« JE NE SUIS PAS MUSULMANE ! » Le poignant témoignage du racisme ordinaire.

Photo ifrah-akhter, Unsplash

Depuis que des travailleurs maghrébins furent appelés massivement au secours de nos entreprises dans les années 60, et que la décolonisation eut provoqué les rancoeurs de quelques nostalgiques, la question de l’intégration de ceux qui puisent leurs racines dans le monde arabe revient de façon récurrente. Sauf que depuis, la plupart de ceux-ci sont devenus des français à part entière.

« Il ne correspond pas du tout au prototype :  il mange du cochon et qui boit de la bière »… Tout le monde se souvient de la sortie de Brice Hortefeux, à l’époque ministre de l’intérieur de Nicolas Sarkozy qui présentait aux caméras de télévision un militant d’origine maghrébine, avant d’ajouter : « Il en faut toujours un. Quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes. »  

Telle est la question : doit-on, pour être un « bon français », renier son identité, sa culture, sa religion, en agissant « comme les autres », entre bock et saucisson ? Devenir finalement un « bon arabe », comme on pouvait être, un siècle plutôt un « bon nègre » ?

Les discours sur la « France terre d’accueil », la liberté de conscience, masquent une autre réalité, celle de l’acceptation de l’autre, à condition qu’il se fasse invisible, celle de la souffrance de ceux qui aiment la France et se sentent mal aimés d’elle.

Témoignage :

« Attention, je suis athée ! « 

Drôle de façon de se présenter !
Tel est pourtant mon rituel depuis mon arrivée en France, il y a15 ans.
La France, ce pays de la liberté, de la démocratie, ce pays où toutes les religions sont respectées, acceptées, ce pays au passé douloureux, qui depuis plus de 70 ans, essaie de tourner une page sombre et se reconstruire.
Ce pays qui a ouvert ses bras à toute personne désireuse de vivre sur son sol quelle que soit son origine, ou sa religion…
Ce pays qui se veut le défenseur de la laïcité, c’est à dire la liberté de croire ou ne pas croire.
Une réalité ? Sans doute, mais surtout sur le papier !
Car la vérité est ailleurs…

Croyez moi ! J’aime passionnément la France,
Croyez-moi, je suis une amoureuse du drapeau bleu, blanc, rouge. L’un flotte au dessus de mon balcon, l’autre trône dans mon bureau.

Et pourtant, je me souviens : 3 mois après mon arrivée dans ce pays que je chéris tant, mon époux avait invité des amis… « de souche » comme ils disent.
J’avais préparé des gâteaux, un thé à la menthe, j’avais décoré ma table de jardin c’était le début du printemps. Je portais un pantalon beige et un haut blanc léger pour la saison. Souriante … hâte de faire connaissance même si je ne maîtrisais pas bien la langue  française.
Chez nous pas question de ne pas préparer le meilleur pour ses invités !
Et ils sont venus ..
A peine descendus de voiture, leurs premiers mots s’adressent à mon mari, né comme moi en Algérie :
« Alors ? Elle est où ta fatma ? Hahaha »
J’étais là ! Devant eux, et ils me cherchaient !
« Hannane ? Mais c’est elle ! » dit-il en me désignant
– « Ah pardon madame, je m’attendais à une femme voiléeJe peux vous faire la bise ? »
Moi : « bien sûr ! Bienvenue monsieur « 
Notre invité se tourne vers son frère, son beau frère, sa femme, sa belle sœur, et sa sœur;
– « Oh, elle accepte de faire la bise ! »
Ils voulaient sans doute être drôles, j’étais mortifiée.

Puis, tout le monde s’est installé autour de la table
Une des femmes s’exclame : « Oh ils sont magnifiques ces gâteaux, euh… c’est halal ça ? Moi je ne mange pas de halal »
J’ai réprimé un fou rire.  Je n’avais jamais entendu parler de thé et gâteaux halal !
Pourtant, une question ma taraudait :  A peine ils avaient mis le pied chez moi, qu’ils faisaient déjà allusion au hala, à la religion… pourquoi ?
On boit du thé .. on mange .. on discute, lorsqu’un de ces messieurs sort son paquet de cigarettes, en  allume une, et me regarde.
– « Tu fumes ? « 
– «  non ».
– « Ah j’oubliais,  tu es musulmane, chez vous la femme ne fume pas  ! »
Puis il enchaîne : « tu fais la prière ? « 
Moi : « euh .. non pas forcément « 
Lui : « Oui mais tu ne fumes pas, donc tu es musulmane. Tu penses quoi des frères musulmans ? Tu soutiens le Fis ? « 
J’étais consternée. Me demander ça à moi, qui ai survécu à deux prises d’otage et un attentat ! Oser me demander si j’étais du côté des terroristes, alors que plusieurs membres de ma famille ont été les victimes de ces criminels qui ont instrumentalisé notre religion pour justifier leurs forfaits.
A moi, dont le père était un officier qui a lutté au péril de sa vie contre les terroristes du GIA et du FIS !
Je me sentais salie.  Morte de honte. Et mon mari qui ne disait rien.
Il s’est levé il a ramené une bouteille d’alcool avec 51 écrit dessus.
Ils ont trinqué.
Les femmes présentes n’en boivent pas, mais celui-là même qui m’avait proposé une cigarette, me tend un verre.
Je réponds que je n’aime pas l’odeur du Pastis (c’est vrai, je déteste l’anis)
Sa réaction ? : « Ah pardon j’ai oublié que tu es musulmane « 

