LÉGISLATIVES : EMMANUEL MACRON TENTERA-T-IL DE VOLER SA VICTOIRE AU NFP ?

Par Jean-Michel Brun

Pour les instituts de sondage, les jeux étaient faits. Le sort de la France était scellé. Pour la première fois de son histoire, l’extrême droite allait être aux manettes du pays qui fut le symbole de la lutte contre le fascisme, le pays des luttes ouvrières et du progrès social, le pays de la Révolution.

Mais en ce moment où se joue l’Euro 2024, le football nous apprend une chose : un match n’est pas terminé tant que le coup de sifflet final n’a pas retenti. Le résultat d’un match gagné ou perdu peut se renverser à la dernière minute. C’est peut-être ce qu’a oublié le Rassemblement National, sûr de sa victoire, qui a baissé la garde en laissant s’exprimer des candidats ouvertement racistes, ou visiblement incompétents, alors qu’il s’était patiemment ingénié, depuis des années, à essayer de se vêtir des habits de l’honorabilité.

Du côté des Français républicains, au contraire, celui des héritiers de Montaigne, Montesquieu, Zola, on a décidé de se battre. Jusqu’au bout. Ainsi le Nouveau Front Populaire est né. Non pas, comme l’a affirmé la droite française, une alliance de circonstance, un amalgame hétéroclite, mais un front uni des Français humanistes contre la barbarie raciste et xénophobe.

Et le soir de ce dimanche 7 juillet, ce fut la surprise. Les sondages, une fois de plus, massivement contredits. Les Français, une fois encore, et on espère que ce ne sera pas la dernière, ont dit non à l’extrême droite. 182 députés pour le Nouveau Front Populaire, 143 pour l’extrême-droite (RN et LR Ciotti). Le parti présidentiel arrive en deuxième position, avec 168 députés, et perd ainsi 100 élus.

Certes, le Nouveau Front Populaire (NFP) n’obtient pas de majorité absolue (289 députés), mais avec ses 182 sièges (contre 151 auparavant) à l’Assemblée nationale, il s’impose désormais comme principale force politique au sein de l’Assemblée nationale, devant Ensemble qui récolte 158 sièges contre 250 auparavant, et le RN, avec ses alliés ciottistes, en hausse de 54 sièges depuis 2022 (143 sièges), constituant ainsi le 3e bloc de l’A.N.

Le Nouveau Front Populaire est composé de La France insoumise (LFI), premier parti à gauche (75 sièges), devant le Parti socialiste (PS, 65 sièges), qui le devançait cependant largement lors des élections européennes du 9 juin. Les Écologistes (EELV) suivent avec 33 sièges (+10 par rapport à 2022). En 2022, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES) avait obtenu 151 sièges. Le NFP comptera désormais une cinquantaine de députés supplémentaires.

Avec trois blocs qui se font face, l’Assemblée Nationale désormais dominée par des forces presque égales, la Cinquième République s’apprête à découvrir ce qu’est un exécutif de coalition, mettant fin à une exception française en Europe. Une chambre sans majorité, c’est une première dans l’histoire de la Ve République. Emmanuel Macron, qui annonçait, en 2017, vouloir une France forte, unie, égalitaire, a réussi l’exploit de briser l’œuvre du Général de Gaulle qui avait fait de la Constitution un outil de stabilité. Sa conception d’un pouvoir présidentiel sans partage l’a conduit à une cinglante défaite, à la ruine de son parti, et au chaos pour la France.

Le Premier ministre, Gabriel Attal a, comme le veut la tradition, présenté sa démission, que Macron a refusé, pour le moment.  Il gèrera les « affaires courantes », selon l’expression consacrée. Mais à quelques jours de l’ouverture des Jeux Olympiques de Paris, qui devrait attirer des millions de touristes étrangers, il ne s’agit pas d’une petite affaire.

Reste l’avenir. Sans majorité absolue, le pays se trouver très difficile à gouverner, car la  Constitution de la Ve République est précisément prévue pour fonctionner avec une majorité absolue, notamment en cas d’alternance. C’est ce qui a fait la stabilité politique de la France jusqu’à aujourd’hui, jusqu’à ce que Macron en sape les bases.

