AU SECOURS ARISTIDE, ILS SONT DEVENUS FOUS !

Dans son savoureux et cruel roman « Mangez-le si vous voulez », Jean Teulé raconte comment, stupidement, une surenchère d’invectives conduit tout un village à découper en morceaux, brûler et dévorer l’un des leurs. Un brave type. Cela se passait en France, en 1870. Tiens, juste avant que la 3ème république ne soit proclamée…

Qui sera le plus patriote, le plus radical dans son anti-radicalisme ?

Après le crime abominable de Conflans (mais d’ailleurs pourquoi avoir toujours besoin d’ajouter un adjectif après les mots « crime », « assassinat », « meurtre » ? Un crime est toujours, par nature, abominable, abject, monstrueux…

Bref, alors qu’il serait grand temps de rétablir la paix, la tranquillité, le « bien vivre ensemble » dans notre beau pays, voilà que chacun y va de sa goutte d’huile sur le brasier. Comme si on souhaitait, au fond, que ce pays explose, histoire d’y voir plus clair.

Hier, le mur du çon a été franchi par Gérald Darmanin, qui voit tout simplement dans les rayons halal ou casher des hypermarchés les germes du communautarisme. Et comme, selon lui, c’est le communautarisme qui a armé le bras du jeune assassin de Conflans, le syllogisme est assez facile à boucler.

Notre propos, dans ce journal, n’est pas de critiquer ceux qui gouvernent notre pays. Ils font ce qu’ils peuvent, et leur tâche n’est pas aisée. Mais il y a tout de même des limites.

 « Ça m’a toujours choqué de rentrer dans un hypermarché de voir un rayon de telle cuisine communautaire. », déclare, avec le génie de la nuance qu’on lui connaît, Gerald Darmanin au micro de BFM TV ce mardi 20 octobre : « Je pense que c’est comme ça que le communautarisme commence. » « Moi, j’ai mon opinion. Heureusement que toutes mes opinions ne font pas partie de la loi de la République ». Eh bien, on l’a échappé belle ! Imaginez, s’il était Ministre de l’Intérieur, ou pire, Ministre des Cultes…

« Le silence est la plus haute sagesse de l’homme. » affirmait Pindare. Mais le Ministre n’a pas lu Pindare. Alors, il poursuit :
« Je ne critique par les consommateurs mais ceux qui leur vendent quelque chose. Je comprends très bien que la viande halal soit vendue dans des supermarchés, ce que je regrette, ce sont les rayons. Pourquoi dois-je faire un rayon différent ? J’ai donc le rayon pour les musulmans, le rayon casher, et puis tous les autres… Pourquoi des rayons spécifiques ? »,

Autrement dit, la meilleure façon de lutter contre le communautarisme est d’ouvrir des épiceries communautaires. Il n’a pas lu non plus Descartes, Monsieur le Ministre…

La charité chrétienne, la compassion juive, la miséricorde musulmane, la bienveillance bouddhiste nous interdisent de révéler ici la suite de l’interview. Ce serait trop cruel. Ah si tout de même. Derrière ces rayons alimentaires, ce sont les industriels qui sont aussi visés : « on peut dire au capitalisme qu’il peut être de temps en temps patriote. » Si le sauciflard et le pinard sont des signes de patriotisme, alors… Coluche était visionnaire !

Et pendant ce temps là, alors que l’Etat devrait trouver les moyens pour pacifier la société, on crie haro sur le musulman, on s’en prend à l’Observatoire de la Laïcité, accusée de sympathie avec les extrémistes, simplement parce qu’il ne hurle pas avec les loups et s’en tient à la vision généreuse de la laïcité telle que l’avait définie Aristide Briand. Pauvre Aristide… Après avoir tant lutté pour faire rimer laïcité et liberté, doit se retourner dans sa tombe.

Et pendant ce temps-là, deux mères de famille voilées, qui promènent leurs enfants sur le Champs de Mars, se font attaquer au couteau par des jeunes femmes hystériques dans le silence des medias, et des ahuris, sur les réseaux sociaux, appellent à brûler la mosquée de Béziers.

Et pendant ce temps-là, François Fillon ne trouve pas mieux que de proposer d’interdire le voile dans l’espace public et d’empêcher l’apprentissage de l’arabe à l’école.
C’est à qui montrera ses muscles, gonflera son jabot, déploiera sa crête pour séduire une France terrorisée par deux ennemis de l’intérieur obstinément désignés : un virus et les musulmans.

Utiliser l’acte d’un déséquilibré, fasciné par les images de décapitation qu’il regardait déjà voici plusieurs mois, pour calomnier une partie des français et provoquer un engrenage de la haine est un jeu bien dangereux, et l’obsession anti-musulmane de ceux qui sont censés nous protéger est bien inquiétante.

C’est d’abord rumeur légère
Un petit vent rasant la Terre
Puis doucement, vous voyez calomnie
Se dresser, s’enfler, s’enfler en grandissant

Ses traits lancés adroitement

D’absurdes fictions
Font plus d’une blessure
Et portent dans les cœurs
Le feu, le feu de leurs poisons
Le mal est fait, il chemine, il s’avance
De bouche en bouche il est porté

Mais enfin rien ne l’arrête
C’est la foudre, la tempête
Et de haine aussitôt un chorus général
De la proscription a donné le signal

Air de la calomnie – Le Barbier de Séville
Abdeljallil Asmar

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