C’est ce qu’on appelle l’arroseur arrosé, ou l’effet boomerang, ou encore le dindon de la farce. En tous cas, lors de sa passation de pouvoirs à Bruno Retailleau, Gerald Darmanin a déclaré : « Je m’appelle Gérald, Moussa, Jean Darmanin », son deuxième prénom lui venant de son grand-père, « tirailleur algérien qui a servi la France ». « Il est assez évident, si nous sommes honnêtes, que si je m’étais appelé Moussa Darmanin, je n’aurais pas été élu maire et député et sans doute n’aurais-je pas été ministre de l’Intérieur ».
En d’autres termes, Gerald Darmanin vient de découvrir le racisme en France. Dommage que ce soit le jour où il cesse d’être ministre de l’intérieur !
Larmes de crocodile
Pourtant, jusque là, « Moussa » Darmanin avait plutôt choisi de laver plus blanc que blanc. Auteur de l’inénarrable « Le séparatisme islamiste » en guise de profession de foi ultra-complotiste, il a été le premier artisan de la discrimination à l’égard des musulmans : fermetures administratives de mosquées pour des motifs futiles, fermetures d’écoles, comme MHS à Paris pour des prétextes tout aussi fallacieux, menaces contre le meilleur lycée de France, Averroes, à Lille, dissolution du Collectif Contre l’Islamophobie en France, de l’organisation humanitaire Baraka City, tentative de museler les imams en leur interdisant de parler d’islamophobie d’état, expulsion de Hassan Iquouissen, qui était pourtant l’un de ses proches, puis incarcération d’Abdourahmlane Ridouane. Il a systématiquement absout les policiers qui pratiquaient le contrôle au faciès, et est à l’origine de la fameuse loi « pour contrôler l’immigration » Aujourd’hui, n’étant plus ministre, Darmanin redevient Gerald Moussa, un citoyen comme un autre avec un prénom arabe. Bienvenu dans le monde réel !
Aussitôt après, le voilà en butte aux critiques acerbes du Rassemblement National : « Cette déclaration est une injure à la France qui lui a tout donné et qui donne leur chance à tous ceux qui la respectent» a tonné Jordan Bardella. Sera-t-il aussi catégorique quand il sera redevenu citoyen lambda, Monsieur Bardella, qui a lui-même des origines algériennes ? On lui laisse la surprise… Du coup, quelques heures plus tard, Prisca Thevenot, la porte-parole du gouvernement sortant, née de parents mauriciens, a elle aussi mis en avant sa propre histoire familiale. « Je m’appelle Prisca Thevenot. (…) Mais je m’appelle aussi Prisca Balasoobramanen. Je suis la fille de deux immigrés qui m’ont appris l’amour de la France, le respect de notre République et le choix du silence face aux polémiques. Je suis la preuve qu’on peut être binationale et profondément patriote française », a-t-elle déclaré, rappelant implicitement que l’intégration de ses parents fut soumise à leur silence et leur invisibilité, et oubliant sans doute que le gouvernement dont elle faisait partie avait commencé la chasse aux migrants. Un gouvernement qui n’a eu cesse de d’adopter une attitude condescendante, voire hostile à l’égard des pays à majorité musulmane, telle l’Algérie, la Turquie, et l’Azerbaïdjan contre lequel il a soutenu de manière indéfectible ceux qui ont occupé son territoire pendant 30 ans sous prétexte qu’ils représentaient la « chrétienté » contre « l’islam ». Et que dire de la politique néo-colonialiste pratiquée aux Antilles, où les « Békés », descendants des esclavagistes, possèdent encore plus de la moitié des terres alors qu’ils ne représentent que 1% de la population, ou en Nouvelle Calédonie, où l’État français a voté des lois pour favoriser la population blanche au détriment des autochtones, et a envoyé l’armée pour mater les manifestants qui luttaient pour plus de justice ?
