L’OUZBEKISTAN S’OFFRE UNE NOUVELLE CONSTITUTION

« Nous, peuple uni d’Ouzbékistan : déclarons solennellement notre adhésion aux droits de l’homme et aux libertés, aux valeurs nationales et universelles, aux principes de la souveraineté de l’État, affirmant notre attachement aux idéaux de démocratie, de liberté et d’égalité, de justice sociale et de solidarité, conscients de notre responsabilité ultime aux générations présentes et futures pour construire un État démocratique humain, une société ouverte et juste dans laquelle la personne, la vie humaine, la liberté, l’honneur et la dignité sont la valeur la plus élevée, en s’appuyant sur plus de trois millénaires d’expérience historique dans le développement de notre État, ainsi que l’héritage scientifique, culturel et spirituel des grands ancêtres qui ont apporté une contribution inestimable à la civilisation mondiale, étant déterminé à multiplier et à protéger pour les générations présentes et futures le précieux richesses naturelles du pays et de préserver un environnement sain, sur la base des normes généralement acceptées du droit international, s’efforçant de renforcer et de développer les relations amicales de l’Ouzbékistan avec la communauté mondiale, principalement avec les États voisins sur la base de la coopération, du soutien mutuel, de la paix et de l’harmonie, visant à assurer une vie décente pour citoyens, harmonie interethnique et interreligieuse, bien-être et prospérité de la multinationale natale de l’Ouzbékistan, adopte et proclame la présente Constitution de la République d’Ouzbékistan ».

Tel se présente le préambule de la nouvelle constitution sur laquelle, le 30 avril 2023, les citoyens ouzbeks étaient appelés à se prononcer par referendum.

Le score de 90,21% et la participation de 84,5%, de même que les 87 % obtenus par le vainqueur de l’élection présidentielle avec un taux de participation de près de 80% ont de quoi donner le vertige et, naturellement, susciter le scepticisme des pays habitués à une participation électorale de moins de 66%, et un score de moins de 56%, dont une majeure partie est constitué de votes de refus.

Pourquoi une nouvelle constitution ?

Sherzod Zulfigorov

Pour Sherzod Zulfigorov, docteur en droit et politologue, depuis que la constitution précédente a été promulguée le 8 décembre 1992, les temps ont changé. Et si la constitution ne reflète plus la réalité du moment, alors, elle ne joue plus son rôle, et doit être changée « pour le peuple et par le peuple. »

Ainsi que le note M. Zulfigorov, la précédente constitution a été modifié 16 fois en 30 ans. Il s’agissait de réformes concernant les institutions et le fonctionnement de l’État. « Cette fois, on a décidé de réécrire totalement la constitution et d’y introduire des thèmes concernant la vie des citoyens. . Il ne s’agit plus de s’occuper seulement de l’État, mais aussi et surtout du peuple » Cette volonté de placer l’État au service du peuple, et non plus le contraire comme ce fut le cas pendant les années soviétiques, s’est manifestée par la volonté de la soumettre au vote des citoyens eux-mêmes par voie de référendum, alors que la première constitution avait été votée par le parlement. « Il s’agit d’une démarche historique pour nous », souligne le politologue, « puisque c’est la première fois que les citoyens choisissent la constitution. On ne doit toutefois pas la voir réellement comme une nouvelle constitution. On continue d’ailleurs de fêter le 8 décembre comme l’avènement de la constitution de l’Ouzbékistan. Il s’agit en fait d’une nouvelle rédaction, mais avec 65% du texte original modifié. »

La précédente version comportait 275 paragraphes. Celle-ci en possède 434. Les 159 nouveaux paragraphes sont répartis en 27 nouveaux articles, qui concernent majoritairement les droits et les libertés des citoyens. Trois fois plus que dans la version précédente. L’article premier déclare notamment que « l’Ouzbékistan est un État souverain démocratique, légal, social et laïc doté d’un gouvernement de forme républicaine ». L’article 2 précise : « L’État exprime la volonté du peuple et sert ses intérêts. Les organes de l’État et les fonctionnaires sont responsables devant la société et les citoyens. »

C’est précisément ce qui fait la différence majeure avec l’ancien texte. Cette constitution, insiste Sherzod Zulfigorov, « a été écrite sur la base des souhaits des citoyens. Tous les citoyens de plus de 18 ans, et ayant le droit de vote, étaient admis à faire des propositions. Plus de 220 000 personnes ont participé à une consultation qui pouvait se faire à travers un site internet, par courrier, ou par téléphone grâce à un centre d’appels Cette consultation a eu lieu entre mai et juin 2022. Les propositions ont été examinées par une commission de 47 personnes chargées de rédiger le texte final. De Juin à juillet 2022, les ouzbeks ont été ensuite appelés à se prononcer, par le même moyen, sur l’opportunité ou non de changer la constitution par referendum. Pendant cette période, plus de 150 000 personnes ont continué à émettre de nouvelles propositions, dont la commission a tenu compte ».

