IL Y A 30 ANS : LA FIN DE L’URSS… VRAIMENT ?

Par Karim IFRAK
Docteur de l’École Pratique des Hautes Études (E.P.H.E)
Karim IFRAK est islamologue et traite des questions de géopolitique dans les mondes musulmans.

LES DESSOUS D’UNE IMPLOSION PROGRAMMÉE

L’Union des républiques socialistes soviétiques, née en décembre 1922 afin d’unir les diverses composantes de l’ancienne Russie tsariste dans une communauté de destin issue de la révolution d’Octobre 1917, disparaît de la scène internationale en décembre 1991, au terme d’un processus de désagrégation qui n’a duré que quelques mois.
Le 26 décembre 1991 exactement, le Soviet suprême de l’Union soviétique diffusait sa fameuse déclaration 142-Н. Cette dernière reconnaissait l’indépendance des anciennes Républiques socialistes soviétiques et de façon implicite, la dislocation de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) fondée 69 ans plus tôt. Il s’agissait alors d’un bouleversement sans précèdent qui provoqua un impact conséquent sur l’ordre mondial, actant la fin de la Guerre froide et annonçant une hégémonie américaine quasi-totale sur le monde et qui perdure, plus ou moins, jusqu’à nos jours.

Deux facteurs majeurs influencèrent, irréversiblement, ce destin brisé. D’une part, l’inefficacité d’un système économique presque totalement désarmé face aux agressions de la mécanique économique occidentale. De l’autre, une course démesurée à l’armement, en particulier le très coûteux programme « Guerre des étoiles », contre les États-Unis, allait finir par grever davantage des finances lourdement érodées par une dette d’État croissante.

Aussi, lorsque Mikhaïl Gorbatchev annonça, en 1985, la mise en place d’un vaste plan de réformes « la Perestroïka » (reconstruction et restructuration), aux yeux des observateurs, cela fut l’écho d’un aveu d’échec on ne peut plus clair. Une date clé qui coïncide avec la déclaration du ministre du Pétrole saoudien de l’époque, à savoir que l’Arabie Saoudite renonçait à l’accord sur la limitation de la production pétrolière et accroîtrait désormais sa part sur le marché du pétrole. Aussitôt, elle multiplia sa production par 5,5, tout en divisant les prix par 6. Toute chance de générer des revenus pour l’URSS était alors réduite à néant. Plus tard, le retrait, en 1989, des forces soviétiques d’Afghanistan après onze ans de guerre épuisante financièrement et moralement, suivi par la chute du « mur de Berlin », finit par faire chuter définitivement le bloc soviétique entier.



JAMAIS DEUX SANS TROIS

À cet ensemble de facteurs extrêmement corrosifs, deux autres, plus discrets, jouèrent indépendamment le rôle d’accélérateur. De base, l’URSS se composait de 15 républiques, chacune théoriquement égale en droits en tant que nations fraternelles. Or en réalité, la Russie était de loin la plus grande et la plus puissante, et la langue et la culture russes dominaient de nombreux domaines. Aussi, vers la fin des années 1980, les nationalismes ethniques devenaient de plus en plus expressifs et donc visibles au sein des républiques soviétiques. L’exemple le plus patent demeure celui des jeunes Kazakhs qui organisèrent, fin 1896, plusieurs émeutes, frustrés qu’ils étaient de voir un Russe à la tête du pays. Ces manifestations d’ordre « identitaires » sur fond de conflits ethniques, participèrent à la désintégration définitive du plus grand État du monde. Ainsi, ces « structures » porteuses du fédéralisme soviétique destinées, initialement, à consolider l’Union soviétique, collaborèrent, contre toute attente, à précipiter son implosion.