En fait, Darmanin verse des larmes de crocodile, et ce retour à la réalité n’est qu’un faux-semblant. La nouvelle équipe gouvernementale de Michel Barnier, nommé par Macron, est bien décidée, non seulement à poursuivre la politique de la précédente, mais à la rendre encore plus discriminatoire. « Rétablir l’ordre, rétablir l’ordre, rétablir l’ordre. Je crois à l’ordre, comme condition de la liberté. Quand il n’y a pas d’ordre, c’est la liberté d’abord qui est menacée. Je crois à l’ordre comme la condition de l’égalité », a martelé le nouveau ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, promettant « la fermeté » face à « une barbarie presque quotidienne » ( sous-entendu la délinquance due aux personnes racisées)
L’obsession de l’immigration et la terreur du multi-culturalisme
Le leitmotiv du nouveau gouvernement est « sus à l’immigration ». Suivant la ligne extrémiste du RN, le gouvernement Barnier a désigné le responsable de tous les maux de la République : l’immigration.« J’ai un objectif, parce que comme des millions de Français, je pense que l’immigration massive ça n’est pas une chance pour la France » a déclaré Bruno Retailleau sur TF1, ajoutant : « Je ne veux pas […] que la France soit le pays le plus attractif d’Europe pour un certain nombre de prestations sociales, d’accès aux soins» , assurant vouloir notamment réformer l’aide médicale d’Etat (AME). Cette aide sociale garantit aux étrangers en situation irrégulière présents depuis au moins trois mois sur le territoire français la prise en charge gratuite de soins médicaux. Maud Bregeon, la nouvelle porte-parole du gouvernement, a quant à elle affirmé qu’il y avait « un lien entre insécurité et immigration »
Or ce soit-disant afflux massifs de migrants est un pur mythe : Il n’y a pas d’immigration massive clandestine en France. Selon le ministère de l’intérieur lui-même, les sans papiers représentent 1,2% de la population française. Quant à l’AME, elle ne représente que 0,5% des dépenses de santé. Dire que les sans-papiers viennent profiter du modèle social français est aussi une fable : 1 sans-papier sur 2 ne réclame pas l’AME auquel il la pourtant droit. Le discours sur l’immigration est simplement là pour focaliser le public sur un bouc émissaire imaginaire, de façon à détourner les français des véritables responsables de la débâcle française : les politiques et l’oligarchie financière française qui a littéralement pompé les richesses de la France. Louis Sarkozy, le fils de l’ancien président de la République affirmait sur LCI « Le multi-culturalisme c’est bien, à condition qu’il soit minoritaire ». Cette oxymore n’est pas seulement une ânerie en soi. Elle est révélatrice du repoussoir majeur de la droite française au pouvoir (à la suite d’ailleurs d’un véritable hold-up perpétré par Emmanuel Macron pour éviter une cohabitation avec la gauche) : le multi-culturalisme. Voilà pourquoi l’extrême-droite, de De Villiers à Zemmour plaident pour une « identité française », qui n’existe pas et n’a jamais existé, mais qui consiste surtout à alimenter encore et encore la dialectique du bouc émissaire. En juin 2023, Bruno Retailleau avait déclaré sur France info à propos des Français de religion musulmane : « Certes, ce sont des Français, mais ce sont des Français par leur identité et malheureusement pour la deuxième et troisième générations, il y a comme une sorte de régression vers les origines ethniques ».
C’est d’ailleurs ce que n’ont pas compris les personnages comme Darmanin, Bardella, Zemmour, les polémistes Sifaoui, et Messiha, la journaliste Sonia Mabrouk, qui s’en prennent quotidiennement à ceux qui sont, comme eux , d’origine étrangère dans l’espoir d’être adoubés par la bonne société blanche française : quoiqu’ils fassent, celle-ci ne les considérera jamais comme des Français à part entière. Tant qu’ils servent, par leurs discours, les intérêts de la classe dirigeante, ils sont tolérés. Ils seront violemment rendus à leurs origines lorsqu’ils s’écarteront de la ligne qui leur a été fixée. Zineb el Razhoui en a fait les frais. La journaliste qui incarnait, pour la droite française, la « bonne arabe » , qui proclamait « Je suis Charlie », fustigeait le « fascisme islamique » et monopolisait les plateaux TV et les couvertures de magazine, a été immédiatement mise à l’index lorsqu’elle s’est émue du sort des Palestiniens à Gaza et s’est même vu retirer, par Valérie Pécresse, le prix Simone Veil qu’elle avait précédemment reçu de ses mains.
Cela risque également d’être le cas pour le secrétaire d’État chargé de la citoyenneté et de la lutte contre les discriminations (un comble !), le marocain Othman Nasrou, qui a osé dire en 2013 : « Je ne dis pas que le racisme et l’homophobie n’existent pas. Mais ils sont l’apanage d’une infime minorité. » Lui aussi a été récompensé pour sa soumission : Pour la bourgeoisie française, le « bon arabe » est comme le « bon nègre » du temps des colonies, qui acceptait gentiment soin sort, et se voyait représenté, jovial, sur les boîtes de Banania avec la slogan « Y’a bon Banania », manière toute colonialiste de se moquer du parler français africain.
Cette terreur du multi-culturalisme explique également une bonne partie de la politique extérieure française. Dans le Caucase par exemple, le soutien aux séparatistes arméniens ne s’explique pas seulement par des visées électoralistes. Le « vote arménien », comme le souligne le journaliste franco-arménien Leo Nicolian, est un mythe. La véritable raison est que l’Azerbaïdjan est l’un des pays les plus multi-ethnique du monde, et que, par crainte que ce modèle ne fasse tache d’huile, on s’empresse de soutenir la mono-ethnique Arménie.
Racisme, islamophobie, le premier ministre a constitué un gouvernement qui reprend mot pour mot les termes du programme du Rassemblement National. Le nouveau ministre de l’enseignement supérieur, Patrick Hetzel, a affirmé que l’université était aux mains d’une « idéologie islamo-gauchiste de plus en plus décomplexée. » Astrid Panosyan-Bouvet, nouvelle ministre du Travail, s’emballait contre le port du hijab et s’insurgeait en 2003, à propos de la djellaba ou de l’abaya, contre le « symbole d’un vêtement recouvrant le corps féminin dans l’Islam »
Alors, depuis que Gerald Darmanin a recouvré la vue, va-t-il désormais militer pour la réouverture des établissements qu’il a lui-même fait fermer et pour le retour des imams expulsés à tort va-t-il écrire un nouveau livre où il mettra en valeur ce que les maigrants ont apporté et continuent à apporter à la France ? Bien sûr que non. En revanche, il n’est pas impossible que le peuple français finisse par se révolter contre ce « coup d’état » qui n’a pas respecté le vote des électeurs, et fasse parler la rue.
Jean-Michel Brun