles étroites, elles ont implantée des galeries d’art, comme celle de l’artiste peintre dubaïote Fatma Lootah.

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Et si vous franchissez l’une des portes donnant sur de ravissantes cours intérieures où un arbre apporte toujours ombre et fraîcheur, vous y serez peut-être accueillis par les propriétaires, personnalités respectées dans le civil, qui se feront ici un honneur de chanter et danser pour vous sur les tonalités savantes d’un instrument traditionnel. Car c’est ainsi que se perpétue le souvenir de racines aussi profondes que sont élevées les tours du centre-ville.

Chaque année s’y déroule le Sikka Art and Design Festival où des artistes de talent viennent y présenter leurs dernières créations. Car l’art et la culture sont omniprésents à Dubai. Souvent dans les endroits les plus inattendus. En me trompant de sortie, j’ai découvert par hasard une incroyable exposition de l’artiste de rue Banksy au Mall of Emirates. Les centres commerciaux, mais aussi les cafés et les restaurants accueillent en permanence les oeuvres de jeunes peintres émiratis. Le nouvel Opera reçoit les artistes les plus prestigieux de le planète, les écoles d’arts, de musique s’épanouissent aux quatre coins de la ville. Des artistes de renommée mondiale se sont installés à Dubaï, comme le musicien et compositeur grec Kostas Karigiozidis qui y a ouvert un studio de production. Ferrouze Gadery, musicienne et impresario française, et dénicheuse de talents, découvre, pour le ministère de la culture des Emirats les artistes qui feront bientôt des pays du Golfe une des plaques tournantes de la culture internationale.

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Le musée du futur

Les autorités ont d’ailleurs engagé un important programme de développement en ce sens. Après l’implantation du Louvre à Abu Dhabi, Roselyne Bachelot a signé, l’an dernier un nouveau contrat de partenariat entre la France et les Emirats. A Dubaï vient de s’ouvrir le « Musée du futur », déjà considéré comme l’un des plus beaux musées du monde, et la culture devrait être très présente dans le projet de cité de l’avenir, District 2020, qui est en train d’être bâtie autour des pavillons de l’exposition universelle qui vient de fermer ses portes.

Alors oui, on peut croire à l’avenir de Dubaï, carrefour des savoirs arabes et perses, qui viennent aujourd’hui se marier harmonieusement avec les pensées occidentales. Juste retour des choses, au pays des chasseurs de nacre, la culture est une perle.

Jean-Michel Brun

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