LE FLAMBEUR DE LA CASPIENNE DE JEAN-CHRISTOPHE RUFIN

Aurel est consul-adjoint. Il n’a pas suivi la voie triomphante qui mène de l’ENA aux cîmes de la diplomatie. Il a juste franchi, en catimini, la porte étroite de la promotion interne. Et, comble d’un karma désastreux, son origine roumaine l’a affublé d’un accent qui sied fort peu au prestige attendu d’un représentant de la France. Il est autrement dit destiné à rester pour toujours un « petit consul », confiné dans des tâches ingrates et répétitives entre les murs étroits de postes dont personne ne veut.

Sauf qu’il possède un don. Comme Holmes, Hercule Poirot ou Colombo, la nature l’a gratifié d’une intuition fulgurante qui lui fait détecter, tapi dans le silence feutré des missions diplomatiques, le crime crapuleux là où tous n’y voient – ou font semblant de n’y voir – qu’un fait divers nourri de coïncidences.

Aurel est le héros d’une série de romans policiers d’un genre particulier qui aurait pu s’appeler « Les étranges affaires des affaires étrangères ».

Après la Guinée et le Mozambique, c’est à Bakou, en Azerbaïdjan, qu’Aurel Timescu mène son enquête. Il en a la quasi certitude, la disparition de la femme de l’ambassadeur n’est pas aussi accidentelle qu’on veut bien le faire croire. Au milieu de l’argent facile, de la corruption, des grands contrats internationaux, c’est une véritable affaire d’État que le petit fonctionnaire mal fagoté va finir par mettre à jour.

Il faut dire que Jean-Christophe Rufin le connaît bien ce milieu codifié qui, à l’instar des grandes familles, dissimule, sous d’élégantes apparences, les plus sordides desseins. Ancien ambassadeur au Sénégal, il a pu, peut-être parce qu’il n’y a jamais réellement appartenu, observer ce milieu clos des ambassades et en découvrir les inavouables secrets.

C’est que ce n’est pas un type ordinaire, ce Jean-Christophe Rufin. Un vrai personnage de roman à lui tout seul. Devenu médecin par vocation après avoir découvert l’exploit du Pr Barnard et de la première transplantation cardiaque, il devient chef de clinique en neurologie, co-fonde Médecins sans Frontières, puis préside Action contre la faim. Passé par le ministère de la coopération aux côté de Claude Malhuret, il devient attaché culturel au Brésil, puis ambassadeur au Sénégal. Le farniente diplomatique l’encourage à jeter sur le papier – en les transposant un peu, discrétion diplomatique oblige – les réflexions que lui inspirent les drôles de manigances dont il est le témoin. Plutôt que de se laisser enfermer dans le genre étriqué de l’essai, il choisit la liberté du roman. Des débuts laborieux, avoue-t-il. Mais, suivant la formule de Guillaume d’Orange « Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer », il persévère, jusqu’à obtenir le Goncourt du premier roman en 1997, et le Prix Goncourt en 2001 pour « Rouge Brésil », avant d’entrer en 2008 à l’Académie Française.

Et encore, ce petit résumé est à sa carrière ce qu’un sms est à « Autant en emporte le vent ».

Des conseillers plus ou moins vertueux, affamés de miettes de pouvoir, j’en ai connus dans ma carrière de journaliste. Ceux qui se prétendent faiseurs de présidents, caressent de leurs moites paluches l’échine des puissants et essuient leurs semelles crottées sur le dos de ceux en qui ils voient des subalternes, comme l’ambassadeur du roman de Rufin…

Jean-Christophe Rufin n’est pas de ceux-là. Sa simplicité franche, son humilité souriante en font juste un mec bien. Raison de plus pour lire ses passionnants romans.

Jean-Michel Brun

LE FLAMBEUR DE LA CASPIENNE
Jean-Christophe Rufin
Flammarion

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