TOLÉRANCE ET DIALOGUE INTER-CONVICTIONNEL : LA DÉCLARATION DE BOUKHARA (OUZBEKISTAN)

A-t-on encore la liberté de croire en Dieu dans notre société ? L’idéologie laïciste gagne du terrain en occident où, la foi ne faisant pas bon ménage avec le consumérisme, on cherche à amener l’école à former de bon consommateurs agnostiques ou mieux, en adorateurs du veau d’or financier.
Pourtant, la liberté religieuse – et on parle de celle qui permet à tous d’exprimer sans entrave sa foi, ou son absence de foi – existe dans quelques pays sur lesquels nous pourrions prendre exemple.
A Boukhara, en Ouzbékistan, des représentants du gouvernement, de la société civile, des experts universitaires et des chefs religieux de 10 pays se sont réunis le 19 mai 2022, pour un FORUM INTERNATIONAL ET INTER-CONFESSIONNEL « DIALOGUE OF DECLARATIONS » axé sur la garantie de la liberté de conscience ou de conviction de chacun, en tout lieu, sur la façon de faire progresser la tolérance multi-confessionnelle, le respect et la compréhension mutuels, et sur la lutte contre l’extrémisme violent.

Boukhara est l’une des plus anciennes villes d’Asie centrale. Elle a été au carrefour de plusieurs civilisations, berceau de nombreuses communautés religieuses, creuset de cultures riches et variées. C’est un centre historique d’éducation et de science.
On connaît naturellement Boukhara pour avoir donné à la science coranique l’un de ses plus éminents représentants, l’Imam al-Bukhari, qui consacra sa vie à collecter et vérifier les hadiths.
Au fil des siècles, l’héritage de Boukhara s’est perpétué et a fait naître une véritable culture de la compréhension et du respect mutuel, dont le gouvernement de l’Ouzbekistan s’est inspiré pour promulguer des lois garantissant la liberté religieuse et le vivre-ensemble.

Seize confessions se côtoient aujourd’hui, en toute liberté et en parfaite harmonie. Et l’État se fait un devoir de préserver et protéger, autant que les grandes, les plus petites communautés religieuses.

A l’issue de ce forum, les participants ont approuvé et signé une déclaration appelant l’humanité toute entière à la tolérance, au respect, à la paix et à la solidarité entre toutes et tous, quelles que soient leurs croyances, affirmant que la compréhension et le respect des convictions de chacun est le seul rempart possible aux conflits :

DÉCLARATION DE BOUKHARA « DIALOGUE OF DECLARATIONS »

L’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 proclame à jamais : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. »

Selon la Déclaration des principes de tolérance, approuvée par la résolution 5.61 de l’UNESCO, à la Conférence générale du 16 novembre 1995 : « La tolérance est le respect, l’acceptation et l’appréciation de la richesse et de la diversité des cultures de notre monde, de nos modes d’expression et de nos manières d’exprimer notre qualité d’êtres humains. Elle est encouragée par la connaissance, l’ouverture d’esprit, la communication et la liberté de pensée, de conscience et de croyance. La tolérance est l’harmonie dans la différence. Elle n’est pas seulement une obligation d’ordre éthique ; elle est également une nécessité politique et juridique. La tolérance est une vertu qui rend la paix possible et contribue à substituer une culture de la paix à la culture de la guerre.»

L’éducation est essentielle dans cet effort, ce que la Déclaration de l’UNESCO a également reconnu, déclarant à l’article 4 :« L’éducation est le moyen le plus efficace de prévenir l’intolérance. La première étape à cet égard consiste à enseigner aux individus quels sont leurs droits et leurs libertés afin d’en assurer le respect et également à promouvoir la volonté de protéger les droits et libertés des autres….. L’éducation à la tolérance doit viser à contrecarrer les influences qui conduisent à la peur et à l’exclusion de l’autre et doit aider les jeunes à développer leur capacité d’exercer un jugement autonome, de mener une réflexion critique et de raisonner en termes éthiques. »

Pour atteindre ces objectifs au sein de la communauté des citoyens du monde, nous, les participants du forum, nous engageons à :

