L’Ouzbekistan, étape majeure de la route de la soie, patrie de Tamerlan, est l’un des épicentres spirituel et culturel du monde musulman. Si l’islam est né en Arabie, c’est en Asie centrale, et plus précisément dans ce qui est aujourd’hui l’Ouzbékistan, qu’il s’est développé. Ce pays, par ailleurs d’une rare beauté, a été le théâtre d’innombrables avancées dans les domaines des sciences, des sciences islamiques et de la littérature, laissant derrière lui un héritage intellectuel et culturel inestimable.
Samarkand la magnifique
Samarkand, une des villes emblématiques de l’Ouzbékistan, est célèbre pour ses contributions significatives aux sciences, notamment sous le règne de Ulugh Beg. Ce prince astronome du 15ème siècle a fondé un observatoire qui a révolutionné l’astronomie de son temps. Parmi les figures majeures qui ont travaillé à Samarkand, on trouve Jamshid al-Kashi, connu pour ses calculs de la valeur de π, et Qadi Zada al-Rumi, célèbre pour ses travaux en mathématiques et en astronomie. Leurs recherches ont non seulement enrichi le savoir scientifique de l’époque, mais ont également influencé les savants européens lors de la Renaissance.
C’est aussi à Samarkand que Maturidi développa l’école théologique portant son nom. L’imam Termidi réalisa sa compilation des Hadith, le Al-jâmi, dans sa ville natale de Termiz.
Boukhara, Centre Spirituel et Intellectuel
Boukhara, surnommée « la cité sainte de l’Islam », a été un centre de savoir islamique pendant des siècles. La ville a abrité de nombreux théologiens et penseurs, dont le célèbre philosophe et médecin Avicenne (Ibn Sina). Son encyclopédie médicale, « Le Canon de la médecine », a été une référence dans le monde islamique et en Europe jusqu’à la Renaissance. Un autre érudit notable est Bahauddin Naqshband, fondateur de l’une des plus influentes confréries soufies, la Naqshbandiyya, qui a joué un rôle crucial dans le développement du soufisme en Asie centrale. La Naqshbandiyya est aujourd’hui l’une des plus importantes tariqas en France.
Mais Boukhara est aussi connue pour avoir été la ville natale de Muhammad ibn Ismail al-Bukhari, plus connu sous le nom d’Imam al-Bukhari. Il est l’auteur de l’un des ouvrages de compilation des hadiths les plus importants du monde sunnite : le Sahih al-Boukhari.
Khiva, le Fleuron de la littérature et des mathématiques
Khiva, avec ses monuments historiques et ses écoles, a été un creuset de la littérature musulmane. Mir Ali Shir Nava’i, figure emblématique de la littérature ouzbèke, a écrit des œuvres qui ont profondément influencé la langue et la culture turciques. Considéré comme un pionnier de la littérature turque, Nava’i a utilisé le tchaghataï, une langue turque, pour ses écrits, contribuant à sa reconnaissance littéraire. D’autres écrivains, comme Abdurauf Fitrat, ont joué un rôle clé dans la renaissance culturelle de l’Ouzbékistan au début du 20ème siècle, en promouvant des réformes éducatives et sociales.
Khiva est aussi la ville natale de Muhammad ibn Musa Al-Khwârizmî (ou Al-Khorazmi). Il fut le plus grand savant musulman, astronome, mathématicien et géographe du IX siècle. On lui doit l’algèbre et les nombres décimaux. Il a d’ailleurs donné son nom au terme « algorithme », et le mot « algèbre » vient de son ouvrage الكتاب المختصر في حساب الجبر والمقابلة, « Kitāb al-mukhtaṣar fī ḥisāb al-jabr wa-l-muqābala ». Pendant des siècles, ce livre servit de manuel de mathématiques aux aux étudiants des universités européennes médiévales. Il dirigea la bibliothèque de Bagdad la » Maison de la Sagesse ». Grâce à ses calculs mathématiques, il effectua des calculs détaillés des positions du soleil, de la lune et des planètes lors des éclipses solaires.
