LES DIPLOMATES FRANÇAIS EN GRÈVE

Catherine Colonna

Six syndicats et un collectif de jeunes diplomates appellent à un mouvement de grève ce 2 juin, phénomène rare dans l’histoire du Quai d’Orsay. Des ambassadeurs en fonction qui soutiennent le mouvement, voilà qui est encore plus rare.

La colère, qui couvait depuis déjà un certain temps, a éclaté après la publication en avril au Journal officiel du décret d’application au ministère des Affaires étrangères de la réforme de la haute fonction publique. Une réforme qui, selon des grévistes, accentue le déclin de l’influence de la France dans le monde.

Cette réforme, voulue par le président Emmanuel Macron, dissout pratiquement le corps diplomatique pour le remplacer par des hauts fonctionnaires, qui seront ainsi appelés à changer d’administration tout au long de leur carrière.

Cette réforme conduira à l’extinction progressive des deux corps historiques de la diplomatie française, ministres plénipotentiaires (ambassadeurs) et conseillers des Affaires étrangères, autrement dit, « la fin de la diplomatie professionnelle » française.

L’image de la France écornée

Il s’agira donc d’une diplomatie aux ordres, sans marge d’initiative, une simple courroie de transmission du pouvoir présidentiel. Or le métier de diplomate ne se résout pas seulement à cela. L’une des missions majeures de la diplomatie française est de représenter l’image de la France à l’étranger, sa culture, sa capacité d’innovation, ses valeurs.

C’est probablement ce qu’Emmanuel Macron ne souhaite pas, pas plus d’ailleurs que ses deux prédécesseurs. Un diplomate s’est vu sermonné, et changé d’affectation, pour avoir organisé, dans un grand pays arabe, des manifestations culturelles mettant en valeur le rôle de la France dans le dialogue entre les peuples. A l’heure où l’image de notre pays se dégrade, où la pratique de la langue française s’amenuise de jour en jour, cela est bien inquiétant.

« Surmenés, sous-payés, sous-équipés »

Plus symptomatique encore, des dizaines de diplomates de haut rang ont annoncé ces derniers jours sur Twitter leur participation ou leur soutien à la grève, sous le hashtag #diplo2metier. « Je serai en grève le 2 juin pour protester contre la réforme du corps diplomatique et la réduction continue des moyens de notre diplomatie », a ainsi tweeté l’ambassadrice au Koweït, Claire Le Flécher, « les diplomates ne sont pas interchangeables », a estimé sa collègue à Oman, Véronique Aulagnon. Résumant l’état d’esprit, l’ambassadeur en Azerbaïdjan, Zacharie Gross, a écrit : « Les diplomates français sont dévoués corps et âme, mais sont surmenés, sous-payés, sous-équipés. »

Outre une réforme qui entraînera aussi selon eux des « nominations de complaisance », une « déstructuration des carrières » et une « crise des vocations », 500 diplomates regroupés en collectif se sont inquiétés dans une tribune publiée récemment dans le quotidien Le Monde d’une « réduction vertigineuse des moyens » (suppression de 50 % d’effectifs en 30 ans) et de « décennies de marginalisation du rôle du ministère au sein de l’État ».

La diplomatie est traditionnellement le domaine réservé du président, mais cette orientation est particulièrement forte sous la présidence Macron. Le chef de l’État n’a par ailleurs pas ménagé ses diplomates, notamment en dénonçant devant eux en 2019 un « État profond » au sein du Quai d’Orsay.

Nomination de Catherine Colonna : espoir ou leurre ?

« Les diplomates ont une mauvaise image alors qu’en réalité ce sont des fonctionnaires très attachés à l’administration républicaine », a déclaré à l’AFP un ambassadeur sous couvert de l’anonymat. « On veut un outil diplomatique qui permette à la France de tenir son rang. Or on a l’impression d’être déconsidérés, de ne pas avoir les moyens nécessaires… Et ça se sent : quels sont les grands succès de la diplomatie française depuis la COP21 en 2015 ? Rien ».

La nomination au ministère de Catherine Colonna, une diplomate de carrière, a été voulue par Emmanuel Macron comme un message à destination du personnel diplomatique. La ministre affirme avoir « noué un dialogue social de qualité » avec toutes les organisations syndicales.

Les diplomates se demandent toutefois si cette nomination n’est pas une stratégie d’endormissement, avec l’idée sous-jacente de faire faire le « sale boulot » à l’une des leurs.

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