RETRAITES : « CE QUI EST LÉGAL N’EST PAS FORCÉMENT LÉGITIME »

Le gouvernement demeure encore en place et la réforme des retraites est considérée comme adoptée. Elle doit encore passer les différents contrôles de constitutionnalité opérés par le Conseil constitutionnel après les recours annoncés par les oppositions, et la saisine opportuniste d’Elisabeth Borne elle-même.

Un travestissement de l’esprit du 49.3

Néanmoins, les députés constatent l’existence d’une crise politique, malgré le maintien du gouvernement. Le député Charles de Courson, qui défendait la motion de censure pour le groupe LIOT, a dénoncé l’attitude du gouvernement, qui aurait « usé de toutes les manœuvres possibles […] pour tordre les procédures ». L’élu dénonce le fait que l’utilisation de cette procédure issue de l’article 49.3 de la Constitution pour la onzième fois en moins d’un an a causé une « crise politique et sociale », qui a « fait exploser les taux d’intérêt », avant d’appeler le gouvernement à retirer son projet au nom de la démocratie.

Rappelons que cet article a été voulu par le président de Gaulle pour mettre fin à ce qu’il appelait « le régime des partis ». Avant que la Ve République ne soit constituée, les partis politiques, qui n’avaient pas la légitimité du suffrage universel, par le jeu d’alliances à géométrie variable, faisaient tomber les gouvernements, rendant impossible une stabilité politique nécessaire à la reconstruction de la France d’après-guerre.
Mais le 49.3 n’a jamais été prévu pour contrecarrer la volonté des Français, laquelle, selon de Gaulle, primait sur tout. D’ailleurs, lorsque lui-même a perçu que le nouvelle France qui émergeait de l’après mai 68, n’était plus en phase avec sa propre conception de la politique, il a choisi de se retirer. Une grandeur qui a aujourd’hui des parfums de nostalgie.

L’écologiste Cyrielle Chatelain, évoquant la mise en application du 49.3, estime que « ce qui est légal n’est pas forcément légitime », avant d’ajouter, à l’adresse du gouvernement : « Vous n’avez plus les moyens de gouverner un pays qui est rongé par la défiance depuis les gilets jaunes. »

D’ailleurs, pour le criminologue Alain Bauer, il s’agit de la « même crise que les gilets jaunes », réponse à un État qui « ne réagit qu’en fonction du rapport de force », au lieu de « préférer la négociation tranquille comme c’est le cas dans les pays sociaux-démocrates du Nord ».

À droite, le chef de file du groupe Les Républicains Olivier Marleix, favorable à la réforme, assure que « le problème aujourd’hui, ce n’est pas la réforme des retraites, c’est le président de la République. ». Selon lui, le président Emmanuel Macron et ses gouvernements successifs ont mis en œuvre un « un exercice isolé, parfois narcissique et souvent arrogant du pouvoir, comme insensible à la vie des Françaises et des Français », en s’inquiétant du « décalage » de M. Macron avec le pays.

Des violences policières sans précédent depuis 1986

Ce mardi 28 mars, c’est à une mobilisation sans précédent à laquelle s’attendent, non seulement les syndicats, mais aussi le gouvernement que l’on perçoit envahi par la panique d’un soulèvement qui s’accroît de semaine en semaine.

La réponse du ministère de l’intérieur paraît à cet égard aussi décalée par rapport à l’opinion publique que l’est l’entêtement de l’Elysée à vouloir rester sourds aux appels des Français. « Il faut qu’Emmanuel macron arrête ses maladresses » déclare d’ailleurs le président LR du Sénat, Bruno Retailleau.

C’est donc par une mobilisation massive des forces de l’ordre – 13 000 policiers dont 5500 à Paris – et par un décret interdisant les rassemblements que le ministère de l’Intérieur répond aux manifestations. Toujours persuadé que sa réforme est juste, et qu’il y a « une volonté de certains de créer un climat insurrectionnel », selon les propres termes de Laurent Nunez, le Préfet de Police, le gouvernement choisit la voie de la répression systématique. Lors des manifestations contre les « bassines », pourtant totalement pacifiques, deux manifestants sont aujourd’hui entre la vie et la mort. Un décès serait une première depuis la mort de Malek Oussekine en 1986.

Une pétition demandant la dissolution des brigades de répression motorisées, les « Brav’M’ a déja recueilli plus de 100 000 signatures.

Amensty International et la Ligue des Droits de l’Homme se sont également émues de la violence de la répression. Confronté aux témoignages videos où on entend des propos tels que «T’as tellement de chance d’être assis là, maintenant qu’on t’a interpellé, je te jure, je te pétais les jambes, au sens propre… Je peux te dire qu’on en a cassé, des coudes et des gueules», Laurent Nunez a paru désemparé, se contentant de répéter que la dissolution des « Brav’M » n’était pas à l’ordre du jour. Des plaintes ont été déposées, notamment pour « violences à caractère sexuel », des jeunes filles ayant été soumises à des fouilles un peu « particulières ».

Nul ne sait aujourd’hui jusqu’où la colère des Français peut aller. Pour Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, seule une pause de la réforme et de nouvelles négociations peuvent permettre de sortir de l’impasse. Ce qui est arrivé en Israël peut peut-être servir d’exemple.

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