MACRON ET L’ALGÉRIE : LA FRANCE PLAIDE NON-COUPABLE

Le Point de cette semaine a réussi un scoop : un long entretien du Président Macron avec l’un de ses éditorialiste, l’écrivain Kamel Daoud, auteur, notamment de « Meursault contre-enquête », un roman voulu comme une suite de « L’étranger » d’Albert Camus.

Dans ce long article, Kamel Daoud revient sur le voyage en Algérie, à Oran plus précisément, d’Emmanuel Macron où celui-ci avait invité quelques intellectuels qui, par leurs prises de position politique ou leur fonction n’étaient pas en mesure de contester la politique « mémorielle » de la France.

On rappelle que ce voyage a avait, entre autres, pour objectif d’effacer la désastreuse impression laissée en Algérie par les déclarations d’Emmanuel Macron qualifiant, dans le jour,al Le Monde, le régime algérien de « politico-militaire » et l’accusant d’entretenir « une rente mémorielle » pour maintenir sa légitimité. Les deux pays avaient alors été au bord de la rupture diplomatique.

Jusque là guidé par Bruno Roger-Petit, « conseiller mémoire » de l’Élysée, assez peu, c’est le moins que l’on puisse dire, arabophile, et qui s’était employé à ruiner toute tentative de rapprochement culturel entre les deux pays, Emmanuel Macron avait demandé à l’historie, Benjamin Stora de rédiger un rapport, assez diversement reçu, sur cette fameuse question mémorielle.

C’est autour de Benjamin Stora que se sont donc pressées des personnalités comme Jack Lang, Jean-Pierre Chevènement, Ghaleb Bencheikh, qui représentait la communauté musulmane française, en remplacement du recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, qui n’avait pas été agréé par les autorités algériennes, de crainte sans doute que sa présence ne soit perçue comme une caution de la communauté musulmane aux positions du gouvernement français. Le grand rabbin de France, Haïm Korsia, dont la présence annoncée avait soulevé quelques réactions hostiles avait préféré annuler sa visite au dernier moment, en raison d’un test opportun au Covid-19.

Le choix de s’entretenir avec Kamel Daoud n’est pas le fruit du hasard. Le prix Goncourt 2015 du premier roman a en effet toujours soutenu les thèses du pouvoir politique français à l’égard de « l’islamisme » et a soutenu la publication des caricatures de Charlie Hebdo.

La chèvre et le chou

Au cours de cet entretien, Emmanuel Macron a confié à Kamel Daoud sa perception des relations franco-algérienne et de la guerre d’Algérie.

D’entrée, le Président français fait part de son hésitation à se positionner sur la question algérienne : « Prendre la parole sur l’Algérie est potentiellement péril­leux […] parce que c’est un sujet intime pour chacun. […] Et que parler de l’Algérie c’est à la fois parler à la France et parler de son histoire, parler aux Fran­çais qui ont été militaires ou appelés du contingent, parler à celles et ceux qui sont issus de l’immigra­tion algérienne, parler aux binationaux, aux har­kis, aux rapatriés et à leurs enfants et parler à l’Algérie d’aujourd’hui. Autant de mémoires qui ne sont pas synchronisées. »

On a du mal à comprendre en quoi il est difficile de reconnaître que la France a, pendant 130 ans, placé sous son joug un pays situé au-delà de la Méditerranée, s’est rendu coupable de discriminations, de tortures et d’exécutions sommaires, d’atrocités comme les enfumades de Sbehas et Dahra, sinon pour ne pas froisser les nostalgiques du colonialisme et les afficionados du suprémacisme blanc. A moins d’attribuer cette hésitation à une sorte de pleutrerie institutionnelle, liée à l’effroi de devoir assumer l’inqualifiable. « Ce n’est pas au président de la Répu­blique de prétendre au bilan du colonialisme, par ailleurs déjà largement fait, mais cela participe justement de cette manière dont cha­cun joue cette symphonie, interprète l’Histoire, les faits, les récits. »

Une symphonie, les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata ? Et qu’y a t-il à interpréter dans les tortures préalables à la décolonisation ? Dans la communauté des Français d’origine algérienne, ces paroles sonnent comme un déni de la souffrance vécue par leurs parents, et dont ils portent encore aujourd’hui les stigmates. Un déni dans lequel le chef de l’État français persiste et signe : « Ce qui me frappe, y compris chez les générations qui n’ont jamais vécu le fait colonial, qui sont originaires de pays où la décolonisation s’est faite presque sans conflits, c’est que la guerre d’Algérie constitue une référence du traumatisme. »

C’est oublier que le traumatisme de la colonisation remonte à beaucoup plus loin : de la trahison des Français à l’égard de l’Émir Abdel Kader aux exactions de Bugeaud.

