ÉLECTIONS LÉGISLATIVES EN OUZBÉKISTAN

Vote en Ouzbékistan - Photo © Jean-Michel Brun 2024

Ce 27 octobre, près de 20 millions de citoyens ouzbeks étaient appelés aux urnes pour élire les 150 députés de l’Assemblée Nationale ouzbèke. Près de 30 000 candidats, appartenant à 5 partis, briguaient les suffrages des électeurs.

L’Ouzbékistan est une république présidentielle dont le président est élu au suffrage universel pour un mandat de sept ans. Celui-ci exerce la plupart des fonctions exécutives et décisionnelles et partage le pouvoir législatif avec le Parlement bicaméral, l’Oliy Majlis, qui se compose de deux chambres, le Sénat de 65 membres et l’Assemblée législative (qui correspond à notre Assemblée Nationale), avec 150 membres. Tous les membres ont un mandat de cinq ans.
40 % des candidats inscrits sur les listes de partis de l’Assemblée nationale doivent être des femmes. Les organisations internationales, les partis politiques nationaux, les représentants des médias, de même que les représentants des Mahallas – les comités de quartier, ont le
droit d’observer les élections, ainsi que les réunions préparatoires et les dépouillements.

Le parti présidentiel remporte les élections

Selon les premiers chiffres, la participation a été de 74,72%. C’est le parti présidentiel, le « Parti libéral-démocrate d’Ouzbékistan », qui est arrivé en tête, avec 64 députés, devant le parti « Renaissance nationale », avec 29 députés, le parti social-démocrate « Justice », avec 21 élus, puis le « Parti du peuple », avec 20 sièges, et enfin le parti écologiste qui obtient 16 sièges.

Démocratie de l’affrontement Vs démocratie participative

Photo © Jean-Michel Brun – 2024

Naturellement, ces résultats ont été accueillis avec une certaine circonspection et, même, disons-le, une condescendance certaine, par les médias européens, avant même d’ailleurs que les résultats ne soient connus. Les critiques portent sur le fait que les partis en lice ne représentent pas une opposition frontale au régime présidentiel de M. Shavkat Mirziyoyev.
Autre point de suspicion, le taux massif de votants, ce qui n’est pas fréquent en Europe. Il n’est pas inutile de rappeler que, dans le but de répondre par avance à la défiance annoncée des medias occidentaux, l’Ouzbekistan a pris l’habitude de faire surveiller les processus électoraux par des observateurs étrangers.

850 observateurs (parlementaires, journalistes, universitaires, organisations internationales) ont été invités à ces élections parlementaires. Ils étaient près de 2000 lors des dernières élections présidentielles. Ils ont la possibilité de vérifier si le vote se fait conformément aux règles démocratiques européennes, et peuvent assister au dépouillement. Comme pour les élections présidentielles, à part quelques irrégularités mineures, comme l’absence de vérification d’identité dans les petits villages où tout le monde se connaît, aucun observateur n’a pu détecter la moindre anomalie.

La méfiance des occidentaux à l’égard des régimes politiques au Caucase et en Asie Centrale réside notamment dans le fait que la démocratie n’y est pas abordée de la même façon, ce qui
ne signifie pas forcément que l’une est meilleure que l’autre.
La démocratie occidentale, française notamment, est d’abord une démocratie d’affrontement. Le pouvoir, qu’il soit national, local, ou économique, décide, et ceux qui sont en désaccord avec les décisions prises (syndicats, partis, associations ou groupes de citoyens) entrent en conflitavec le pouvoir. Pour certains auteurs, le conflit est même le garant de la démocratie. EnFrance par exemple, les évolutions en matière économique se font à travers les conflits sociaux : les entreprises, ou l’état, prennent des mesures qui peuvent entraîner un affrontement avec les « travailleurs », sous forme de grèves, d’occupation d’usines ou de territoires (comme les ZAD) , de manifestations à l’encontre du pouvoir. L’idée étant d’établir un rapport de force avant d’entamer d’éventuelles négociations. C’est ainsi que les grandes avancées sociales, comme les congés payés, ont été obtenues.

Dans les pays du nord de l’Europe au contraire , la négociation se fait plutôt en amont, et les décisions sont le fruit d’un consensus. C’est pourquoi les manifestations violentes y sont extrêmement rares.

Politiquement, l’Europe, et principalement la France, pratique une une démocratie de partis, dans laquelle s’affrontent trois grandes forces : les partisans de la politique du chef de l’État, et ses deux catégories adversaires, les uns la jugeant trop à « gauche », les autres trop à « droite », sachant que les définitions de la « gauche » et de la « droite » ont des contours imprécis et fluctuants.Une fois élus, les députés s’engagent dans des joutes partisanes où il y a généralement un grand absent : le peuple lui-même. Le général de Gaulle avait fustigé en son temps ce « régime des partis », lesquels craignant d’être dépossédés de leur pouvoir, avaient refusé en 1962 l’élection du président de la République au suffrage universel. La dissolution de l’Assemblée et le referendum imposé par de Gaulle avaient mis fin à ce système… jusqu’à ce qu’il renaisse progressivement de ses cendres, jusqu’à l’apogée du travestissement de la Constitution de la Ve République, à travers l’abus du 49.3, les trahisons, les promesses non tenues, qui plombent la démocratie dont nous sommes si fiers.
Ce qui caractérise nos démocraties occidentales, ce sont des partis forts et un pouvoir faible (on l’a vu avec l’effondrement du parti présidentiel Renaissance en France et le taux de popularité à la ramasse d’Emmanuel Macron).

