Depuis trois jours, la France est en feu.
En cause, non seulement la mort d’une jeune de 17 ans abattu par un policier, mais l’abandon par les autorités des territoires les plus déshérités, et le racisme et l’islamophobie de la police.
Une fois encore, un jeune conducteur sans permis a été exécuté par un membre d’un service de police pour avoir refusé de s’obtempérer. Bien que la population française soit habituée aux violences policières, constatées notamment pendant l’épisode des gilets jaunes, cette fois l’affaire a provoqué la réaction la plus violente jamais vue de mémoire de journaliste. Une réaction qui dépasse largement la tragédie de Nahel, et qui exprime une colère contenue depuis des années à l’égard de la police, mais surtout de l’État français qui laisse de côté toute une partie de sa population.
Commencée dès la soirée du 27 janvier à Nanterre, la révolte s’est étendue sur tout le territoire français, y compris dans les DOM-TOM. Depuis trois jours, la France fait penser à une zone de guerre : Mairies incendiées, commissariats envahis, magasins pillés, les autorités apparaissent complètement dépassées par la situation.Les jeunes semblent ne plus avoir peur. Ils s’en prennent directement aux policiers, qui se trouvent obligés reculer.
Depuis, Emmanuel Macron a parlé d’un « acte inexcusable ». Le policier concerné a été mis en examen pour homicide volontaire et placé en détention provisoire. Il a présenté ses excuses à la famille, tout en déclarant d’ailleurs vouloir faire appel de la décision judiciaire. Pourtant, cela n’a pas calmé les manifestants. Et ce n’est pas étonnant, car cette mise en examen ne résout rien. Il est clair, et cela a été confirmé par l’avocat du policier, que ces regrets ont été largement motivés par l’explosion de violence qui a éclaté depuis le tir mortel et la crainte d’un chaos incontrôlable. Par ailleurs, les jeunes des quartiers ne sont pas dupes. S’il n’y avait pas eu de caméra de surveillance, et si la vidéo du meurtre n’avait pas été diffusée, l’affaire aurait été enterrée. Cela s’est produit à plusieurs reprises. Dans le combat « parole contre parole », c’est toujours celle des policiers qui prime. D’autant que, comme à l’habitude, les policiers ont rédigé un rapport fallacieux, immédiatement contredit par les images. Ils sont d’ailleurs poursuivis pour faux en écriture publique.
Même si le jeune conducteur était connu des services de police pour les mêmes faits, même si son comportement est sans aucun doute inexcusable, les mensonges des policiers, du procureur et des médias avant que la vidéo montrant l’assassinat ne soit diffusée ont choqué toute la nation. Les avocats ont d’ailleurs déploré que le parquet de Nanterre ait confié au commissariat de la ville l’enquête pour » homicide volontaire » ouverte contre l’agent de police, ce qui laisse planer, selon eux, des suspicions sur l’impartialité de ces investigations. Une demande de dépaysement a été formulée.
Une société contaminée par les discours d’extrême-droite
C’est donc la formation de la police, et la politique de sécurité en France qui est au cœur des violences de ces derniers jours. C’est aussi la société contaminée par les discours d’extrême droite aujourd’hui libérés. Il suffit de se référer aux réactions de la classe politique qui, visiblement, n’a rien compris, ou ne veut rien comprendre à la réalité du problème.
François-Xavier Bellamy a présenté la victime comme l’agresseur et le tueur comme le héros : « Si ce jeune est mort, qui, rappelons-le, roulait sans permis, qui, certainement par son comportement routier avait dû attirer l’attention de ces agents de police, c’est d’abord parce qu’il a cherché à se soustraire à un contrôle (…) Les conséquences de ce comportement auraient pu être potentiellement dramatiques pour d’autres personnes à proximité et d’autres potentielles victimes. »
Eric Ciotti, égal à lui-même a renchéri : « Partout en France, des voyous sèment le chaos. Pour la 2ème nuit consécutive, des mairies et des commerces sont incendiés, des magasins sont pillés… L’anarchie la plus totale règne dans le pays. Dès demain matin, le Président de la République doit déclencher l’état d’urgence. » Aucune allusion aux causes profondes du malaise des jeunes des quartiers.
Pour d’autres personnalités qui se sont exprimées, ces déclarations ne sont au contraire rien d’autre qu’une nouvelle manifestation de la radicalisation suprémaciste de la classe politique française.
