L’OUZBÉKISTAN, UN GRAND CARREFOUR DES CULTURES ET DES SAVOIRS

Khiva
Karim Ifrak

Par Karim Ifrak
Docteur de l’École Pratique des Hautes Études (EPHE), Karim IFRAK est islamologue. Chercheur au CNRS, il est spécialiste de l’histoire des Textes et des idéologies contemporaines. Comptant à son actif plusieurs contributions écrites, il est l’auteur de : « Faut-il réformer l’islam ? Quelques clés de lecture», éd. Bouraq, Paris, 2017. « Liberté, Égalité, Fraternité : Valeurs Spirituelles, valeurs Républicaines », (préfacé par le Premier Ministre M. Édouard PHILIPPE), Olivétan, Lyon, 2018.  « Ibn Achour, sa vie, son œuvre et sa pensée », aux éditions de l’IMA, 2020. Actuellement, il travaille à la sortie de son prochain livre : Le Prophète de l’islam. Cinq siècles dans le regard des plus grands penseurs occidentaux.

Pays d’Asie centrale de 34,5 millions d’habitants, la République d’Ouzbékistan est un des pays les plus emblématiques du monde musulman. Frontalière avec le Turkménistan au Sud-ouest, le Kazakhstan, l’Afghanistan et la mer d’Aral au Nord, le Tadjikistan et le Kirghizistan à l’Est, cette jeune république n’a eu de cesse de capitaliser, depuis son indépendance en 1991, les adhésions au sein des grandes instances gouvernementales internationales. En quelque temps seulement, elle est devenue membre de l’ONU, de l’OSCE, de l’UNESCO et de l’OMS. Et sous cette même logique, elle est devenue membre de la Communauté des États Indépendants (regroupe 12 des 15 anciennes républiques soviétiques), de même que membre fondateur de l’Organisation de Coopération de Shanghai. De nos jours, 165 États ont officiellement reconnu l’Ouzbékistan et 136 d’entre eux ont établi des rapports diplomatiques avec sa capitale Tachkent.

Cependant, si cette grande nation entend tirer pleinement profit de la modernité, il n’empêche qu’elle demeure un des pays du monde musulman à avoir le plus collaboré à la rédaction d’une bonne partie de son histoire. Idéalement situé à la croisée des chemins entre la Chine, l’Inde, la Perse et l’empire Byzantin, l’Ouzbékistan ne pouvait échapper, naturellement ou presque, aux convoitises des grands puissances environnantes. Tour à tour, il fut occupé par Alexandre le Grand (m. -323), le calife Omeyyade Abd Al-Malik ibn Marwān (m. 705), Gengis Khan (m. 1227), avant que Tamerlan (m. 1405), cet enfant du pays, ne fasse de lui le cœur de son puissant empire. De nos jours encore, il suffit de prononcer les noms de Samarcande, Boukhara, Khwarezm (actuelle Khiva) ou Termez pour faire voyager l’esprit à travers mille et une vie. Sa capitale, Tachkent, célèbre pour abriter un des plus anciens Corans manuscrits connus : le Muṣḥaf du calife Ottman (m. 652), en est une preuve matérielle éclatante.

SAMARCANDE, UNE VILLE CARREFOUR DES CULTURES

Samarcande

Samarcande, cette autre ville mythique, célèbre pour avoir été, depuis des millénaires, un carrefour de la route de la soie reliant la Chine à l’Europe, a connu bien des voyageurs de renom, Marco Polo (m. 1324) et Ibn Battuta (m. 1368) en tête. Ce dernier, après y avoir séjourné vers 1335, consigna ce précieux témoignage dans son célèbre récit de voyage.

« Je me dirigeai vers la ville de Samarcande, une des plus grandes, des plus belles et des plus magnifiques cités au monde. Elle est bâtie sur le bord d’une rivière nommée rivière des Foulons, et est couverte de machines hydrauliques qui arrosent des jardins. Ils y ont des estrades et des sièges pour s’asseoir et des boutiques où l’on vend des fruits et d’autres aliments. Il y avait aussi, sur le bord du fleuve, des palais considérables et des monuments qui annonçaient l’élévation de l’esprit des habitants de Samarcande. Les habitants de Samarcande possèdent des qualités généreuses et ont de l’amitié pour les étrangers. ».