Les libertés individuelles, la liberté de la presse et l’indépendance du système judiciaire au coeur du nouveau texte

M. Zulfigorov remarque que « La première constitution traitait en priorité de l’État, puis de la société, et enfin du peuple. La constitution de 2023 inverse les priorités : d’abord les citoyens, ensuite la société en général, et en dernier lieu l’État. »

L’article 20 affirme que « Les droits et libertés de l’homme sont directement applicables. Les droits et libertés de l’homme déterminent l’essence et le contenu des lois, les activités des organes de l’État et des collectivités locales et de leurs fonctionnaires. » Conséquence naturelle de ce principe est l’interdiction de la peine de mort, inscrite à l’article 25.

Un nouveau chapitre est consacré aux droits de la défense et la protection des avocats, en particulier avec la création d’un barreau, qui n’existait pas jusqu’ici. Le fait d’introduire le droit de la défense dans la constitution montre l’importance qui est accordée à l’indépendance de la justice. Il ne sera plus possible non plus désormais de procéder à des saisies sans l’accord du juge. L’article 11 consacre en effet «  la séparation des pouvoirs entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire ». Sur ces thèmes, la constitution de l’Ouzbékistan se rapproche des constitutions de pays occidentaux, la France notamment, sauf que la liberté de conscience, que certains projettent en France de limiter au nom de la laïcité, est ici explicitement protégée : « La liberté de conscience est garantie à tous. Chacun a le droit de professer ou ne professer aucune religion. » (Article 35)

L’égalité des chances inscrite dans la constitution

D’après l’article 50, chacun de le droit de faire des études. En conséquence, l’État donne plus de bourses, d’aides pour permettre à chaque jeune d’entrer à l’université. L’article 43 oblige l’État à prendre les mesures nécessaires pour lutter contre le chômage, assurer la formation professionnelle. L’article 47 consacre le droit au logement. En conséquence, l’État va commencer par doubler la construction de logements sociaux.

L’article 48 affirme le le droit à la santé et à l’assurance maladie pour tous. L’Etat a d’ailleurs commencé à développer une assurance médicale universelle, décidé de l’augmentation des d’établissements hospitaliers, tout en encourageant la création d’établissements de soins privés. Un chapitre entier est consacré aux droits des personnes en situation de handicap, un autre aux droits de la jeunesse et de l’enfance, un autre enfin à l’égalité hommes-femmes.

Le droit syndical, la liberté d’association, la protection des ONG, l’interdiction faite à l’État de s’immiscer dans les organisations religieuses sont également au menu de la nouvelle constitution, ainsi que la liberté de la presse.

Il est intéressant de noter que certaines règles qui auraient pu être du ressort du législatif sont désormais inscrites dans la constitution, ce qui leur confère une force juridique beaucoup plus forte.

Le passage de 5 à 7 ans du mandat présidentiel

Pourtant, ces mesures, capitales pour la vie quotidienne des ouzbeks, sont pratiquement passées sous silence par une partie de la presse occidentale, et notamment française, au profit de l’allongement du mandat présidentiel, et du fait que la constitution remet les compteurs à zéros, permettant à Chavkat Mirziyoyev, de rester un peu plus longtemps au pouvoir.

Ce qui paraît tant nous choquer ici ne semble guère émouvoir l’Ouzbek de la rue. Pour Sherzod Zulfigorov, l’explication est simple : « Nous nous sommes alignés sur d’autres pays, comme ceux d’Asie Centrale ou du Caucase, qui ont la même problématique que nous : ce sont des pays neufs qu’il faut reconstruire après l’indépendance, et cela demande à la fois du temps et une continuité dans la direction de l’Etat. La seule condition étant que les citoyens ousbeks acceptent cette réforme. »

C’est, nous rappellent les autorités ouzbèkes, la durée de mandat qu’avait choisie le Général de Gaulle lorsqu’il avait fallu reconstruire la France au début des années 50. C’est seulement par la suite, en 2000, que Jacques Chirac fit passer le mandat présidentiel du septennat au quinquennat.

Lire aussi : « L’Ouzbékistan, parce qu’il le vaut bien »

Dans le même temps, les pouvoirs du parlement son renforcés, ainsi que le pouvoir judiciaire qui contrôle désormais les ministres et le budget, Le juge peut aussi avoir un contrôle sur l’utilisation du budget de l’Etat. Par ailleurs, le président de la République ne peut édicter de décret qui soit en contradiction avec la constitution qui est la loi qui prévaut sur toutes les autres. On est donc bien loin d’une « dictature », comme semblent l’insinuer les medias français, ce qui a d’ailleurs choqué profondément les parlementaires français présents au moment de l’élection présidentielle, lesquels nous ont dit mesurer aujourd’hui le fossé qui sépare la vision que nous avons de la politique régionale des réalités du terrain. Reste à savoir s’il sauront en convaincre leurs collègues.

Cette perception est toutefois susceptible d’évoluer grâce aux nombreux rapprochements qui se font actuellement entre la France et l’Ouzbékistan. On a déjà évoqué les récentes expositions parisiennes sur les trésors de Samarkande, Boukhara et Khiva, on peut aussi parler de l’intensification des échanges étudiants, que ce soit à travers l’Alliance Française ou Erasmus +. Le tourisme est également appelé à se développer fortement dans les prochaines années.

Jean-Michel Brun

Dans le contexte de l’adoption par referendum, en décembre 2022, d’une nouvelle constitution et d’une nouvelle élection présidentielle le 9 juillet 2023, musulmansenfrance.fr vous propose une série d’articles sur l’Ouzbékistan.

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