Le second facteur est purement idéologique. Pendant des années, le parti communiste faisait croire au peuple soviétique que l’Occident était « pourri » et que ses habitants se noyaient dans la pauvreté et la dégradation sous les gouvernements capitalistes. Cette idée fut de plus en plus remise en question à partir de la fin des années 1980, lorsque les voyages et les contacts directs entre les gens ordinaires se sont multipliés. Les citoyens soviétiques ont pu constater que dans de nombreux autres pays, le niveau de vie, la liberté individuelle et l’État-providence dépassaient de loin ceux de leur pays. Ceci d’une part. de l’autre, ambitionnant de réformer, profondément le pays, Mikhaïl Gorbatchev encouragea une plus grande liberté d’expression et ouvrit le débat sur l’avenir de l’Union soviétique. Mieux encore, il n’hésita pas à mettre en avant l’idée d’un système multipartite, remettant en question la domination du parti communiste. Or, au lieu de tordre le cou à l’idée soviétique, ces révélations poussèrent de nombreuses personnes à penser que le système dirigé par le parti communiste, en plus d’être inefficace et répressif, était profondément corrompu. Résultat des courses, en août 1991, les conservateurs lancent un coup d’État malheureux pour écarter Gorbatchev du pouvoir. Gorbatchev en sort indemne, seulement, au lieu de sauver l’URSS, cette tentative ratée précipita sa disparition.



LA FIN D’UN EMPIRE

Le 8 décembre 1991, les accords de Bieloviej celèrent le destin de l’Union soviétique en mettant fin à son existence à la fois physique et idéologique. Du jour au lendemain, l’URSS est démembrée, perdant quinze de ses anciennes républiques. En dehors de la Fédération de Russie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, l’Estonie, la Géorgie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, la Lettonie, la Lituanie, la Moldavie, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Turkménistan et l’Ukraine, acquirent simultanément leur indépendance. Et en marge des premiers, d’autres pays satellites leur emboîtèrent le pas. Il s’agit de la Bulgarie, de la Hongrie, de la Pologne, de la Tchécoslovaquie, de la Roumanie, de l’Albanie, de l’Allemagne de l’Est et de la Yougoslavie.

Le 25 décembre de la même année, Mikhaïl Gorbatchev, dernier président de feu l’Union soviétique, démissionne. Cependant, loin de tout résorber, la démission de M. G demeura sans effet sur certaines questions, en particulier celle des « États fantômes ». Des « quasi-États », indépendants de fait mais pas de droit, convertis en source de conflits irrésolus, liés qu’ils sont à de forts enjeux géopolitiques et dont la liste ne cesse de s’allonger. Les plus récents en date sont les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, autoproclamées en 2014 à l’issue de la crise ukrainienne et de la guerre du Donbass.



VERS UN RETOUR EN FORCE SUR LA SCÉNE INTERNATIONALE ?

Néanmoins, la dislocation de l’URSS, ne signifie pas pour autant la fin totale ou définitive de l’influence russe dans cet « espace perdu » renommé depuis « l’étranger proche ». Bien au contraire. La Fédération de Russie dispose d’une panoplie étendue de moyens d’influence, répartis entre hard et soft power, dans les « espaces » dont elle estime qu’ils relèvent de son « étranger proche ». Influence politique et diplomatique, dépendance énergétique et industrielle, boycott économique (l’exemple des vins moldaves et géorgiens en Russie à partir de janvier 2006), présence militaire, etc., sont au nombre des leviers puissants auxquels elle n’hésite jamais à recourir. Le Traité de Sécurité Collective (OTSC) fondée en 2003 dans le sillage du traité de Tachkent (1992), afin d’instaurer un cadre de défense commun sous l’égide de la Fédération de Russie, n’est qu’un exemple parmi d’autres.

Cependant bien que l’URSS a, plus ou moins, définitivement cesser d’exister, du moins sur le plan géographique, il n’empêche que l’éclosion de « zones grises » constituant une sorte de « pays fantômes », continueront, et certainement pour longtemps, à former des sortes d’abcès entre la Russie et ses « partenaires » occidentaux. Ces mêmes « partenaires » qui n’avaient pas hésité, profitant de son double handicap financier et économique survenu au lendemain de sa chute, à faire avancer, à son insu, les pions de l’OTAN. Mais c’était sans compter et le revers du nouvel homme fort de la nouvelle Russie. Trente ans après le drame soviétique, Vladimir Poutine n’hésite pas à faire face à l’OTAN, en lui interdisant, par exemple, de se rapproche des frontières russes, quitte à laisser entrevoir une partie de ses forces. Le récent renforcement des troupes russes près de l’Ukraine en est une première preuve, et les négociations, entre la Russie et les USA, prévues à partir du10 janvier prochain, sans aucune présence européenne, en est une seconde.

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