DE QUOI L’ AFFAIRE DU BURKINI DE GRENOBLE EST-ELLE LA QUESTION ?

Claude Monet – Sur la plage à Trouville 1870.

Lorsque les bains de mer commencèrent à se populariser au milieu du XIXème siècle, les femmes. se couvraient afin de préserver leur pudeur. Une question d’époque.

En Chine, les femmes se couvrent entièrement le corps et le visage pour échapper au bronzage, associé aux classes sociales défavorisées. Question de mode.

Au Canada, dans les piscines publiques, se côtoient , dans l’indifférence générale, des femmes en bikinis presque symboliques, et des femmes en « burkini ». Question de libertés individuelles.

Piscine à Banff- Alberta – Canada

Sur la demande du ministre de l’intérieur, en vertu de la loi « séparatisme », et à la suite des cris d’orfraie poussé par la droite et l’extrême droite, le tribunal administratif vient de suspendre la décision de la mairie de Grenoble d’autoriser tous types de vêtements – donc également le burkini – dans les piscines de la ville. De quoi cette décision est-elle la question ?

Les « face-kini » en Chine

Rappelons les faits.

Éric Piolle, maire Europe Ecologie-Les Verts (EELV) de Grenoble, a décidé de laisser aux femmes la liberté de choisir leur vêtement. Pourquoi ce sont toujours les hommes qui obligent ou interdisent aux femmes de se vêtir de telle ou telle façon ?

Cette liberté entraîne notamment l’autorisation du port du burkini dans les piscines, comme cela se fait dans la plupart des pays occidentaux. Mais pas seulement, puisque la décision du conseil municipal du 16 mai, en supprimant les contraintes vestimentaires faites aux femmes de porter un vêtement « près du corps », autorisait également de fait la baignade seins nus et les maillots anti-UV.

Pourtant, ce qui a provoqué le tollé de la droite, et la décision du tribunal « suspendant » le nouveau règlement des piscines de Grenoble, est uniquement le fait que ce nouveau règlement ouvrait la porte au burkini .

Alors, de quoi cette décision est-elle la question ?

Il suffit de lire le texte de la décision du tribunal qui estime que l’article en cause permettrait aux usagers de « déroger à la règle générale d’obligation de porter des tenues ajustées près du corps pour permettre à certains usagers de s’affranchir de cette règle dans un but religieux », et ses auteurs ont par là-même « gravement porté atteinte au principe de neutralité du service public ».

Le problème n’est donc pas le vêtement lui-même, mais le fait qu’il est porté par des musulmanes. Pourtant, le burkini n’est en rien la marque de l’islam. La plupart des musulmans considèrent d’ailleurs que ce vêtement n’a aucun rapport avec la religion. Si des femmes veulent se baigner comme cela, grand bien leur fasse, mais le Coran n’a rien à voir là-dedans.

Évidemment, si le tollé suscité par cette décision a surtout été le fait de la droite et de l’extrême droite, ce n’est pas un hasard.

Le tribunal se prononçait d’ailleurs suite au dépôt par le préfet de l’Isère d’un « référé laïcité » réclamant sa suspension. Cette disposition a été introduite par la loi « séparatisme » votée en août 2021 et concerne les actes qui portent « gravement atteinte au principe de laïcité et de neutralité du service public ».

Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin s’est immédiatement félicité sur Twitter de cette « excellente nouvelle ».« Suite à notre recours, le tribunal administratif suspend la délibération de la mairie de #Grenoble autorisant le +burkini+ dans les piscines municipales grâce aux outils de la loi séparatisme voulue par @EmmanuelMacron ! », a-t-il salué.

Alain Carignon, chef de file de l’opposition municipale de droite qui avait elle aussi déposé un recours devant le tribunal administratif, a également salué une décision qui « marque un coup d’arrêt aux dérives séparatistes et à la volonté d’une partie de la majorité municipale derrière son maire de favoriser l’islamisme dans l’espace public au détriment de la cause des femmes ».

Les juges des référés ont rendu leur jugement dans la soirée après avoir entendu pendant environ une heure trente les arguments des différentes parties, la préfecture de l’Isère d’une part, la Ville de Grenoble, l’Association Alliance Citoyenne et la Ligue des Droits de l’Homme d’autre part, lors d’une audience tenue plus tôt dans l’après-midi.

Pascale Léglise, directrice des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’intérieur et qui représentait la préfecture à l’audience, a dénoncé une réglementation qui « méconnaît l’intérêt général » et relève de ce fait d’un « détournement de pouvoir ».« Une fois que le burkini ne sera pas interdit, il deviendra une ardente obligation, alors que c’est une frange très minoritaire qui le revendique », a-t-elle argué. Ben voyons… comme dirait Zemmour…

Suite à la suspension, la droite et l’extrême droite ont appelé, suivant la diatribe d’Eric Ciotti, à davantage d' »encadrement », via une loi, sur le port du burkini dans les piscines.

Laurent Wauquiez, président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes avait déjà annoncé la suppression des subventions régionales à la ville.

Pourtant, Me Aude Evin, représentant la ville de Grenoble, avait rappelé que le nouveau règlement n’autorisait pas le burkini, qui n’y est d’ailleurs nulle part nommé, « mais se contente de ne pas l’interdire ». Or, « seule la loi est susceptible de restreindre l’exercice d’une liberté ».

L’affaire du burkini a déclenché une bataille politique et médiatique, fortement teintée d’inspirations électorales, à quelques semaines du premier tour des législatives. Le burkini est d’ailleurs été autorisé à Rennes, sans que cela ne soulève de tempête. Il faut dire que l’arrêté a été pris en 2018, loin des échéances électorales.

Le burkini, un « non sujet »

Pour Eric Piolle, Le burkini est un « non-sujet ». « Depuis une dizaine de jours, on entend une énorme polémique gonfler partout autour du burkini et de Grenoble », déplore l’élu dans une vidéo sur Twitter, alors qu’il ne s’agit que « d’assurer l’égalité d’accès aux services publics, et la liberté de se vêtir ou se dévêtir, dans le respect de l’hygiène et de la sécurité ».

Le règlement des piscines devait être « juste un progrès social pour que les femmes puissent venir se baigner les seins nus comme les hommes et pour que les maillots couvrants pour se protéger du soleil soient autorisés, et pour que les burkinis soient autorisés aussi », martèle le maire de Grenoble,  « En fait, on s’en fiche de savoir si c’est un maillot couvrant, s’il est là pour se protéger du soleil, s’il est là pour raison religieuse, ça ne nous regarde pas », ajoute le maire, consterné par les « débats d’une extrême violence » de ces derniers jours.

Eric Piolle a immédiatement annoncé que la ville ferait « appel devant le Conseil d’État ». Il avait d’ailleurs prévenu qu’il était disposé à aller, s’il le fallait, jusqu’à la cour européenne des droits de l’homme.

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