QUEL EST DONC LE PROBLÈME DE LA FRANCE AVEC LA RELIGION ?

La question de l’extériorisation de la religion, surtout la question du voile, a monopolisé, et continue périodiquement de le faire, des centaines d’heures de débats télévisés, des pages entières de quotidiens et de magazines. Des lois sont promulguées pour interdire les « signes ostentatoires », refuser aux femmes portant un foulard le droit de garder des enfants.

Une étude Ifop de 2019 réalisée pour Le Journal du dimanche révélait que 75 % des Français étaient favorables à l’interdiction du port de « signes religieux ostensibles » pour les usagers des services publics. Mais qu’est-ce qu’un « signe ostensible « ? Tout ce qui pourrait induire que l’individu serait musulman ?

Michel Onfray , philosophe médiatique, affirme, lors d’une interview au magazine « Causeur » : « l’islam revendique clairement l’universalisation de sa doctrine et, comme je suis concerné et que je ne suis pas antisémite, homophobe, misogyne, phallocrate, belliciste – des « valeurs » selon nombre de sourates du Coran, il est en effet plus à craindre. »

120 000 lecteurs s’arrachent les premiers exemplaires de « Soumission », le roman-charge de Michel Houellebecq contre les musulmans, en seulement 5 jours. En Suisse, une votation a conduit à l’interdiction des minarets.
L’Islam est la religion la plus vilipendée, probablement à cause de sa vivacité.

Soyez invisibles

L’Islam, mais pas seulement. Le même Michel Onfray, énonce dans son  livre « Traité d’athéologie » : «Les trois monothéismes, animés par une même pulsion de mort généalogique, partagent une série de mépris identiques : haine de la raison et de l’intelligence, haine de la liberté, haine de tous les livres au nom d’un seul, haine de la vie ». Et si le judaisme et le christianisme n’attirent pas moins les foudres de l’auteur que l’Islam, « c’est parce que l’un ne fait pas de prosélytisme, et que l’autre n’en a plus les moyens »

Un élu du Sud Ouest nous confiait que sa mère, fervente chrétienne, n’osait plus parler de sa foi en public de peur de passer pour une intégriste ou une demeurée.

Eric Zemmour exhorte, à longueur d’antenne, à reléguer au sein de la sphère privée toute expression religieuse, comme on le ferait d’une maladie honteuse.

En somme, soyez croyants si cela vous fait plaisir, grand bien vous en fasse, mais ne le montrez pas. Soyez invisibles.

Conférence Internationale de Paris pour la Paix et la Solidarité - Septembre 2019
Conférence Internationale de Paris pour la Paix et la Solidarité – Septembre 2019

Le 19 septembre 2019, une conférence réunissant à Paris les responsables de toutes les religions en vue de signer un protocole d’entente et de coopération contre le terrorisme et pour la paix, a été boudée par le Président de la République et son gouvernement. Des religions qui s’unissent, fût-ce autour des concepts de paix et de solidarité, cela représenterait-il une menace si grande pour notre laïcité institutionnelle ? La présence d’un secrétaire général de la plus importante organisation musulmane mondiale porteur d’un message républicain (« Les musulmans ont le devoir de respecter les lois de leur pays » – Mohammad Al-Issa), devait être intolérable aux yeux de ceux qui se plaisent à dire que tous les musulmans sont des terroristes en puissance.

Pourquoi ce qui ne pose aucun problème ailleurs en pose ici ?

Pourtant, à Londres, à Rome, à Berlin, à New York, y compris au sein de la grande synagogue, le secrétaire général de cette organisation a été écouté et reçu à bras ouverts.

Pourtant, à Londres, pendant les fêtes de de Nöel, on pouvait voir l’entrée de l’Apple Store encadrée de deux jeunes qui offraient des sacs en papier : la jeune fille portait un foulard, le jeune homme était revêtu d’une djellaba, sa veste «Apple » par-dessus.

Au Canada, des jeunes filles en burkini cotoient dans les piscines des nageuses au bikini presque symbolique, sans qu’aucun regard étonné ne soit échangé.

A Bolgar, en Russie, l’Université Islamique et sa mosquée font face à l’Université orthodoxe et sa cathédrale, et les deux établissements échangent en permanence des enseignants et des étudiants. L’Etat subventionne l’un et l’autre.

Ici, on demande aux soignantes d’ôter leur voile. A Londres,  la Santé Publique Britannique (NHS) remercie et félicite le personnel musulman soignant pour « avoir servi en première ligne face à l’épidémie du Covid-19. Et ce, malgré le jeûne du mois de Ramadan ».