  • Encourager une discussion ouverte et constructive sur les processus sociaux, culturels et religieux, ainsi que sur le développement du dialogue multi-confessionnel et inter-culturel aux niveaux national, régional et international
  • Souligner la nécessité pour toutes les religions de s’engager à renforcer le dialogue (et le partenariat) multi-confessionnel, en particulier entre les responsables religieux, de sorte que les programmes multi-confessionnels qui en résulteront servent la société toute entière, dans un esprit de compréhension plus profonde des valeurs humaines universelles, et en fonction des croyances profondes de chacun
  • Reconnaître l’importance de l’éducation et de la formation dans le but de former des citoyens ayant les compétences et les aptitudes à s’engager mutuellement dans des projets communs au service de tous, en favorisant la tolérance religieuse et les droits de l’homme, en promouvant la compréhension et le respect mutuels entre les civilisations, les cultures, les religions et les croyances, et par le refus de toute forme d’intolérance et de discrimination fondée sur la religion ou les convictions
  • Développer les activités éducatives et mettre en place de nouveaux mécanismes – notamment de nouveaux programmes – afin de promouvoir le dialogue multi-confessionnel et inter-culturel qui se traduira par un engagement mutuel et des actions pratiques dans le but de contribuer à l’unité et la solidarité des peuples et une meilleure sensibilisation des citoyens à l’importance de la liberté religieuse et à la coexistence pacifique entre les membres des différentes communautés confessionnelles et nationales
  • Souligner l’importance de la mise en œuvre de la résolution spéciale de l’ONU « Lumières et tolérance religieuse » (décembre 2018) adoptée à l’initiative de la République d’Ouzbékistan, visant au développement de la culture, de la paix, de la tolérance, de la compréhension mutuelle et des droits de l’homme.
  • Insister sur la nécessité de préserver les établissements religieux et les lieux de culte, mémoires de l’histoire, de la culture et des traditions des peuples et des sociétés, dont la valeur historique et culturelle a été reconnue par l’UNESCO.
  • Reconnaître que la réalisation des principes, politiques et pratiques ci-dessus contribue à l’établissement de la paix universelle en encourageant l’amitié entre les peuples, en faisant progresser la justice sociale et en garantissant les droits humains.

Nous, les participants au « Dialogue of declarations », voulons également clarifier ce contre quoi nous nous luttons :

  • Nous dénonçons l’intolérance croissante et l’intensification des actes de violence fondés sur la religion ou les convictions, dont sont victimes les croyants de toutes confessions, comme les incroyants, partout dans le monde.
  • Nous condamnons l’apologie de l’intolérance religieuse et de la discrimination, qui se propage à travers les medias traditionnels (imprimés, audiovisuels ou électroniques), Internet, et les réseaux sociaux.
  • Nous déclarons sans équivoque que le terrorisme et l’extrémisme sous toutes leurs formes et manifestations ne peuvent et ne doivent pas être associés à quelque religion, civilisation, nationalité, groupe ethnique ou système de croyance que ce soit.
  • Nous nous engageons à protéger, sans réserve, le droit de chacun à la liberté de pensée, de conscience et de religion, incluant la liberté de changer de religion ou de conviction, et la liberté de manifester sa religion ou ses convictions par l’enseignement, la pratique du culte, l’observance de règles, que ce soit de manière isolée ou au sein d’une communauté, en privé ou en public.
  • Nous rappelons la responsabilité première de l’État dans la promotion et la protection des droits de l’homme, y compris la droit à la liberté de religion ou de conviction, à la transparence de l’État de droit et au renforcement de l’esprit de tolérance et de respect mutuel. La laïcité des institutions étatiques est incompatible avec l’hostilité envers la religion, de même que les groupes religieux ne doivent pas menacer la structure laïque de l’État ou la partie laïque de la société.
  • Nous soutenons la position du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, selon laquelle les restrictions légales à la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne sont autorisées que dans le cadre des limites nécessaires pour garantir la sécurité publique, l’ordre, la santé et les principes moraux ou pour protéger les droits fondamentaux et les libertés des autres, et à condition que ces restrictions soient strictement proportionnées à cette nécessité de protection.

Nous, les participants au « Dialogue des déclarations », signons ce document

  • En soulignant que l’ensemble de la communauté internationale doit respecter et protéger le droit fondamental de l’humanité garantissant à toute personne, quel que soit son lieu de résidence, le droit de professer ou de ne pas professer une religion, l’assurance de ne pas être forcée à adopter une foi qu’elle n’a pas choisie, le droit de pratiquer et de manifester sa religion ou ses convictions, dans la seule limite du respect du droit international.
  • En rappelant que les citoyens des États du monde entier ont également le droit et la responsabilité de porter les valeurs de leur système de croyance dans les discussions sur les politiques publiques et la diplomatie internationale 
  • En réaffirmant notre ferme engagement envers les principes énoncés dans les déclarations de Marrakech (décembre 2016,) Jakarta (décembre 2017), Potomac (juin 2018), Punta del Este (décembre 2018), La Mecque (mai 2019) et dans la Résolution spéciale de l’ONU « Lumières et tolérance religieuse » (décembre 2018). Toutes ces déclarations témoignent de l’importance du facteur religieux dans la vie de la société moderne et appellent les représentants de toutes les religions à promouvoir le développement d’une culture de tolérance et de respect de la dignité humaine.
  • En proposant que que ce dialogue se poursuive, dans le monde entier, à travers de futures rencontres sur la mise en œuvre des principes et objectifs ci-dessus énoncés.

Adopté le 19 mai 2022, par les participants du Forum International « Dialogue of Declarations » Boukhara, Ouzbékistan.

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