« Je me souviens par exemple » reprend Emmanuel Macron, « que, pendant la campagne présidentielle en 2017, lors d’un rassemblement à Toulon, après mon re­tour d’Algérie et mes déclarations sur la colonisa­tion, la violence des militants d’extrême droite mais aussi de plusieurs personnes montrait combien ce sujet touche à une intimité qui fait mal maintenant, qui n’est pas seulement de l’ ordre de la mémoire ou de l’Histoire mais du vécu présent. […] Certes, il y a une volonté d’avan­cer de la part des Algériens et du pré­sident Tebboune, mais cette volonté algérienne, parallèle à ce qui s’ac­complit en France, suit son propre chemin et son propre rythme. « 

En d’autres termes, le candidat a le droit d’être courageux, et reconnaître les crimes de l’armée française, mais le Président se doit de ne froisser personne et de ménager la chèvre et le chou. Sauf qu’il est rare que le chou mange la chèvre…

Une stratégie d’évitement

Finalement, loin d’exprimer la volonté d’exposer les faits, clairement et sans tabou, le projet d’Emmanuel Macron relève d’une stratégie d’évitement.

« Lors de mon voyage en Algérie, cet été, j’ai évoqué, lors d’un discours à l’ambassade française, une histoire d’amour entre l’Algérie et la France. Pas entre colonisés et coloni­sateurs, comme certains ont voulu le comprendre pour relancer de vieilles et blessantes polémiques. […] D’où l’extrême prudence que j’ai à vous ré­pondre. A chaque mot, on serait suspecté d’être d’un côté ou de l’autre.  » plaide le Président français, en évitant soigneusement de reconnaître qu’il ne s’agit pas, pour que la vérité soit dite, de considérer qu’il s’agit de deux camps qui s’affrontent, avec des vécus différents. Il s’agit simplement d’exposer les faits, et les faits ne relèvent pas de la perception. Ils sont les faits. L’asservissement d’un peuple, le droit de vie et de mort exercé sur lui, le pillage des ressources, il n’est d’autres faits que ceux-là.

Mais Emmanuel Macron tient à entretenir l’idée que les événements liés à la colonisation souffriraient d’une ambiguïté narrative : « Je crois beaucoup à l’idée d’une com­mission d’historiens, à un travail d’histoire et d’his­toriographie commun, partagé, car il faut quand même des faits, de l’objectivité sur ce passé. Le ré­cit scientifique qui en sortira peut servir de réfé­rence et conjurer les fantasmes. Ce rapport à la vérité va libérer des récits, des imaginaires, de l’ap­propriation, car je pense qu’il y a un immense po­tentiel narratif dans la relation. Ces histoires, entre la France et l’Algérie, ne se sont pas conjuguées avec les mêmes verbes, ne se sont pas écrites ensemble depuis 1962. Et la ques­tion est de savoir comment provoquer du récit commun et comment encourager son appropria­tion par les nouvelles générations. »

Créer une commission… « Quand on veut enterrer un problème, on crée une commission » persiflait Georges Clémenceau… Sauf qu’ici l’idée est de construire un récit qui, à défaut de refléter la réalité, serait tout du moins « acceptable ».

« Je ne demande pas pardon à l’Algérie« 

« Je n’ai pas à demander pardon » se défend ensuite Emmanuel Macron, « ce n’est pas le sujet, le mot romprait tous les liens. Je ne demande pas pardon à l’Algérie et j’explique pourquoi. Le seul pardon collectif que j’ai demandé, c’est aux harkis. Parce qu’une parole avait été donnée par la République qu’elle avait trahie plusieurs fois. Celle de les protéger, de les accueillir. Là, oui. J’ai demandé pardon… »

Ce refus de la contrition a une double origine : d’une part la crainte d’avoir à régler d’éventuelles compensations financières, et d’autre part la volonté de ne pas froisser l’électorat et les élus de droite français sur lequel Macron cherche toujours à s’appuyer. On se souvient de la réaction de l’extrême droite à la visite d’Oran qui avait accusé le Président de s’être « fait humilier » par les Algériens.

C’est encore la politique interne qui guide le reste de l’entretien, où le Président français aborde pêle-même le voile, l’islamisme, le « séparatisme », et la francophonie, dans un Gloubi-boulga indigeste où on devine la patte de ses conseillers bureaucrates si éloignés des réalités de ce monde.


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