La France dit soutenir l’Arménie – quoique son appui aux séparatistes du Karabakh n’est plus cohérent avec la politique du gouvernement arménien – parce qu’elle serait un pays démocratique, face à un Azerbaïdjan qui ne le serait pas. Pour les moralistes hexagonaux, la liberté de la presse est l’un des critères majeurs de la démocratie.
En réalité, nous avons peu d’information sur ce qui se passe réellement en Arménie. Et quand nous en avons, les faits viennent démentir cette vision idyllique de nos « experts en tout » médiatiques.
Pour preuve, l’histoire du journaliste Leo Nicolian.
Leo Nicolian est franco-arménien. Il est né au Liban, et se considère, selon la fameuse formule de Charles Aznavour, 100% français et 100% arménien. Il fut, en 1981, le plus jeune animateur de la radio libre, inventée sous Mitterrand : La voix du Cèdre, première radio destinée à la communauté libanaise, puis la première radio de la communauté arménienne. Il entre ensuite à l’AFP, puis travaille comme reporter de guette à TF1 et France Télévisions.
Il est ce qu’on pourrait appeler un « journaliste à l’ancienne », c’est à dire qu’il ne laisse pas ses propres opinions, ses passions, l’emporter sur la réalité des faits. Son seul credo, c’est la détestation de la guerre, de toutes les guerres, sur lesquelles il partage la vision de Paul Valéry : « La guerre est un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas ».
Il fut l’ami de Monte Melkonian, l’un des fondateurs de l’ASALA, mais n’a jamais , dans ses articles et reportages, argumenté en faveur de l’invasion de l’Azerbaïdjan et l’occupation du Karabakh. Il a toujours appuyé les démarches de paix, appelé à la protection des populations arméniennes, dont il a toujours été un acharné défenseur.
Le mois dernier, Leo Nicolian a été reçu avec les honneurs à Voskepar, cette ville arménienne proche des villages azerbaïdjanais occupés qui vont être rendus à l’Azerbaïdjan. Il fut l’un des rares journalistes à donner la parole aux villageois, inquiets pour leur sort, mais qui espèrent un retour aux bonnes relations de voisinage qui existaient d’un côté et de l’autre de la frontière avant l’invasion de 1992-1993.
Oui mais voilà. Leo Nicolian est une grande gueule qui n’hésite pas à apostropher publiquement les politiques qui se vautrent dans le mensonge et la dissimulation.
Il dénonce le financement de la campagne présidentielle de Macron en 2017 par le premier ministre et homme d’affaire libanais Saad El-Hariri. Puis, en 2019, lors d’un voyage à Amiens, il fait avouer publiquement à Macron que la France est à l’origine de la fameuse répartition confessionnelle du pouvoir au Liban qui a ruiné celui-ci, ce que la France avait naturellement toujours nié auparavant. L’interview fera le tour du monde et vaudra à Nicolian une avalanche de convocations dans les commissariats et des contrôles d’identité à répétition.
Après avoir filmé à Paris un homme qui se complaisait à regarder, dans le bus, des images de palestiniens massacrés, et lui avoir demandé « ce qu’il pensait de la politique génocidaire d’Israël à l’égard des enfants palestiniens », il a été le cible de l’avocat William Goldnadel, qui l’accuse d’antisémitisme, et des mouvements extrémistes pro-israéliens qui le menacent de mort et tentent de s’introduire dans son domicile.
Il invective Anne Hidalgo pour sa gestion catastrophique de Paris, ce qui lui vaut d’être traduit en justice, malgré la protection supposée de la liberté de la presse.
Enfin, il relaie les informations diffusées par les medias arméniens sur les faits de corruption dont l’ancienne ambassadrice de France à Erevan, Anne Louyot aurait été l’auteur, ce qui vaudra à celle-ci d’être remplacée par Olivier Decottignies, et sur Olivier Decottignies lui-même, accusé, par les mêmes medias arméniens de pédophilie pour des faits qui se seraient déroulés lors de son précédent poste diplomatique au Kurdistan irakien.
Enfin, il révèle les dessous de l’affaire Martin Ryan, cet entrepreneur français établi à Bakou, qui, manipulé, ainsi qu’un journaliste azerbaïdjanais, par les services secrets français, s’était livré à des opérations d’espionnage avant de se faire « serrer » par la police de Bakou.
Son compte « X » est immédiatement suspendu à la demande des autorités françaises.
Le 22 avril 2024, Leo Nicolian, de passage à Paris, décide de retourner en Arménie pour poursuivre ses reportages, et a la surprise de se voir refoulé à l’aéroport d’Erevan. Aucune explication ne lui est donnée. Le consulat français à Erevan lui propose de l’argent pour qu’il retourne en France sans faire d’histoire, ce qu’il refuse. Bloqué dans la zone de transit, il décide d’entamer une grève de la fin, malgré son état de santé fragile.
Aucune raison n’est invoquée par les autorités arméniennes, qui n’ont d’ailleurs pas le pouvoir d’empêcher un citoyen arménien d’entrer dans le pays en l’absence d’action judiciaire.
Selon les milieux proches de l’ambassade, la décision aurait été prise par le premier ministre Nikol Pachinyan lui-même sur la pression d’Emmanuel Macron. Décidément, le président français n’apprécie pas qu’on le place face à ses contradictions. Décidément la liberté de la presse en Arménie est un mythe, comme d’ailleurs en France, même si chez nous le choses se font plus subtilement.
En attendant, Leo Nicolian en est à son 30ème jour de grève de la faim, et si celle-ci lui est fatale, Nikol Pachinyan aura sur les mains le sang d’un journaliste honnête et indépendant. Cela risque de porter un coup fatal à l’image que l’Arménie cherche à se construire depuis la guerre de 2020, celle d’un pays démocratique et sûr de son droit.
Bizarrement les associations de journalistes français, comme Reporters sans frontières, n’ont pas encore bougé le petit doigt. Il est vrai qu’elles sont subventionnées par l’État français…