… et bien plus qu’on ne l’imagine ici.
Confortablement installés dans sa naïve certitude d’être encore le centre du monde, la France a pris l’habitude de considérer de haut ces pays qu’elle voit aussi étranges qu’étrangers : ceux qui forment l’Asie centrale et le Caucase. C’est du moins la vision que cherche, semble-t-il, à nous imposer une presse aussi mal informée qu’oisive, puisque rares sont les journalistes qui prennent la peine de s’y rendre avant de signer leur papiers.
Tel est en particulier le cas de l’Ouzbekistan, le pays le plus peuplé d’Asie Centrale, où viennent de se tenir de nouvelles élections présidentielles, deux ans seulement après les précédentes. La raison : le vote par référendum en avril dernier d’une nouvelle constitution. Comme pour la précédente édition, le scrutin a été surveillé par environ 2 000 observateurs internationaux, invités par le gouvernement ouzbek à contrôler la régularité des opérations de vote. Une initiative qui mériterait peut-être d’être prise en exemple ailleurs. On se souvient des raisons qui furent invoquées pour justifier l’assaut du Capitole en 2021…
Les parlementaires français présents à cette occasion nous ont très vite fait part de leur consternation. Non pas à propos des élections elles-mêmes, qui se sont déroulées sans accroc particulier, mais en raison de la couverture médiatique française de l’événement. Les journaux ont en effet, avant et après le scrutin, reproduit fidèlement, et sans enquête plus approfondie, les dépêches de l’AFP qui réduisaient ce vote à la simple volonté du président sortant Chavkat Mirziyoyev, de prolonger la durée de son mandat.
Pour les observateurs, cette vision est l’expression d’une surprenante méconnaissance des réalités du terrain.
C’est d’abord ignorer, ou vouloir ignorer, les réformes fondamentales que contient la nouvelle constitution. Les droits de l’homme, en particulier avec la suppression de la peine de mort, les droits de la femme, la liberté de la presse, l’équité judiciaire, avec notamment la protection des avocats et le renforcement des droits des citoyens, la lutte contre la pauvreté, ont, par exemple, été constitutionnalisés.
Le texte constitutionnel a d’ailleurs été rédigé avec la contribution de l’ensemble des citoyens qui ont pu, pendant les mois précédant le referendum, donner leur avis, formuler des propositions à travers un site internet. Une institution était ensuite chargée de faire remonter ces contribution à un conseil de 47 membres chargé de rédiger le nouveau texte. Le site de consultation a d’ailleurs été maintenu, afin de permettre à chaque citoyen de s’exprimer tout au long de l’année sur tous les sujets concernant la vie de la nation et les institutions. Les violentes manifestations qui ont eu lieu en 2022 dans le Karakalpakstan contre un projet de réduire l’autonomie de cette région ont achevé de convaincre le président Mirziyoyev qu’il fallait en finir avec l’autorité absolue de l’État issue de l’époque soviétique et transférer au peuple plus de pouvoir de décision.
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Certes, le régime reste basé sur un pouvoir présidentiel fort, et le prolongement de 5 à 7 ans du mandat présidentiel a largement été commenté négativement dans la presse française. C’est oublier encore la tâche à accomplir, et en partie déjà accomplie, pour sortir définitivement de 100 ans de pouvoir soviétique, Le Général de Gaulle n’avait pas fait autrement dans la constitution de 1958.
Il convient aussi se souvenir que nous avons affaire à une très jeune république de seulement 30 ans. Après un pouvoir impitoyable du premier président Karimov, Chavkat Mirziyoyev a réussi, en 7 ans, à faire faire un véritable bond à son pays. Avec une croissance de 8%, l’Ouzbékistan possède la meilleure performance de la région. L’héritage le plus lourd de la période soviétique a probablement été le niveau de pauvreté qui atteignait 17% au début du mandat de Mizriyoyev. Grâce à une politique de subventions, de formation, et d’aide à l’emploi, ce taux est déjà tombé à 14%. Le récent programme électoral met d’ailleurs l’accent sur l’enseignement et la formation, sur lesquels l’État investit massivement.
Le fait que Mirziyoyev a jusqu’ici parfaitement tenu ses promesses, et les progrès spectaculaires obtenus, expliquent son score impressionnant aux élections – 87% – lequel s’assoit, chaque observateur présent a pu le constater librement, sur un véritable soutien populaire. Naturellement, ce chiffre a de quoi donner de l’urticaire à un pays dont le président a été élu avec seulement 20% de vote positif, c’est à dire venant d’électeurs approuvant son programme. De même le taux de participation de 79,88% a de quoi susciter notre jalousie, ou notre méfiance, car nous avons du mal admettre que d’autres soient meilleurs que nous en ce domaine.
Si l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) avait, à l’occasion des élections précédentes, dénoncé un « nombre important d’irrégularités de procédure », telle n’est pas la réalité observée notamment par les sénateurs français présents sur place. Les observateurs on simplement relevé que, dans quelques bureaux de vote, notamment dans les campagnes, l’identité des votants n’était pas toujours demandée, ce que les responsables expliquent par le fait que, dans les petits villages, tout le monde se connaît. Un sénateur LR nous faisait d’ailleurs remarquer que « cela se passe également aussi chez nous dans nos petites communes ».
Il est vrai que, depuis ces premières déclarations, l’OSCE a nuancé sa position. Présente lors d’une table ronde organisée l’an dernier avant le réferendum sur la constitution, son représentant, Hans-Ullrich Ihm notait que « la décision de procéder à des amendements constitutionnels par le biais d’un référendum national est la bonne, car elle reflète la volonté du peuple ouzbek », assurant que l’OSCE était prête à fournir tout le soutien nécessaire en ce sens.
Toujours est-il que cette défiance européenne est simplement contraire à nos propres intérêts. Surtout que ces pays de l’Asie centrale et du Caucase sont en train de se développer à une vitesse plus rapide que la nôtre. Rappelons que l’Ouzbékistan est le 4ème producteur mondial de coton, et dispose d’importantes richesses minières (gaz naturel, uranium, cuivre, pétrole).
Stratégiquement, l’Ouzbékistan, est un pays clé dans la région. Le seul à avoir une frontière commune avec les quatre autres états d’Asie centrale : Turkménistan, Kazakhstan, Tadjikistan et Kirghizistan. Il partage aussi une frontière avec l’Afghanistan.
L’attitude de « donneurs de leçon » de certains pays européens, dont la France, qui a mis plusieurs siècles à se construire une démocratie, aujourd’hui d’ailleurs dangereusement fragilisée, à l’égard de pays tout juste centenaires, la condescendance qu’ils manifestent vis à vis de ces nations émergentes sont véritablement atterrantes. Toutefois, le rapprochement, notamment culturel, entre l’Ouzbékistan et l’Europe – deux magnifiques exposition sur le patrimoine Ouzbek viennent de s’achever à Paris, au Louvre, et à l’Institut du monde arabe – est certainement de nature à faire évoluer notre vision de ce pays
Jean-Michel Brun
Dans le contexte de l’adoption par referendum, en décembre 2022, d’une nouvelle constitution et d’une nouvelle élection présidentielle le 9 juillet 2023, musulmansenfrance.fr vous propose une série d’articles sur l’Ouzbékistan.