L’ENSEIGNEMENT DE LA THÉOLOGIE MUSULMANE EN FRANCE

Faculté des Sciences islamiques de Paris

Disons-le, l’enseignement de la théologie musulmane en France est un véritable désert.

Le constat.

La jeunesse française est en déficit de valeurs : les professeurs ne sont plus respectés. Un nombre croissant de jeunes quittent prématurément l’école, et beaucoup de parents ont démissionné de leur rôle d’éducateurs.

Les jeunes, qui se trouvent ainsi sans guide, sont en quête de ce qui serait en mesure de leur donner les règles dont ils ont besoin, de ce qui va donner un sens à leur vie.
Certains se tournent – ou reviennent – vers la religion, qui fixe ce qui est permis et ce qui ne l’est pas, leur donne une vision, une perspective, au delà même de la mort, des valeurs que ne leur offre plus la société.

En France, ils n’ont guère le choix. Si on écarte le judaïsme, qui ne fait pas de prosélytisme, l’église catholique qui est en perte de vitesse – de 36 000 prêtres il y a 20 ans, ils ne sont plus que 7000 aujourd’hui. Avec un curé pour 7 paroisses – c’est l’Islam qui reste le plus attractif.
Les 7 millions de musulmans français font vivre une religion qui, malgré le manque de moyens, ne cesse d’attirer les jeunes.

Mais voilà. Lorsqu’un jeune homme ou une jeune fille souhaite s’enquérir de ce que l’Islam recommande dans sa vie de tous les jours, comment il répond aux questionnements du moment. Il n’existe aucun interlocuteur auquel s’adresser.

Déjà, l’apprentissage de la langue arabe, nécessaire à l’étude théologique est rare, et mal organisée. Dans le primaire et le secondaire, très peu d’établissements proposent l’enseignement de l’arabe. Dans l’enseignement supérieur, la crise est dramatique. Les cursus universitaires en histoire du monde arabe, par exemple, ne comportent que rarement des unités de langue arabe, et encore moins de sciences islamiques.
Un livre blanc paru en 2014 montre que, dans les établissements publics, on manque de professeurs habilités à diriger des recherches en islamologie ou en civilisation du monde arabe. Ceux qui existent partent massivement à la retraite et ne sont pas remplacés. Parmi ceux qui restent, la majorité ne possède pas la maîtrise de la langue arabe leur permettant d’appuyer leur enseignement sur l’étude des textes originaux.

Les propositions de créations de nouvelles unités d’enseignement de l’Islam sont systématiquement refusées par l’Etat, car considérées comme faisant partie du domaine religieux et non du domaine universitaire.

Faculté des Sciences Islamiques de Paris
Faculté des Sciences Islamiques de Paris

Certes, il existe des instituts privés, mais la qualité de l’enseignement prodigué n’est soumis à aucun contrôle. Quelques rares établissement, comme la Faculté des Sciences Islamiques de Paris, dirigée par Cheikh Noureddine Belhout, proposent néanmoins un enseignement d’excellent niveau, et forme des étudiants en langue arabe, en sciences islamiques, en français et en arabe, en Tajwid, et sont habilitées à délivrer des Ijazas de récitation coranique. Cet institut n’attire d’ailleurs pas que des musulmans, mais aussi un grand nombre d’élèves simplement interessés par la spiritualité musulmane., ou désireuses d’apprendre la langue ou la calligraphie arabe.  Toutefois,  ne bénéficiant d’aucune subvention de l’Etat, leur survie est perpétuellement menacée.

Pourquoi un tel désert dans l’enseignement de l’Islam en France ?

Cela tient à 3 raisons principales.

La première, c’est la conception française de l’idée de laïcité. Apparue au moment de la Révolution, il s’agissait d’abord d’enlever à l’église son rôle politique. La laïcité a ensuite été définie par la loi de 1905 qui a fixé la séparation de l’église et de l’état, et garantit à chacun la liberté de choisir et pratiquer sa religion, ou de ne pas en avoir.

Voir aussi notre article « La laïcité, qu’est-ce que c’est ? »

Suite aux attentats de 2001, la présence visible des musulmans a été vécue par certains politiciens comme une menace. Appuyés par quelques medias et influenceurs d’opinion, une nouvelle approche de la laïcité est apparue. Il ne s’agissait plus de Parler de liberté, mais d’éloigner le religieux de l’espace public et le cantonner à la sphère privée. Ainsi la polémique, qui parait absurde partout ailleurs dans le monde, sur le port du hijab prend-elle aujourd’hui, une place considérable dans l’espace médiatique et politique. Cette conception incite l’Etat à se méfier de l’enseignement de la théologie et refuser que s’installent des chaires de sciences islamiques à l’Université.

