QATARGATE : ET SI LA VÉRITÉ ÉTAIT AILLEURS ?

Eva KAILI

Par Jean-Michel Brun

Dans une affaire de corruption, il y a trois acteurs : le corrupteur, le corrompu et la ou les victimes. Dans l‘affaire du Qatargate, qui a conduit à l’inculpation de la députée européenne Eva Kaili, le corrupteur serait donc le Qatar, qui aurait cherché à masquer ses atteintes au droits de l’homme lors de l’organisation de la coupe du monde en soudoyant des députés européens afin qu’ils tiennent des propos élogieux à son égard. La corrompue serait la députée européenne et ses complices. Enfin, les victimes seraient tout à la fois les travailleurs maltraités, les droits de l’homme, et bien sûr la respectabilité de l’institution européenne.

Les choses paraissent donc simples. Un peu trop simples peut-être…

Haro sur Doha

Dès l’attribution de la coupe du monde à Doha, le petit pays du Golfe n’a pas été épargné par la presse occidentale. Les commentateurs sportifs s’indignaient de voir cette nation « non-footballistique » entrer dans le Panthéon des organisateurs de la Coupe du Monde, oubliant qu’il y a proportionnellement beaucoup plus de footballeurs amateurs dans le Golfe que de pratiquants dans toute l’Europe. Les politiciens de tous bords l’accusèrent de maltraiter ses travailleurs, de participer au réchauffement climatique, de persécuter les personnes LGBTQIA+. Des appels au boycott furent lancés. En vain. Les spectateurs et téléspectateurs ont assisté en masse aux matches – 13 millions rien que pour la France – et l’organisation de la compétition fut un sans-faute. Une intolérable réussite pour les bien-pensants de la bonne société blanche européenne, que le président de la Fifa, Gianni Infantino, gifla d’une phrase assassine : « Ces leçons de morale, biaisées, sont juste de l’hypocrisie. Pour tout ce que nous, les Européens, avons fait pendant 3 000 ans, nous devrions nous excuser pendant les 3 000 prochaines années avant de commencer à donner des leçons de morale aux gens ».

Heureusement pour les champions du politiquement correct, l’affaire du parlement européen est arrivée. Évidemment, tout cela ne pouvait s’expliquer que par les sombres manœuvres de ces hommes du désert qui s’étaient enrichis sur notre dos en nous volant leurs ressources !

En réalité, face au vacarme assourdissant des accusations qui s’abattaient sur eux, les responsables qataris ont cherché à faire entendre leur voix, présenter leur vérité. Mais rien n’y a fait. Ni les communiqués, ni les invitations de journalistes et d’élus. La doxa ne pouvait être contredite.

Une étrange ONG

C’est là qu’intervient Fight Impunity, une ONG crée par en 2019 par Pier Antonio Panzeri, un ancien député européen pour « lutter contre l’impunité des violations graves des droits de l’homme ». Or, si l’ONG organisait effectivement des colloques et publiait des rapports, c’était en réalité pour camoufler son activité réelle : celle d’une agence de lobbying qui promettait à ses « clients » d’obtenir, moyennant finance, le soutien de députés européens. Afin de donner une apparence de respectabilité à l’organisation, Panzeri avait même convaincu l’ancien ministre Bernard Cazeneuve, le Prix Nobel de la paix Denis Mukwege et l’ancienne vice-présidente de la Commission européenne Federica Mogherini, de faire partie de son conseil d’administration d’honneur.

Pour Fight Impunity, le Qatar était une cible facile. Légitimé par le pedigree de ses soi-disant associés, Pier Antonio Panzeri n’a eu guère de difficulté à convaincre les qatariens qu’il était le bon interlocuteur pour transformer l’image du pays. Il s’est ainsi fait verser d’importantes sommes d’argent qui ont été redistribuées à ses complices dont la vice-présidente du parlement européen Eva Kaili, et son compagnon Francesco Giorgi, assistant parlementaire européen, et l’un des responsables de l’ONG. Tous ont été inculpés pour corruption. D’autres députés font également l’objet d’une investigation. La justice enquête également sur un éventuel réseau de corruption qui graviterait autour de l’organisation, en particulier l’ONG No Peace Without Justice, domiciliée à la même adresse , et dont le secrétaire général Niccolò Figà-Talamanca est également poursuivi. Ce sont au total 1,5 million d’euros en espèces qui ont été saisis par la police au cours d’une vingtaine de perquisitions.

Il semble pourtant que l’ONG, qui a reconnu avoir également le Maroc comme client, était depuis longtemps soupçonnée d’activités illégales. En violation de la loi belge, ses comptes n’étaient pas déclarés chaque année, et elle ne remplissait pas le registre obligatoire de transparence du Parlement Européen.

Les multiples « clients » de Fight Impunity ont-ils été trop naïfs en cédant aux avances de Fight Immunity , faisant d’eux, non les corrupteurs directs, mais en quelque sorte les victimes d’un système bien organisé ? Plusieurs affaires ont semé le doute sur la façon dont sont vérifiées les activités des députés. Des fonctionnaires du parlement ont par ailleurs, à plusieurs reprises, pointé du doigt l’absence de contrôle exercé sur les parlementaires dans la gestion de leurs affaires.

Pourquoi cette affaire sort-elle en ce moment, et qui en a dénoncé les auteurs ?

Plusieurs pays ont sans doute éprouvé une certaine satisfaction à la mise en cause du Qatar. Ses voisins émiratis notamment, qui intensifient leurs relations économiques et financières avec l’Union Européenne, et voient d’un assez mauvais œil l’arrivée de ce nouveau concurrent.
Le scandale, en éclaboussant l’ensemble de l’institution européenne n’a sûrement pas attristé la Russie, visée par des sanctions économiques depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, ni le Royaume-Uni, en difficulté économique depuis le Brexit. Il n’est pas impossible qu’ils aient contribué à révéler l’affaire.

En tous cas, l’Union Européenne a pris l’engagement de mettre en place des règles plus strictes en matière de lobbying. Toujours est-il que les corrupteurs ne sont forcément ceux qu’on croit.

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