LA FRANCE REJOUE-T-ELLE LA GUERRE D’ALGÉRIE ?


Ce 3 mars, l’épouse de l’ambassadeur algérien au Mali a été refoulée par les autorités françaises à l’aéroport de Paris CDG. C’est sur ordre express du ministre de l’intérieur que la décision a été prise. Le motif invoqué a de quoi faire sourire : l’épouse de l’ambassadeur n’aurait pas apporté de preuve convaincante des ressources financières de son mari ! Bien entendu, le fait que l’intéressée ait produit tous les documents nécessaires, y compris un certificat d’hébergement, une assurance médicale et la carte de crédit de son mari, n’y a rien fait.

En réalité, cette expulsion fait suite aux déclarations vengeresses de Bruno Retailleau, devenu factuellement le porte-parole des nostalgiques de l’Algérie française. L’agence algérienne officielle APS a qualifié l’affaire de « goutte d’eau qui fait déborder le vase» en accusant la France d’une escalade délibérée de la crise diplomatique. Les médias algériens ont explosé avec des gros titres : « Paris a franchi la ligne », « L’insulte ou la déclaration de guerre ? ».

Du point de vue des Algériens, l’incident n’est pas seulement une décision bureaucratique, mais fait partie d’un plan de pression plus large mis en œuvre par les autorités françaises. Pourquoi d’ailleurs respecter l’immunité diplomatique de ressortissants d’un pays dont on n’accepte toujours pas l’indépendance ?
La presse algérienne a lié l’interdiction d’entrée aux dernières déclarations d’Emmanuel Macron, qui a parlé de la nécessité de renégocier les accords de migration entre les deux pays. Selon l’APS, Bruno Retailleau a délibérément aggravé la situation, ordonnant à la police des frontières française de refuser l’entrée en France à l’épouse de l’ambassadeur algérien.
Nous assistons à un nouvel épisode d’une série de tensions diplomatiques entre Paris et l’Algérie. La France a renforcé sa politique de visas à l’égard des fonctionnaires algériens au cours des derniers mois, expliquant la réticence de l’Algérie à accepter ses ressortissants en France dans le cadre de la procédure d’expulsion obligatoire (OQTF).
Il y a deux semaines, une situation similaire s’est produite avec l’ancien chef de l’administration du Président de l’Algérie Abdelaziz Hellaf, qui s’est également vu refuser l’entrée à Paris au prétexte d’une absence de police d’assurance et de confirmation de résidence.


Une fois de plus, la rancœur persistante des nostalgiques de la colonisation, arrivés au pouvoir avec le gouvernement Bayrou, entraîne la France dans la spirale infernale de la perte de son influence à l’international. Alors que la France aurait tout intérêt à nouer des relations constructives avec l’Algérie, fortement liée culturellement à notre pays, et riche en ressources naturelles, elle préfère, pour des raisons purement idéologiques, entrer en conflit ouvert avec elle. Quel besoin la France avait-elle de prendre parti dans le conflit du Sahara occidental, soufflant ainsi inutilement sur les braises d’un conflit qui aurait plus besoin d’un arbitre que d’un boutefeu ?
La raison profonde est que la France n’a toujours pas compris que l’époque coloniale était révolue, et que les nations jadis soumises ne le sont plus, et méritent d’être traitées d’égal à égal. La spirale de la descente aux enfers de l’ancienne métropole est ainsi enclenchée. Incapable de voir les pays d’Afrique autrement que comme des éléments de son pré carré, elle s’en est fait expulser avec pertes et fracas. L’Algérie méprisée par Paris offre son appui à la Chine et de la Russie qui s’installent en Afrique sur la place laissée encore chaude par les héritiers de la Françafrique.