Les jours suivants, leurs paroles tournent et retournent dans ma tête. Pour la première fois de ma vie – je n’ai que 21 ans – j’ai honte d’être ce que je suis. Ils m’ont fait sentir que je devais avoir honte d’être ce que je suis.
Une semaine plus tard, c’est nous qui nous rendons chez nos amis.
Je veux être acceptée, je ne veux pas me sentir rejetée parce que je suis, ou parce que j’ai l’air,  différente. Alors, avant le départ, je me suis précipité pour acheter un paquet de cigarettes, je l’ai mis dans mon sac . J’avais les mains tremblantes, c’était ma première fois que j’achetais des cigarettes.
Et puis j’ai dit a mon mari :  « Il faut leur prendre une bouteille d’alcool et un bouquet de fleurs, pour ne pas arriver les mains vides « 
Nous  arrivons. Nous sommes reçus très gentiment, et pourtant, les paroles qui blessent, involontairement bien sûr, et les regards bizarres sont toujours là. J’ai l’impression d’être une extraterrestre .

Un de nos amis allume une cigarette. Aussitôt je sors mon paquet. Vite, faire comme lui et m’en griller une.
« Oh « Khanane » (Comme si ajouter une « jota » à mon prénom faisait plus arabe), tu fumes ? Ah voilà ! Tu commences à t’intégrer. Bravo ! « 
Moi, j’avais la gorge qui me brûlait, la tête qui tournait, j’avais envie de vomir.
« Tu veux boire un verre ? »
– Moi : « Oui merci. »
J’effleurai à peine le verre de mes lèvres. C’était la première fois qu’elles touchaient de l’alcool.
J’avais bien compris. Pour eux, fumer ça voulait dire avoir la volonté de s’intégrer. Prouver que je n’étais pas une dangereuse islamiste.
Boire de l’alcool, c’était être une fille comme il faut, qui respecte le pays qui l’accueille, quelqu’un qui mérite qu’on l’accepte.
Leurs sourires, leurs gestes signifiaient clairement : « C’est bien, bravo. Maintenant, tu es des nôtres »

Et depuis ce jour là, dés que je me suis trouvé en présence d’un français « de souche »… (je n’ai jamais compris ce que veut dire « de souche » mais bon ..) j’ai sorti mon paquet de cigarette. Je montrais patte blanche en quelque sorte.
Au fil des années, j’ai même appris à critiquer ma propre religion, à insulter les musulmans. Parce que renier sa religion, sa croyance, sa culture est perçu comme un signe de bonne intégration.
Maintenant,  je suis devenu une fumeuse (quand je pense que la plupart des français essaient d’arrêter !), et je commande du vin et du porc au restaurant, pour qu’on ne me soupçonne pas de soutenir les islamistes et  les terroristes, pour prouver que je ne suis pas nuisible.
Maintenant, dès qu’on me pose une question sur mes origines, je préviens : « Attention je suis athée ! » histoire de ne pas attirer le foudres, les jugements, les suspicions.

Un mois après mon arrivée en France , j’avais pris rendez-vous chez une gynécologue. Dans la salle d’attente, une dame m’interpelle.  Elle avait entendu mon accent.
– « Vous êtes d’où ? »
– « d’Algerie, madame » « Vous n’avez pas honte dégorger des femmes et enfants chez vous ? »
J’étais tétanisée. Je revoyais mes cousins, mes voisins tués par des terroristes.
Et croyez-moi, cette scène me reviens tous les jours.

J’ai appris à vivre avec ça : pour visiter un appartement, chercher un job, je connais ma leçon : «  je suis athée, je ne suis pas musulmane, je ne suis pas une voleuse ! »
J’aime la France, où j’ai choisi de vivre, j’aime les Français,
Et je suis musulmane et fière de l’être. L’islam est une science, une éducation, une philosophie, un savoir vivre. L’Islam, c’est la paix, c’est l’amour, comme toutes les religions qui sont là pour nous guider.
Mais pourquoi être obligé de mentir pour se protéger ?

Les coupables, ce ne sont pas les Français, ce sont l’ignorance et les préjugés.
Mais les responsables de l’Islam en France, ceux qui parlent en notre nom, remplissent-ils réellement leur mission, qui est de protéger notre religion et de nous protéger ?
Je leur pose des questions :
Pourquoi avoir laissé des fous prêcher la haine au nom de l’islam  ?
Pourquoi laisser les medias nous juger et nous salir ?
Pourquoi vous perdre en querelles intestines, en luttes dérisoires pour un insignifiant fauteuil, au lieu de nous soutenir et nous défendre ?
Pourquoi n’arrivez-vous pas à travailler ensemble, vous unir pour éliminer les imams incultes, former des prêcheurs compétents, assurer un enseignement de qualité ?
Pourquoi laisser nos jeunes aux mains des gourous extrémistes, des « Cheikhs Google », des « Oulémas 2.0 », et des « Muftis kebabs » ?

A cause de tout cela, j’ai été obligée de cacher mon prénom arabe sous un prénom d’emprunt français, j’ai appelé ma fille « Amélie » plutôt que Amel,  je suis musulmane pour moi-même et athée pour les autres !

Néanmoins, je continuerai à aimer et à défendre cette France qui est la mienne, qui n’a ni couleur de peau, ni religion, mais qui accepte et protège toutes les couleurs de peau et toutes les religions.

Hannane

NDLR : Les noms ont été changés pour préserver la confidentialité de l’interessée

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