« Les dénonciations d’un prétendu racisme d’Etat, comme toutes lespostures victimaires, relèvent de la diffamation. Elles nourrissent et exacerbent à la fois la haine antimusulmane et la haine de la France. La diffamation et la propagation de fausses informations sont des délits. Leur interdiction est une exigence morale. »
Ainsi, la « Charte des imams », que le Ministère de l’Intérieur chercha à imposer aux responsables religieux en janvier 2021 interdisaient à ceux-ci de prétendre que les musulmans étaient victimes d’islamophobie, y compris au niveau des plus hautes sphères de l’État. Ainsi s’instaurait une délit d’opinion dont on comprend aujourd’hui la démarche à la lumière de l’incroyable affaire Iquioussen.
La paranoia au cœur de l’État
L’affaire a commencé par un simple tweet du Ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, annonçant son intention d’expulser de France l’imam Hassan Iquioussen. En prenant prétexte de déclarations, d’ailleurs sorties de leur contexte, prononcées il y a vingt ans, l’État français a estimé que les positions de l’imam étaient contraires aux « valeurs de la République», et correspondaient au concept de « séparatisme » inventé par Gérald Darmanin. Ce terme, forgé par un ministre poursuivi par une détestation personnelle et irraisonnée de l’islam et des musulmans, permettait de justifier des décisions guidées par les phobies obsessionnelles d’un responsable politique qui, en raison même de sa paranoia, n’aurait jamais dû avoir accès aux responsabilités qui sont aujourd’hui les siennes.
Cette stigmatisation d’une partie importante de notre tissu national sert probablement les intérêts d’un Président qui juge, à tort ou à raison, que son maintient à la tête de l’Etat dépend du soutien de l’électorat d’extrême droite.
Du coup, malgré la faillite de son administration, qui excuse son incapacité à assurer la sécurité d’un simple match de football par des mensonges éhontés, malgré les retards historiques dans le traitement des dossiers les plus essentiels de la vie courante, comme le renouvellement d’un passeport ou d’une carte d’identité (plus de 4 mois d’attente), ou la reconduction d’un titre de séjour (2 ans de retard), le ministre reste imperturbablement à son poste.
Ainsi, peu importe que des dizaines de milliers de Français n’aient pas pu partir en vacances faute de passeport, que des étrangers en situation régulière perdent leur emploi faute de titre de séjour, que l’incivilité soit devenue une norme, que les prisons françaises soient parmi les plus insalubres du monde, puisque la priorité des priorités est donnée à l’expression du délire d’un ministre monomaniaque.
Ce n’est hélas pas la première fois qu’un État sombre dans la paranoia. On se souvient du Sénateur McCarthy qui instaura la « chasse aux sorcières » contre les intellectuels américains soupçonnés de sympathies « communistes » ou le Code du sénateur Hays dans les années 20, qui établit une censure contre le sexe au cinéma… jusqu’à ce que son procès en divorce révèle qu’il s’était acharné, des années durant, sur le nombril de sa femme… Les idées fixes des politiques sont parfois l’expression de la théorie freudienne du refoulement.
Voilà pourquoi les mesures discriminatoires à l’égard des musulmans vont bon train, boostées par une presse monopolisée par une poignée d’oligarques aux ordres.
Une manoeuvre d’intimidation
La question n’est pas de soutenir ou non toutes les prises de positions de Hassan Iquioussen, qui peuvent, pour certaines, paraître réactionnaires. La question est simplement : a-t-on le droit, dans ce pays, d’exprimer son opinion (dès l’instant où il n’y a pas d’appel à la violence, ce qui est le cas pour Iquioussen) ? Les positions de l’imam sur les LGBT, ou le rôle de la femme, ne diffèrent en rien de celles des ministres des autres cultes. Pourtant, on ne ferme ni église, ni temple, ni synagogue – heureusement d’ailleurs – malgré des prêches souvent beaucoup plus « intégristes » que ceux de Hassan Iquioussen.
