HAMDAN BEN MOHAMMED BEN ZAYED, UN BUSINESSMAN AU COEUR DE L’INDUSTRIE MILITAIRE ÉMIRATIE

Par Sébastien Boussois, docteur en sciences politiques et spécialiste du Moyen-Orient

Dans la famille des Al Nayane, après le père Mohammed Ben Zayed et actuel président de la confédération des Emirats arabes unis, voici le fils Hamdan Ben Mohammed Ben Zayed, qui à l’image de son père, ne déborde ni d’ambitions ni du sens des affaires et est en train de se construire un empire à son tour, mais dans le privé cette fois, à travers sa société Ethmar Holdings.  

Outre sa place de plus en plus importante dans les affaires publiques et au service de son père, Hamdan Ben Mohammed est aussi un homme d’affaires hors-pair. Et c’est carton plein pour qui a su mettre l’un au service de l’autre, sans peur de mélanger les genres et les conflits d’intérêts, avec sa société qui a annoncé vouloir entrer en bourse à Abu Dhabi, en offrant « 13% à 15% de ses actions à des investisseurs dans le cadre d’une opération de 200 millions de dollars qui pourrait valoriser la société à plus d’un milliard de dollars. »[1] 

Ce qui est surprenant, sans l’être finalement, c’est que l’entrée en bourse serait un souhait de son père avec le concours du demi-frère de MBZ, Tahnoun bin Zayed Al Nahyane, conseiller émirati à la sécurité nationale et sulfureux agent d’influence de son pays. C’est sur la base de sa richesse familiale qu’Hamdan s’est lancé dans les affaires, en s’intéressant aux technologies, au commerce, à l’immobilier, au pétrole et finalement à l’industrie de défense.  Tous les secteurs clés qui font la fortune des Emirats et en particulier d’Abu Dhabi. Quant à l’armement, c’est dans les gènes des Al Nahyane alors pourquoi s’en priver ? 

Hamdan est de fait responsable du rapprochement militaire et sécuritaire d’Israël depuis la signature des accords d’Abraham et la normalisation des relations de son pays avec l’Etat hébreu. Même si les affaires tournaient déjà depuis 1996 entre les deux pays. Le militaire c’est le nerf de la guerre et de la sécurité des deux micro-Etats. En septembre 2021, Hamdan délivre des drones, les SkyGo, avec l’aide de Tahnoun, son oncle donc. Désormais, il a même créé un consortium avec la société israélienne de drones AiroBotics, afin d’équiper son pays de tels appareils de surveillance.  

Une étape de plus qui montre bien que les Emirats arabes unis sont devenus en quelques années une des grandes forteresses militaires du Moyen-Orient. On parle souvent de l’émergence d’une nouvelle « Sparte », pour sa force et son armement tout comme sa stratégie de conquêtes et d’influence des terres et des mers. Or, la perception que l’on a des Emirats arabes unis comme d’un îlot libéral au milieu de l’archipel de monarchies conservatrices du Golfe est de plus en plus un mythe. Depuis plus de dix ans, les EAU mènent en réalité une campagne contre-révolutionnaire de plus en plus active et radicale afin de rétablir la stabilité régionale et chasser toutes les sources de démocratie. Mieux vaut stabilité autoritaire que chaos démocratisant. Mais pour maintenir l’ordre, il faut des armes et de la poigne.

Dans l’ombre des gratte-ciels clinquants et d’une image soigneusement travaillée, les Emirats se sont eux-mêmes (pour donner l’exemple ?) transformés en un État policier ces dernières années – un État autoritaire qui ne cherche pas seulement à renverser les acquis des révolutions arabes, mais essaye encore plus d’imposer son idéologie en réalité plus intransigeante et machiavélique que celle du Royaume saoudien sur laquelle on a tendance à se focaliser.

Les Occidentaux retiennent souvent des EAU des images de personnes libres, d’accès facile à l’alcool et de défilé de bikinis sur les plages de Dubaï, le centre névralgique politique et idéologique actuele des Émirats est bien situé à Abu Dhabi. L’accaparement du pouvoir par la famille royale d’Abu Dhabi, les Al Nahyan, s’est installé subtilement et durablement, et a été accéléré par la faillite économique de Dubaï pendant la crise financière de 2008. Délaissée par Abu Dhabi, Dubaï a dû abandonner une grande partie de ses pouvoirs constitutionnels à la dynastie des Al Nahyan. Depuis, le prince héritier Mohammad bin Zayed, devenu depuis Président place ses pions, au pouvoir ou dans l’économie. C’est donc le cas de son fils Hamdan, puissant chef d’entreprise du privé au service de son pays et de sa sécurité : le complexe militaro-industriel par excellence.

Le désir de MBZ de voir s’installer des pouvoirs stables donc autoritaires dans l’ensemble du monde arabe avait conduit Abu Dhabi à soutenir les hommes forts de la région qui ont promis de remettre le mauvais génie postrévolutionnaire dans la bouteille. En Égypte et en Libye, les Émirats soutenaient Sissi et Haftar qui, au nom de la lutte contre le « terrorisme », se mobilisaient agressivement contre toute forme d’opposition ou de dissidence. On leur fournissait même des armes pour les uns, et des mercenaires pour les autres.

Avec l’approfondissement des relations avec Israël, Abu Dhabi fait une fois de plus illusion : s’accoquiner avec la « seule démocratie du Moyen-Orient », preuve de son allégeance aux Etats-Unis même si la relation est compliquée depuis des mois et depuis que la confédération a refusé d’appliquer les sanctions occidentales contre Moscou, renforcer sa sécurité et contribuer à la lutte contre le concept fourre-tout de « lutte contre le terrorisme », faire de l’argent et beaucoup d’argent en revendant à qui veut des armements à gogo partout dans la région. Car faut-il rappeler que les Emirats arabes unis étaient en 2021 le 9ème plus gros importateur d’armes au monde ? Pour le micro-confetti géopolitique qu’ils sont, on se doute bien que c’est pour en faire profiter d’autres. Hamdan a compris que les drones étaient l’avenir de l’armement dans les nouvelles guerres hybrides qui se développent déjà sur la planète. Il possède aussi une société de surveillance basée à Beyrouth, Middle-East Security Services (MESS), l’information étant l’autre ressource fondamentale et fortement monnayable en temps de guerre. « Mess », signifiant d’ailleurs comme un signe avant-coureur en anglais : désordre.

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   [1] https://www.intelligenceonline.com/international-dealmaking/2023/05/23/from-israeli-drones-to-finance-mbz-s-son-hamdan-gets-into-abu-dhabi-s-key-industries,109976790-evl

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