Qui sera nommé à la tête du gouvernement par la Président ? Nul ne le sait, car Macron est imprévisible. Les différentes tendances du NFP se mettront-elles d’accord sur un candidat commun ? Les discussions vont aller bon train. Comment se feront les alliances de circonstance, à droite comme à gauche, pour que les lois soient votées ? C’est l’incertitude. Et comme la Constitution ne prévoit pas de délai pour que le président de la République nomme un nouveau Premier ministre, aussi il est possible que le dénouement n’arrive pas tout de suite.

Jean-Luc Mélenchon (LFI), premier à s’exprimer après les résultats, a appelé le président Macron à inviter le NFP à former un gouvernement. Le fondateur LFI s’est félicité du score obtenu par le Nouveau Front Populaire et a appelé Emmanuel Macron à prendre ses responsabilités.« Ce soir le Rassemblement national est loin d’avoir la majorité absolue, c’est même tout le contraire, et c’est un immense soulagement pour une majorité de personnes dans notre pays. Désormais qu’elles se rassurent, elles ont gagné. La volonté du peuple doit être maintenant strictement respectée. Le président doit s’incliner et admettre cette défaite, le Premier ministre doit s’en aller. Le président a le pouvoir, a le devoir, d’appeler le Nouveau Front Populaire à gouverner. », a-t-il indiqué.

Dans le viseur des ténors des différents partis de gauche, Jean-Luc Mélenchon cristallise l’attention. S’il se dit se « sentir capable » d’être Premier ministre, beaucoup dans son camp ne l’envisagent pas.

Mais de son côté, le président a choisi son repoussoir : la France insoumise. En réalité, cette dissolution qui paraît a priori incohérente et dangereuse n’est pas fortuite. Certains proches du président ont avoué, en privé, que Macron parlait de cette éventualité avant même les élections européennes. Pour la haute finance qui tient réellement les rênes de la France, le cauchemar serait une accession au pouvoir de la tendance politique représentée par LFI. Celle-ci ne propose pas seulement un programme alternatif à celui du pouvoir actuel. Elle appelle à une transformation radicale de la société en modifiant de manière drastique la répartition des richesses. A l’heure actuelle, le coût des services publics et de la dette est supporté par ce qu’elle appelle les classes populaires, et les classes moyennes, autrement dit ceux qui ont le plus besoin du soutien de l’État.  Les « ultra-riches », devenus encore plus riches sous la macronie, sont épargnés grâce à des avantages fiscaux considérables. Jean-Luc Mélenchon propose ni plus ni moins d’inverser le processus et de demander aux plus riches, ainsi qu’aux multi-nationales, d’être les principaux contributeurs de l’impôt.

C’est la raison pour laquelle Emmanuel Macron, constatant le dynamisme de la gauche, a fait le pari de provoquer un choc qui permettrait, espérait-il, de constituer une « union des droites » censée éloigner le danger d’une refonte de l’économie de la société française.

Malgré l’échec de cette stratégie devant les urnes, le président espère toujours y parvenir, en appelant, autour de lui, à une large coalition de la droite et du centre. Il est donc possible que Macron choisisse un premier ministre parmi les adversaires les plus farouches de Jean-Luc Mélenchon, avec le risque de provoquer la colère des électeurs de gauche qui se sentiront spoliés de leur victoire, et de se retrouver, en plein Jeux Olympiques, dans un climat quasi insurrectionnel.

Portée en 2017 par un véritable élan d’espoir face à une classe politique à bout de souffle , la « Macronie » s’est effondrée sous le poids d’un chef autocrate, suffisant, vassal des lobbies, plus soucieux  de la sauvegarde des grands intérêts privés que de celui du peuple français. Le barrage contre l’extrémisme a fonctionné fois encore. Mais qu’elle soit appelée à diriger le gouvernement ou non,  la gauche française n’a pas droit à l’échec, car au prochain scrutin, les digues de la France humaniste cèderont pour de bon.  

Lire aussi

LA « MAHALLA » OUZBÈQUE : UN EXEMPLE DE DÉMOCRATIE DE PROXIMITÉ

La démocratie de proximité est le rêve de nombreux citoyens à travers le monde. Contrairement …