Oui, dans notre pays, la Constitution défend la liberté de culte. La loi de 1905 interdit à l’ État de s’immiscer dans les temples. Et pourtant, nous assistons aujourd’hui à l’éclosion d’une véritable police de la pensée, qui n’est finalement guère différence de la « police religieuse » du feu régime wahhabite.
Finalement, que reproche-t-on réellement à Hassan Iquioussen ? Ses propos sur la pratique religieuse ? Ils ne sont pas différents de ceux des autres religions. Sa critique de la gestion du fait musulman par l’État ? On sait qu’Hassan Iquioussen est toujours resté en relations étroites avec les responsables de la haute administration. Alors quoi ? Peut-être a-t-il été choisi pour faire exemple. Pour faire peur à quiconque émettrait une critique à l’égard de la politique ministérielle. Avec un message clair : musulmans, qui que vous soyez, nous ferons ce que nous voulons de vous. Le fait que l’imam, bien que né en France, ne dispose pas de la nationalité française mais de la nationalité marocaine, en faisait un cobaye idéal pour donner un avertissement à la communauté musulmane.
Sauf que les choses ne se sont pas passées exactement comme Darmanin l’espérait.
Après l’illusoire victoire du refus de la CEDH de suspendre l’expulsion, Darmanin s’est retrouvé face à un véritable mur de protestations et de soutiens, et pas seulement, comme il voudrait le faire croire, de suppôts des « Frères musulmans ».

Et comble de l’humiliation, il se fait désavouer par le tribunal administratif qui suspend l’expulsion et octroie le versement de dommages à l’imam.
Le Tribunal administratif de Paris a en effet décidé, le vendredi 5 août, de suspendre l’expulsion de Hassan Iquioussen vers le Maroc. Le juge des référés a indiqué, affirme son avocate Me Lucie Simon, qu’une telle action à l’encontre du prédicateur « porterait une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale. Loin des sirènes médiatiques, le droit ». « Ce que nous demandons, c’est uniquement une suspension de la mesure pour dépasser le temps médiatique et le temps de l’émotion et que des juges puissent se pencher sereinement sur le fond » d’une affaire « hautement complexe », avait indiqué l’avocate après l’audience.
Pour les soutiens à l’imam, il s’agissait ni plus ni moins de respecter l’état de droit.
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Pour Darmanin, il s’agit là d’un revers bien plus grave que la clownesque affaire du Stade de France. Blessé au coeur même de son obsession, il a naturellement décidé de faire appel devant le Conseil d’État, déclarant être « bien décidé à lutter contre ceux qui tiennent et diffusent des propos de nature antisémites et contraires à l’égalité entre les femmes et les hommes ». L’audience se tiendra le 26 aout à 11h. En attendant, le ministre a tenu a ré-affirmer sa position : « Ce monsieur n’a rien à faire sur le sol de la République ». Charmant…
Naturellement, la décision du tribunal administratif a suscité les cris d’orfraie de la droite française, l’ineffable Eric Ciotti en tête. Les élus d’exrême droite se sont même fendus d’une belle tribune vert-de-gris dans Le Figaro.
Ce qui est plus consternant, c’est l’attitude de certaines figures de l’islam français qui imaginent sans doute qu’il vaut mieux, pour la tranquillité des musulmans, ne pas « faire de vague » et sacrifier Iquioussen pour sauver l’islam de France. Ce fut le cas de Tareq Oubrou, portant beau-frère d’Iquioussen, qui apporta au ministre de l’intérieur un soutien dont il n’a sans doute pas mesuré le caractère dérisoire et contre-productif, oubliant sans doute qu’il est vain, pour un agneau, de chercher à faire alliance avec le loup.
Une « invitation » qu’on ne peut pas refuser
Mais c’est en cherchant à intimider les éventuels soutiens à Iquioussen, que Darmanin a cherché à contre-attaquer.
Immédiatement après la décision du tribunal, les mosquées qui avaient affiché leur soutien à l’imam ont été sommées de s’expliquer.
Là encore, nous retrouvons la tactique retors du ministère qui, tout en menaçant, cherche à diviser les musulmans, à les monter les uns contre les autres, en mettant sur place des opérations dont il sait parfaitement qu’elles vont provoquer des dissensions au sein de la communauté.
