MARIANNE : « CE QUI SE DIT VRAIMENT DANS NOS MOSQUÉES » : AUTOPSIE D’UNE ESCROQUERIE JOURNALISTIQUE

Mosquée Othmane - Villeurbanne

Ce « vraiment » en gros caractères laissait à penser que Marianne allait nous offrir des révélations de première main, dévoilées à l’issue d’un travail journalistique consciencieux, à partir d’informations vérifiées et recoupées. Car le sujet est particulièrement sensible, surtout à quelques jours des élections européennes où l’immigration et l’islam se sont hissés en tête des débats, et où la France Insoumise a inscrit dans son programme la reconnaissance de l’État palestinien et la lutte contre l’islamophobie.

Helas, cet article ne fit que reproduire, sans en contrôler la véracité, les bonnes feuilles d’un livre écrit par un mystérieux Etienne Delarcher, un pseudonyme sous lequel se cacherait un soi-disant journaliste indépendant, souhaitant conserver l’anonymat,« pour éviter les représailles ». Comme c’est bien pratique ! 


Étonnant que Marianne se soit laissé prendre au piège, car aucun journaliste digne de se nom dissimulerait son identité pour éviter de prendre des risques. Ceux-ci faisant partie de l’ADN même du journalisme. L’article 17 du code établi par le Conseil de Déontologie Journalistique prévoit d’ailleurs que : « Les journalistes recourent à des méthodes loyales afin de recueillir et de traiter les informations, les photos, les images et les documents. Sont notamment considérées comme méthodes déloyales la commission d’infractions pénales, la dissimulation de sa qualité de journaliste, la tromperie sur le but de son intervention, l’usage d’une fausse identité, l’enregistrement clandestin, la provocation, le chantage, le harcèlement, la rémunération des sources d’information… » .

Étonnant… ou pas !

Aujourd’hui, écrire une compilation des prêches réellement prononcés dans les mosquées ne serait guère vendeur. En revanche, affirmer que les imams, tapis à l’ombre de leurs minbars, distilleraient des discours dangereux, c’est le succès de librairie assuré. Il suffit d’ailleurs de taper le nom du livre sur les moteurs de recherche pour s’en convaincre.

L’énigmatique Delarcher aurait donc, comme l’indique le sous-titre de son livre «  « Au coeur de l’islam de France », effectué « trois ans d’infiltration dans 70 mosquées ». Une aubaine pour des magazines comme Marianne qui, comme le souligne le sociologue Philippe Corcuff, s’inscrit dans un groupe de médias qui stigmatisent les « musulmans ».

Pourquoi alors chercher à vérifier les informations délivrées par le livre, puisqu’elles vont si bien dans le sens des objectifs idéologiques et commerciaux du journal ?

L’auteur affirme s’être fait passer pour un converti pour approcher les imams. Ficelle un peu grosse car il ne faut pas plus de quelques secondes à un imam pour savoir si son interlocuteur est musulman ou non. Ensuite, les propos que rapporte Marianne sont tellement délirants qu’on est en droit de se demander si le « journaliste » a réellement rencontré les gens qu’il prétend.

Et justement, l’imam de la mosquée Othmane de Villeurbanne dont il est question dans le livre, et dans l’article, nous le connaissons bien. Azzedine Gaci n’est pas n’importe qui. C’est un homme cultivé, fin connaisseur des textes, universitaire, et on le voit mal accepter que, dans sa mosquée, un imam justifie le fait de frapper sa femme, ou de l’interdire de sortir sans l’autorisation de son mari ! D’ailleurs, dans son fameux livre « Ce que dit vraiment le Coran » dont le titre a peut-être inspiré « Etienne Delarcher », Abou Nahla Al Ajami explique pourquoi le verset incriminé ne parle pas de « frapper », mais de « s’éloigner », ce que tout imam sait parfaitement. Par ailleurs, toutes ces questions que se posent les musulmans comme les non musulmans sur des versets qui méritent une explications sont régulièrement traitées dans les prêches, lesquels, notamment ceux de la mosquées Othmane, sont diffusés en direct sur Youtube. Pas besoin donc de « s’infiltrer » pour en prendre connaissance.

Azzedine Gaci s’est donc exprimé sur cette affaire. Il rappelle d’abord les faits. Le « journaliste », équipé d’un « caméra cachée », se serait présenté à l’imam présent ce jour là, en expliquant que, nouveau converti, il souhaitait des éclaircissements sur certains points.

Azzedine Gaci étant absent le jour où le « journaliste » serait venu, celui-ci parle d’un imam « noir ». Or il n’y en a pas dans cette mosquée. Le seul qui pourrait à la rigueur correspondre au portrait est un imam comorien qui n’a jamais rencontré le journaliste en question. D’ailleurs, l’aurait-il rencontré, il n’aurait jamais tenu de tels propos. Enfin la description du « bureau » où se serait déroulé la rencontre ne correspond à aucun lieu de la mosquée.
Il est donc plus que probable qu’Etienne Delarcher n’a jamais mis les pieds dans la mosquée de Villeurbanne, ou au moins n’a jamais rencontré l’imam qu’il évoque.

« Quel message veulent faire passer les medias et l’auteur de ce livre ? Que l’islam est incompatible avec les lois de la République. Que l’islam est violent, qu’il ne respecte pas les femmes » souligne Azzedine Gaci.
« Le deuxième message est le double discours : à l’extérieur, Monsieur Gaci est un homme honorable, un scientifique, professeur des universités, qui s’entend bien avec les autorités, mais voilà en réalité ce qui se dit dans sa mosquée. Il y a un discours pour l’extérieur et un discours à l’intérieur, réservé aux musulmans, entre eux. Il y a une façade, réservée aux non-musulmans, et de l’autre côté l’horreur destinée aux musulmans. Alors que tous nos prêches sont diffusés en direct et accessibles à tous. »
Enfin, le message le plus pernicieux, envoyé par ces medias ou auteurs islamophobes, c’est, insiste Azzedine Gaci, la suspicion. « Un musulman est toujours suspect, même si tu as un Bac +12, même si tu es universitaire, même si tu es chercheur, tu es suspect parce que tu es musulman ».

La mosquée envisage une poursuite judiciaire contre « Etienne Delarcher ». Il l devra alors produire ses supposés enregistrements. Il ne pourra pas invoquer le secrets des sources dans la mesure où il affirme être lui-même l’auteur de l’enquête.

On ne peut que s’indigner devant des méthodes qui relèvent de la propagande la plus grossière. Le problème est que, même infirmés par les faits, les écrits restent, la suspicion persiste.« Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose » lançait Francis Bacon dans son « Essai sur l’athéisme ».

Triste époque où des journaux se font les complices de la désinformation. Zola et Albert Londres doivent se retourner dans leurs tombes.

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