Dans les pays comme l’Ouzbekistan, un autre choix a été fait. Pays jeune, celui-ci a pu prendre la mesure de l’évolution historique des régimes démocratiques. Après être sorti, non sans mal, de la dictature soviétique, le pays a pu, avec l’arrivée au pouvoir de Shavkat Mirziyoyev, entreprendre un processus de reconstruction qui a été mené tambour battant pendant 5 ans. Une fois la situation stabilisée, le pouvoir a mis en chantier un ambitieux chantier de réforme de l’État, aboutissant, en 2023, au vote d’une nouvelle constitution. 
Fait interessant, les citoyens ont été directement invités à contribuer à l’élaboration de la constitution, chacun pouvant grâce un lien internet, proposer ses suggestions. Ainsi, plus de 150 000 propositions ont été reçues de la part de la population et plus de 10 000 émanant des syndicats, des universités, des comités de quartiers et des militants des diverses tendances politiques.
Cette nouvelle constitution a introduit une part de proportionnelle dans les élections législatives, afin d’éviter les injustices liées au découpage électoral. Concrètement, sur les 150 députés de l’Assemblée Nationale, la moitié sont élus à la proportionnelle, l’autre au scrutin majoritaire, via les partis. Par ailleurs, il existe en Ouzbekistan une structure de décisions décentralisée unique au monde, les « mahallas », ou comités de quartier, qui permettent une participation directe des citoyens à la vie politique.
En résumé, les mécanismes locaux sont très puissants, et la politique gouvernementale s’appuie plus sur le consensus que l’affrontement, Le système ouzbèke s ‘apparente ainsi à une « démocratie participative ». Cela explique que la bataille des idéologies telle que nous la connaissons en France, y est pratiquement inexistante. C’est aussi cela qui fait dire à certains analystes occidentaux que l’opposition n’existe pas en Ouzbékistan.

Finalement, le peuple est-il mieux représenté en occident qu’en Asie centrale ? Rien n’est
moins sûr. Les récentes péripéties de la démocratie en France en sont la navrante illustration.

Un scrutin sous haute surveillance

Concernant la régularité des élections, celles-ci ont donc été contrôles par plus de 850 observateurs venant de Russie, USA, France, Autriche, Royaume Uni, Allemagne, Hollande, Espagne, Portugal, Italie, Grèce, Suisse, Belgique, Hongrie, Turquie, Moldavie, Biéolrussie Pologne, Slovaquie, Lituanie, Tchéquie, Arménie, Géorgie, Kazakhstan, Tadjikistan, Kirghistan, Azerbaïdjan, Egypte, Jordanie, Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis ,Maldives, Laos, Singapour, Indonésie, Malaisie, Pakistan, Inde, Philippines, Chine, Corée, Thailande, Japon, Mongolie, Vietnam, Afrique du Sud, Israel, Iran, Union Européenne.

Répartis dans des bureaux de votes répartis dans tout le pays, ils étaient habilités à surveiller le bon déroulement du scrutin et des dépouillements.La France était représentée par le sénateursocialiste David Ros, le maire-adjoint LR de Toulouse Maxime Boyer, Carole Bureau-Bonnard et Pierre Cabaré, ancien députés Renaissance, tous fin connaisseurs de l’Asie centrale, ainsi que trois représentants de l’ambassade de France à Tachkent. Ils ont ainsi pu constater le parfait déroulement des élections. « Ce pays est en pleine mutation économique. Ces élections sont appréhendées de façon positive par des personnes prises dans la population avec lesquelles nous avons pu échanger de façon impromptue. L’introduction d’une part de proportionnelle et une part de scrutin majoritaire a permis de voir participer davantage d’opposition au parlement. Je pense que le dynamisme économique peut financer des lois sociales espérées par la population. Pour ma part, je n’ai vu aucune forme d’irrégularité dans ce processus de vote » nous a indiqué Pierre Cabaré. Carole Bureau Bonnard a quant à elle remarqué la clarté des explications sur le mode de scrutin à destination du public, et l’assistance fournie aux personnes en situation de handicap.
Quelque chose nous a également surpris : parfois, des électeurs prennent la pose, et sont pris en photo sous les applaudissement du public présent. Il s’agit des jeunes qui votent pour la première fois. Une manière inspirante de valoriser auprès des jeunes l’exercice du droit de vote. Peut-être un exemple pour nous. L’abstention des jeunes a été de 43% pour les dernières législatives, et de 71% aux européennes…

Jean-Michel Brun

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