Ici, la moindre mosquée est suspectée d’abriter des djihadistes en herbe,  À Berlin, les chrétiens prêtent leurs églises aux musulmans. Voir notre article (NDLR)

Près de Francfort, un magasin Ikea a offert son parking pour que les fidèles de la mosquée voisine puissent accomplir la prière de l’Aïd Al-Fitr en respectant les règles de distanciation.

Mais quel problème la France a-t-elle donc avec la religion ? Pourquoi ce qui ne pose aucun problème ailleurs en pose ici ?

La figure de l’étranger

Au delà de l’anticléricalisme historique français, consécutif aux liens de soutien et de reconnaissance réciproques qui s’étaient noués entre la monarchie et l’Eglise , et à l’osmose qui s’était créée entre les deux  pour faire de la France « La fille ainée de l’Eglise », au-delà des idées révolutionnaires qui ont décapité l’une et l’autre,  la France possède une bien triste tradition : celle d’adorer s’inventer des boucs émissaires. Ceux sur la disparition desquels on compte pour résoudre ses problèmes, apaiser ses tensions, et souder son sentiment d’appartenance. On le sait, cela n’a jamais donné de bons résultats.

Non seulement le musulman est décrit, comme le fut le juif par Edouard Drumont au moment de l’affaire Dreyfus, comme la « figure de l’étranger », mais l’Islam est vu comme la religion de l’étranger.
Suite à l’article paru dans nos colonnes sur la laïcité Voir notre article sur la laïcité (NDLR), la twittosphère s’est déchaînée, avec toujours les mêmes arguments : « Merci de ne pas vous immiscer dans l’Histoire que les Français ont écrite », « Pourquoi les Africains viennent en France au lieu de rester chez eux ? », etc…
Comme si nombre de français ne pouvaient admettre que les français musulmans puissent être autant français que musulmans.
Certes, le racisme et la xénophobie ne sont pas des nouveautés. Ils sont comme un virus qui s’accroche tantôt à un groupe, tantôt à un autre. La théorie du « grand remplacement » , popularisée par Renaud Camus, attribue aux musulmans la volonté de convertir le monde. Le judaïsme n’étant pas prosélyte, les antisémites du siècle dernier accusaient les juifs de comploter en secret pour dominer le monde. Aujourd’hui encore, les « Protocols des Sages de Sion », continuent de circuler sous le manteau. Les arguments sont différents, mais la finalité est la même.

Pourtant, ce serait une erreur de croire que les musulmans aujourd’hui, les juifs hier, sont les seules cibles. Loin du « Celui qui croyait au ciel, celui qui n’y croyait pas » d’Aragon, c’est la figure même du croyant qui est aujourd’hui plus largement visé.

Le rejet du spirituel

En réalité, pour les porteurs de l’idéologie laïciste, le discours anti-musulman est un jeu de billard : on vise l’Islam pour  atteindre le religieux, ou plus encore, le spirituel, qu’il soit d’ailleurs religieux ou non.

Le journal La Croix rapporte que le mardi 29 octobre, lors de l’inauguration d’un centre communautaire parisien, Joël Mergui, le président du Consistoire central, a déclaré : « Nos jeunes, qui ne demandent qu’à construire leur avenir sans céder sur leur foi, ne doivent pas devenir des victimes collatérales d’une laïcité de combat contre l’islamisme radical, qui n’est pas une religion mais une idéologie politique. »

Notre monde, qui se perd dans la matérialité, la consommation, la passion des chiffres, l’avidité de la quantité, se trouve incapable de transmettre des valeurs aux générations futures. L’éloignement de la spiritualité, le refus de l’idée même de transcendance portée par certains penseurs modernes expliquent peut-être ces combats contre la religion. Cette apologie de la raison face aux démarches spirituelles, comme si elles étaient incompatibles, notre monde malade semble s’en glorifier.

« On ne sauve pas malgré lui un malade qui ne veut pas guérir ; et ce qu’il y a de plus terrible, c’est que l’Occident se complaît dans sa maladie et, loin de la reconnaître comme telle, elle s’en fait gloire comme d’une supériorité. » prédisait René Guénon dans Les Cahiers du mois, en 1925.

A nous de ne pas prêter l’oreille aux hurleurs de haine. Préférons la parole du Pape François rapportée par le Père Antoine Guggenheim lors des Rencontres Islamo-Chrétiennes de 2019 :  « La foi amène le croyant à voir dans l’autre un frère à soutenir et à aimer »

Jean-Michel Brun

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