Jules Koundé, membre de l’équipe de France de football, déclare sur Twitter : « Comme si cette nouvelle bavure policière ne suffisait pas, les chaînes d’information en continu en font leurs choux gras. Des plateaux déconnectés de la réalité, des « journalistes » qui posent des « questions » dans le seul but de déformer la vérité, de criminaliser la victime et de trouver des circonstances atténuantes là où il n’y en a aucune. Une méthode vieille comme le monde pour masquer le vrai problème. »
Kylian Mbappé, capitaine de l’équipe de France de football, twitte : « J’ai mal à ma France. Une situation inacceptable. Toutes mes pensées vont pour la famille et les proches de Nahel, ce petit ange parti beaucoup trop tôt. »
Le comédien Omar Sy déclare quant à lui : « Mes pensées et prières vont à la famille et aux proches de Nahel, mort à 17 ans ce matin, tué par un policier à Nanterre. Qu’une justice digne de ce nom honore la mémoire de cet enfant. »
Le racisme à la française sur le banc des accusés
Latifa ibn Ziaten, créatrice de l’association « IMAD pour la Jeunesse et la Paix » et mère d’Imad, assassiné par Mohammed Merah en 2012, a imploré les manifestants de cesser les violences : « J’appelle les parents, tous les parents à raisonner leurs enfants. La violence ne peut pas être une solution. Dégrader son environnement c’est se faire du tort à soi-même. Vous méritez mieux que ces émeutes. Vous valez plus que la haine. Ne vous rabaissez pas à détruire ». Elle a toutefois rappelé aux medias que l’origine de cette révolte était la souffrance des jeunes des quartiers, abandonnés par l’État, et victime au quotidien des harcèlements de la police et des autorités.
Aujourd’hui, certains responsables des forces de l’ordre appellent au rétablissement de la « police de proximité », qui créait un véritable lien de confiance avec les jeunes des quartiers, et qui avait été dissoute par le Président Sarkozy, lui-même mentor de l’actuel ministre de l’intérieur Gérald Darmanin. Ainsi que l’a fait remarquer Henri Leclerc, le président d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme, qui réclame lui aussi le retour à la police de proximité, la loi de 2017 sur l’usage des armes a été « interprétée » par les policiers « presque comme un permis de tuer. »
La « croisade » du ministre de l’intérieur contre le prétendu « séparatisme » des musulmans français a également contribué à la discrimination envers les Français de confession musulmane.
Sous prétexte de « Laïcité », on interdit aux lycéennes les robes longues, on exclut de leur établissement des jeunes sous prétexte qu’ils priaient pendant la récréation. Toujours, les musulmans sont montrés du doigt, exclus de fait de la « bonne société française ». Comment imaginer que les policiers, aux ordres de leur ministère, ne soient pas, eux aussi, même « à l’insu de leur plein gré », contaminés par cet ambiance discriminatoire ?
Autre point troublant : alors que beaucoup de pays démocratiques ont équipé leurs policiers de caméra, cela a été refusé par le ministre de l’intérieur. L’État français craindrait-il la transparence ? La révélation de la responsabilité du policier dans l’affaire de Nanteree par une caméra de surveillance laisse à penser que oui.
Une discrimination, certes niée par l’État français, mais pointée du doigt partout dans le monde, notamment dans les Universités de science politiques américaines qui présentent tout simplement la France comme un pays raciste à l’égard des musulmans.
Vendredi dernier, l’ONU a demandé à la France de se pencher sérieusement sur les problèmes de racisme et de discrimination raciale au sein des forces de l’ordre.« C’est le moment pour le pays de s’attaquer sérieusement aux profonds problèmes de racisme et de discrimination raciale parmi les forces de l’ordre » a déclaré Ravina Shamdasani, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme lors du point presse régulier de l’ONU à Genève.
Rappelons que le 5 avril dernier à l ’Assemblée nationale, Gérald Darmanin, suivi en cela par la première ministre Elisabeth Borne, s’en était pris directement à la Ligue des Droits de l’Homme et avait menacé de réduire ses subventions, pour avoir mis en garde le gouvernement sur ses positions et décisions jugées islamophobes. Cette menace avait d’ailleurs suscité l’indignation de 1000 personnalités qui s’étaient adressées au chef de l’État dans une lettre ouverte.
Les réponses sécuritaires annoncées par Emmanuel Macron dans le cadre de la « Cellule interministérielle de crise » ne vont certainement pas apaiser la jeunesse française, non plus que le fait de mettre les émeutes sur le dos de « groupes parfois organisés, violents et équipés » des « parents » et des « réseaux sociaux ». Cette manière de focaliser l’attention du public sur de faux coupables, les personnes de confession musulmanes notamment, afin de le détourner des véritables problèmes, est une vieille méthode de manipulation, inventée en 1914 par le célèbre Ivy Lee, dit « Poison Ivy », lors des émeutes du Colorado. Ivy Lee est d’ailleurs toujours considéré comme le « père » des relations publiques.
Mais les vieilles méthodes ne contribuent pas à construire le monde de demain. La France devrait s’en souvenir. L’Amérique, secouée par les émeutes consécutives aux meurtres, par la police, de Eric Gardner, puis de George Floyd, l’a compris. Le slogan « Black lives matter » s’affiche aujourd’hui partout : sur les églises, au mur des bâtiments officiels, sur la vitrine des restaurants.
Quand la France redeviendra-t-elle la « patrie des droits de l’homme ? »