C’est ainsi que fut montée la « Charte des imams », puis le FORIF, plaçant dos à dos ceux qui pensaient qu’il vallait mieux collaborer et réformer de l’intérieur, et ceux qui estimaient que le seule solution viendra de la mobilisation et de la lutte pour les libertés.
Ainsi, une réunion organisée à l’initiative de la Prefecture de Seine et Marne a été présentée de la façon suivante dans les réseaux sociaux :
« La préfète a convoqué les responsables des 16 associations signataires du soutien à cheikh Hassan Iquioussen. La rencontre a eu lieu à Melun (capitale du département) et l’échange a été houleux et tendu. Les responsables associatifs se sont concertés sur les réponses à donner à la préfète qui s’est trouvée dans la défensive. Les responsables ont défendu sans hésitations cheikh Hassan Iquioussen, un personnage qu’ils connaissent bien Cette démarche citoyenne de soutien est dictée par le sens de la responsabilité et par la liberté, ont confirmé les responsables à la préfète. »
Aussitôt, le Conseil départemental du culte musulman (CDCM) a contesté cette version des faits.
Certes, une réunion a bien eu lieu mardi 9 août à Melun, « à l’initiative de la préfecture », en présence de Nadège Baptista, préfète déléguée pour l’Égalité des Chances, et de trois membres du bureau de l’instance représentative des mosquées seine-et-marnaises, mais il s’agissait là, non d’une « convocation », mais d’une « invitation ». L’échange n’aurait pas été « houleux », mais au contraire « serein et franc », « dans un esprit constructif, de respect et de franchise ».
Le président du CDCM77, Abdelaziz Abderrahmane, présent à la réunion avec les responsables des mosquées de Mée-sur-Seine et de Meaux, affirme même que « La réunion était tout à fait cordiale et avait pour objectif de clarifier notre position dans le communiqué. [la Préfecture] voulait la comprendre et elle a raison. On a confirmé notre position en affirmant que Hassan Iquioussen est déjà passé dans sept ou huit mosquées de Seine-et-Marne et qu’il n’a jamais tenu de propos contre la République » Même son de cloches du côté de la Préfecture qui affirme que la réunion a été « constructive »
Bon, on peut toujours dire cela, et on comprend que le CDCM, engagé dans une procédure de dialogue avec les autorités, fortement contestée par nombre de responsables musulmans, hésite à apporter de l’eau au moulin de ses détracteurs. Toujours est-il que d’autres témoignages sont parvenus à musulmansenfarnce.fr, qui ne reflètent pas cette ambiance « bisounours », loin de là.
Bref, pas une « convocation », mais une « invitation » qu’on ne peut refuser.
On espère juste que l’attitude de ces responsables musulmans ne sera pas l’illustration de la célèbre phrase de Churchill : « Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre. »
De toutes façons, les préfectures ne font que transmettre les ordres du ministre, et celui-ci est loin d’être dans une optique de bienveillance à l’égard des musulmans, et quoi qu’en dise le président de CDCM77, de nombreuses associations ont été contactées par les services de renseignement pour leur demander les raisons de leur soutien à Iquioussen. Darmanin avait d’ailleurs été clair à ce sujet, en affirmant à nos confrères de La Voix du Nord, le 4 août dernier : « Toutes les mosquées qui le soutiennent sont dans le viseur ». Voilà que l’État rétablit le délit d’opinion et la police de la pensée. Belle époque…
Les associations musulmanes continuent d’ailleurs à être l’objet de discriminations administratives, comme la fermeture ou le refus d’ouverture de comptes bancaires, la fermetures d’établissements d’enseignements ou même de clubs sportifs.
En conclusion, hasardons-nous à dire deux choses : aux musulmans qu’il n’est d’autre solution, pour préserver leurs droits et leurs libertés, que de se mobiliser et d’utiliser les pouvoirs que leur donne la citoyenneté. Aux islamophobes, que les musulmans ne partiront pas de France, qu’ils sont ici chez eux, et qu’il faudra bien qu’ils s’y fassent.