La seconde raison est liée à la première. C’est le racisme anti-musulman qui grandit dans une partie de la société française, et qui est poussée par certains partis politiques. Un racisme largement dû au fait que les musulmans français sont issus des anciennes colonies du Maghreb, et qu’une partie de la société française n’a toujours pas accepté la décolonisation. Elle est aussi la conséquence d’un repli sur elle-même d’une société française en crise.
Cet aspect est particulièrement dangereux car les partis populistes européens prennent de l’importance et regardent vers la France pour calquer leurs arguments sur ceux des politiciens anti-musulmans français.

La troisième raison est l’éclatement, l’inexistence même, pourrait-on dire, de la communauté musulmane française, la fameuse « Oumma ». Les frontières créées par la France dans le Maghreb au moment de la colonisation se retrouvent dans la communauté musulmane française, qui est divisée en groupes rattachés chacun aux pays d’origine. Les tentatives d’organisation de l’Islam en France ont toutes échoué pour cette raison. Une autre raison étant que les organismes voulus par le gouvernement français n’ont jamais eu de moyens d’existence.
On ne peut donc pas compter sur la communauté musulmane en tant que telle pour promouvoir un enseignement théologique cohérent.

Quelles sont les conséquences de cette situation ?

Pour le comprendre, il suffit de se mettre dans le peau d’un jeune attiré par l’Islam. Il ne trouve pas d’enseignement théologique à la mesure de ses attentes.
Il a donc deux solutions devant lui : la première, c’est simplement de s’éloigner de l’Islam et de choisir d’autres pratiques, comme le christianisme évangélique à l’américaine, ou bien le bouddhisme qui suscite aujourd’hui un engouement croissant.
A cause de cela, des centaines de jeunes Musulmans se détournent chaque jour de l’Islam et vont chercher ailleurs, et pas toujours aux meilleures sources, les réponses à leurs questionnement.

L’autre solution qui s’offre à nos jeunes, c’est de chercher l’enseignement de l’Islam là où ils peuvent le trouver facilement, c’est à dire sur internet.
Et là, le danger est immense. Internet peut être la meilleure des choses si on s’en sert avec conscience, la pire si on y cherche ses réponses sans discernement, car on y trouve tout et n’importe quoi. Or, l’incohérence et le caractère non-scientifique des thèses promulguées par certains « oulemas » auto-proclamés du net, donnent du grain à moudre aux islamophobes européens qui cherchent des arguments pour faire sortir les musulmans de l’Europe.
Les extrémistes, qui instrumentalisent la religion à des fins politiques se servent largement d’internet.
On rappelle que la quasi totalité des jeunes français partis au djihad ont été recrutés sur le web et n’ont jamais ouvert un Coran.
A cause de cela, la vie des musulmans, et des musulmanes en particulier est en train de devenir un enfer en France. Le port du hijab est assimilé à un acte de guerre contre la société française. Des femmes se voient interdire d’accompagner leurs enfants à l’école et sont insultées devant eux. Des attentats sont commis contre les mosquées, et les réactions des internautes sur twitter ou facebook donnent la chair de poule. On interdit les minarets en Suisse. De soit-disant intellectuels peuvent, librement, à la télévision, appeler à l’élimination physique des musulmans. Les partis populistes d’Europe n’attendent que cela pour passer à l’action et déclarer l’Islam hors la loi dans leur pays.

Alors, que faire ?

Des solutions existent, et nous avons d’excellents atouts.
Il existe des musulmans et des musulmanes de bonne volonté, appuyés par des représentants des autres religions qui se mobilisent pour promouvoir un enseignement religieux de qualité.

La Conférence de Paris pour la Paix et la Solidarité, qui se tenait à Paris en septembre 2019, en présence des responsables de l’ensemble des religions abrahamiques allait dans ce sens. Elle fut pourtant boudée par les pouvoirs publics.

Attendre une initiative des pouvoirs publics serait sans doute faire preuve d’un optimisme naïf. Empêtrés dans leurs contradictions, entre la volonté d’éviter les dérives intégristes et la pression de la pensée laïciste, ils n’ont jamais su prendre d’initiatives efficaces. Preuve en est le serpent de mer de la formation des imams français, dont ils ne savent toujours pas à qui en confier la responsabilité. C’est, en principe, l’une des missions de la Fondation de l’Islam de France, dirigée par Ghaleb Bencheikh, islamologue compétent et républicain convaincu, encore faut-il que l’Etat lui en donne les moyens, ce qui est loin d’être le cas.

Toujours est-il que, si la communauté musulmane française souhaite acquérir et partager les magnifiques valeurs de paix, de solidarité, de bienveillance, que lui trace sa religion, et être en mesure de les partager avec leurs concitoyens non musulmans, il est temps qu’elle se mobilise pour demander que se construise, en France, un enseignement de théologie musulmane digne de ce nom.

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