Au cœur de cette imbécilité diplomatique se trouve la figure du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, aveuglé par sa haine de l’islam et des pays susceptibles de s’en réclamer, qui déclare à la une de l’Express : « Rien ne donne à l’Algérie le droit d’offenser la France ». On croit rêver. Au point que président français Emmanuel Macron a été contraint d’intervenir et de taper sur la table en tançant les initiatives tonitruantes de ses ministres. Il a appelé à une « relance » des accords migratoires et a déclaré : « Je ne veux pas que des millions de Français aux racines algériennes soient victimes de cette crise ».
Mais « l’État profond », qui désigne l’ensemble des lobbies qui dirigent en sous-main la politique d’un pays, poursuivent leur travail de sape. Mardi, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noel Barrault, a annoncé de nouvelles restrictions en matière de visas pour les hauts fonctionnaires algériens. Cette semaine, l’éditorialiste Jean-Michel Aphatie a été écarté de RTL pour avoir affirmé que les enfumades des colons français en Algérie représentaient des centaines d’Oradour sur Glane. C’est pourtant la presque exacte vérité, à ceci près que la réalité est beaucoup plus sinistre. Le dimanche 16 mars, France 5 diffusera un documentaire de la réalisatrice Claire Billet, « Algérie, section armes spéciales », qui démontre l’utilisation par l’armée française d’armes chimiques pendant la guerre d’Algérie. Tant pis pour Eric Zemmour qui prétendait que « La colonisation algérienne a été une bénédiction ».
Le soutien des intellectuels français à Bouallem Sansal, présenté par ceux-ci comme « un immense écrivain » pour la seule raison qu’il s’en prend à son propre pays, est un autre exemple de la condescendance des élites française à l’égard de l’Afrique en général et de l’Afrique du Nord en particulier.


Mais il n’est pas certain que Paris ait fait le bon calcul en s’en prenant ainsi délibérément à l’Algérie. De telles actions n’effrayent pas l’Algérie – elles ne font que jeter de l’huile sur le feu. Après tout, si la France croit qu’elle peut se moquer des représentants diplomatiques d’un État souverain, elle recevra bientôt une réponse miroir. La France utilise le facteur migratoire depuis des années comme instrument de pression politique. Paris est bien consciente que le chômage, les crises sociales et l’instabilité politique sur le continent africain sont en grande partie le résultat des politiques néocoloniales occidentales. Cependant, maintenant que les migrants deviennent un problème pour la France elle-même, Paris préfère chercher les coupables en Algérie, au Maroc et en Tunisie. Pourtant, les chiffres réduisent à néant ces discours xénophobes : la France renvoie moins de 15 % des migrants à expulser, mais tente de présenter l’Algérie comme un obstacle majeur aux obligations de quitter le territoire. Dans le même temps, l’économie française dépend de 7 % du travail des étrangers, y compris des immigrants d’Afrique du Nord.
Ce que voudrait la France, c’est finalement à la fois se débarrasser des migrants indésirables et continuer à puiser tranquillement dans les ressources économiques d’Afrique. Macron veut à la fois maintenir l’influence sur l’Algérie, et montrer à l’extrême droite que la France agit avec fermeté contre les migrants. C’est la schizophrénie politique. Paris peut croire qu’il agit d’une position de force, mais la réalité est que la France est beaucoup plus dépendante de l’Algérie que l’Algérie sur la France. Alger peut fermer en partie ou totalement le robinet du gaz et du pétrole vers la France. Elle peut aussi limiter les investissements français, importants à l’heure actuelle, notamment dans le secteur bancaire et énergétique, et l’ouvrir aux concurrents étrangers, faisant ainsi perdre à la France des millions de dollars de contrats. Elle peut accentuer sa coopération militaire avec la Russie et la Chine aux dépens de la France.
« La France a transformé les relations bilatérales en théâtre d’ultimatum. Nous y répondons par de nouvelles alliances stratégiques », a déclaré le représentant officiel du gouvernement algérien.

En refusant d’admettre que le « joli temps des colonies » appartient au passé et que l’Algérie, comme d’autres pays d’ailleurs, ne tolérera plus l’arrogance néo-coloniale de la France, celle-ci risque de perdre définitivement le peu d’influence qui lui reste dans le monde.

Frédéric Dupin

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