Riche en monuments historiques, cette ville une des plus anciennes villes habitées d’Asie centrale a été proclamée, en 2001, par l’Unesco, carrefour de cultures et site du patrimoine mondial, avant de célébrer, un peu plus tard (2007), son 2750e anniversaire. Or, si Samarcande est réputée, notamment, pour son bleu de Samarcande, elle l’est tout autant pour son célèbre papier qui porta, pendant, des siècles son nom. Support indispensable pour la fixation de l’écrit, le papier de Samarcande, en plus de révolutionner les modes de transmission du savoir, allait faire de cette ville, une des plus connues au monde. Un secret jalousement bien gardé que les Abbasides, victorieux à la bataille de Talas (751), arrachèrent à deux papetiers Hans faits prisonniers. Fondant alors la toute première papeterie de l’empire musulman, Samarcande diffusa son précieux support dans le monde islamique, avant qu’il ne gagne l’Europe par l’Andalousie.

BOUKHARA, UNE VILLE CARREFOUR DES SCIENCES ET DES SPIRITUALITÉS

Si l’Ouzbékistan a collaboré à révolutionner les modes de transmission du savoir, il le fut également en tant qu’acteur de développement des sciences islamiques, encore en cours de nos jours. Que ce soit la haditologie, la théologie, la philosophie, les mathématiques, la médecine, la pharmacologie ou la mystique, la pensée islamique doit beaucoup à ce pays du Grand Khorasan.

Boukhara – Photo Jean-Pierre Dalbéra

Que ce soit Boukhara ou Termez, ces deux villes mythiques ont donné naissance à deux traditionnistes qui collaborèrent à révolutionner les sciences du hadith. Réputés pour leurs inégalés recueils de hadiths, les Imams Boukhari (m. 870) et Termiziy (m. 892), portant tous deux les noms de leurs villes de naissance, sont deux figures que l’on ne présente plus. Leurs deux recueils forment une bonne partie de la base de la Tradition Prophétique, considérée en islam comme le second texte fondateur, juste après le Coran. Cependant, si le nom de Boukhara est extrêmement galvaudé au sein du monde musulman eu égard à son grand traditionniste, il l’est tout autant pour être le foyer originel de la confrérie soufie la plus ancienne au monde : la Naqshbandiya. Fondée dans la région de Boukhara en 1111 par le maître soufi Abu Yaâqub Yusuf al-Hamadâni (m. 1140), elle rayonnera d’abord en Asie Centrale, avant de gagner, progressivement, le sous-continent indien et la Turquie. De nos jours, à la faveur de ces centres nombreux, le rayonnement de cette Tarîqa, bientôt millénaire, s’étend sur plusieurs pays du Moyen-Orient, d’Asie du Sud-Est et d’Afrique du Nord et du Sud. Mais également, en Europe, en Amérique du Nord et du Sud, en Australie et en Nouvelle-Zélande, de même qu’en Russie et dans plusieurs régions de Chine.

Avicenne en consultation

Haut foyer de la spiritualité islamique, Boukhara l’est tout autant à travers d’autres disciplines scientifiques qu’un certain Ibn Sinâ (m. 1037) s’emploiera à développer comme jamais personne avant lui. De son nom latinisé « Avicenne », le « Cheikh al-Raïs », est incontestablement l’un de ses enfants les plus connus. Sommité intellectuelle du monde médiéval, ce polymathe rarement égalé, compte au nombre des esprits les plus remarquables du monde musulman. À l’âge de dix ans, celui que l’Europe surnomme princeps medicorum (prince des médecins), avait fini de mémoriser le Coran, maîtrisé l’arithmétique, la géométrie, et la logique. À 16 ans, brillamment reçu en tant que médecin à l’école de Djundaysabur, il sera admis, un an plus tard, comme professeur au sein de l’hôpital de Boukhara. Auteur prolifique, Ibn Sinâ a commis quelque 450 travaux en médecine, philosophie, théologie, astronomie, psychologie, logique, mathématiques, physiques, géographie, géologie, alchimie et poésie. En Europe, sa renommée sera totalement acquise après la traduction, en latin, de son ouvrage Le Canon par Gérard de Crémone (m. 1187). Une référence mondiale qui fera partie du programme classique des étudiants en médecine jusqu’à la fin du XVIIe. Jusqu’à nos jours, l’esprit scientifique exceptionnel de ce savant hors pair, continue de fasciner et d’inspirer les plus grands penseurs de notre temps.