C’est également cette région du Khorezm, à Kyat, qui vit naître l’astronome Al-Biruni. Cinq siècles avant Galilée, il avait découvert la forme et la rotation de la terre, et avait calculé le rayon de celle-ci.
Un autre grand astronome, Al-Farghani, né à Kuva, infliuença fortement l’astronomie occidentale, notamment à travers son « Le livre des mouvements astronomiques et un résumé de la science des étoiles ». Ses calculs lui permirent aussi de supposer l’existence d’un continent inconnu à l’Ouest, qui fut découvert par les européens 650 ans plus tard.
La plus grand centre mondial de la culture islamique va s’ouvrir à Tachkent
C’est à Tashkent, où se trouve déjà le fameux exemplaire du Mushaf de Uthman, que le président de la République d’Ouzbekistan, Shavkat Mirziyoyev, a décidé, en 2017, de lancer la construction de ce qu’il a appelé à être l’un des joyaux du monde musulman moderne.
Le Centre de civilisation islamique a pour objectif de présenter les avancées intellectuelles, spirituelles, scientifiques que la civilisation musulmane a apporté au monde., et en particulier le riche héritage légué par l’Asie Centrale.
Pour les concepteurs du projets, une telle initiative, qui contribue à promouvoir le vrai visage de l’Islam, était nécessaire en temps où certains, pour des raisons généralement crapuleuses, diffusent une version frelatée des principes religieux. Combattre l’ignorance, éclairer par le savoir est, selon les voeux des initiateurs du projet, un devoir pour tout musulman.
Si l’extérieur du bâtiment s’inspire des différents styles architecturaux religieux présents en Ouzbekistan, l’aménagement intérieur a été confié à l’architecte français Jean-Michel Wilmotte, qui avait déjà réalisé le musée d’art islamique de Doha, au Qatar.
Le nouveau centre, qui devrait ouvrir ses portes en décembre 2025, comprendra un grand hall d’exposition de 15 000 m2, une librairie publique contenant 100 000 livres, un centre de recherches, avec une section consacrée à la digitalisation et à la restauration d’objets et de livres, une salle de convention qui pourra accueillir 500 personnes. Enfin, le centre hébergera l’Académie islamique internationale où plus de 200 étudiants pourront poursuivre leurs études en post master ou en doctorat.
Les espaces d’exposition présenteront, grâce à des techniques audiovisuelles interactives, les grandes découvertes en astronomie, mathématique, médecine. Plus de 4 000 objets seront exposés dans les 8 galeries, ainsi que 1 000 manuscrits. Au centre, sous la coupole, sera installé le très précieux et rare exemplaire du Coran manuscrit d’Othman datant du VIIème siècle.
Firdavs Abdukhalikov, président du Centre de civilisation islamique s’attend à ce que ce lieu devienne le rendez-vous de tous les chercheurs internationaux s’interessant à l’islam, au Coran et à la culture musulmane, ainsi que le lieu de rencontre des musulmans du monde entier qui pourront ici mesurer ce que cette culture a apporté au monde, notamment au monde occidental.
Firdavs Abdukhalikov dirige également la Société internationale pour l’étude, la préservation et la diffusion de l’héritage culturel de l’Ouzbékistan (WOSCU), qui rassemble et étudie les trésors de l’héritage culturel ouzbeks présents dans tous les musées du monde. Ces recherches ont permis la publication de 60 livres albums, dont l’un est consacré aux collections françaises.
Un Héritage Vivant
Aujourd’hui, l’Ouzbékistan continue de célébrer cet héritage riche et diversifié. Les villes de Samarkand, Boukhara et Khiva sont des destinations prisées pour les passionnés d’histoire et de culture, offrant un aperçu fascinant de l’âge d’or de la civilisation islamique.
Les musées, les monuments et les festivals culturels perpétuent la mémoire de ces savants et artistes qui ont façonné l’identité intellectuelle et spirituelle de la région.En explorant l’Ouzbékistan, on découvre non seulement la beauté de son architecture et de ses paysages, mais aussi la profondeur de son héritage culturel, qui continue d’inspirer et d’éclairer le monde d’aujourd’hui.
Jean-Michel Brun