KHWAREZM, UNE VILLE CARREFOUR DES MATHÉMATIQUES

Al-Khuwarizmi

Ville mythique parmi tant d’autre en Ouzbékistan, Khwarezm (actuelle Khiva) l’est surtout pour avoir donné naissance à l’un des esprits mathématiques les plus brillants du monde. De son nom complet Mohammad Ibn Moussa al-Khuwārizmi ((m. 850), il est incontestablement le père des mathématiques modernes. Auteur de L’Abrégé du calcul par la restauration et la comparaison, ouvrage exceptionnellement innovateur, al-Khuwārizmi y aborde la toute première symphonie des variables mathématiques. Avec une logique jusque-là inconnue, il y pose, durablement, les premiers fondements modernes de l’algèbre, avec une méthodologie révolutionnaire pour la résolution des équations linéaires et quadratiques. Auteur prolifique, cet Ouzbek mondialement connu et reconnu, a commis plusieurs autres livres de référence en algèbre, trigonométrie, mécanique, astronomie, géographie, cartographie et bien d’autres sciences dures encore. Au cours du XIIe s., les traductions latines de ses nombreuses œuvres permettront à l’Occident d’accéder à de nombreuses et précieuses connaissances, notamment, à la représentation décimale des nombres. Et si jusque-là, vous ne l’avez pas reconnu, alors sachez qu’il est le modeste inventeur du zéro. Un terme qui dérive en réalité du mot arabe « sifr » duquel dérive les mots « chiffre » et » zéfiro », d’où l’algèbre, le logarithme, la géométrie des sphères et bien d’autres sciences indispensables à nos satellites, nos ordinateurs, nos avions et jusqu’au net qui nous permet de rester informés.

L’OUZBÉKISTAN, UN CARREFOUR DE LA RENAISSANCE

Shavkat Mirziyoyev

Pleinement conscient de cet héritage culturel, spirituel et scientifique légué par des générations de maitres-penseurs et maîtres-spirituels, l’Ouzbékistan compte, plus que jamais, leur rendre l’hommage qui leur est dû. En conséquence de quoi, à l’initiative du Président Shavkat Mirziyoyev, plusieurs instituts de niveau académique ouvrirent grandes leurs portes. Au nombre de ceux-ci, on peut citer le Centre pour la Civilisation Islamique en Ouzbékistan et l’Académie Islamique Internationale d’Ouzbékistan, de même que les Centres internationaux de recherche de l’Imam Bukhari, de l’Imam Termiziy et de l’Imam Maturidi. Des projets qui reflètent, en plus de l’École scientifique des Hadis ; un établissement d’enseignement religieux supérieur, la dynamique de réforme en cours qui gagne l’ensemble du pays. Une dynamique qui fait également la part belle au renforcement de l’esprit du multiculturalisme et de multi-confessionnalisme à travers, notamment, le renforcement du dialogue interculturel et inter-religieux. Autant d’initiatives considérées comme prioritaires dans le cadre de la Stratégie d’Action pour 2017-2021. Aux yeux de l’exécutif, l’ordre du jour doit désormais inclure, et ce à l’attention du grand public, que l’islam, religion purement humaniste, proclame les valeurs de paix, d’amitié et d’harmonie, et inculque le noble concept de « Lumières contre l’ignorance ». Et c’est donc inscrite dans cet esprit qu’une résolution spéciale de l’Assemblée Générale des Nations Unies « Lumières et tolérance religieuse », à l’initiative de l’Ouzbékistan, a été adoptée en décembre 2018.

Lire aussi :

http://www.studentsoftheworld.info/infopays/wfb_fr.php?CODEPAYS=UZB

https://ouzbekistan.marcovasco.fr/guide-ouzbekistan/les-villes-douzbekistan.html

Lire aussi

« LETTRE À MA MÈRE » DE MOULAY-BACHIR BELQAÏD

Lorsqu’on est 10 millions dans un pays qui en compte 60 et qu’on est incapable …